7391 - 3
20 -3
MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATTONALE
FOUILLES DE L’INSTITUT FRANÇAIS DU CAIRE, SOUS LA DIRECTION DE M. CIL KUENTZ, TOME XX
RAPPORT
SUR
LES FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH
FASCICULE III
NOTES À PROPOS DE QUELQUES OBJETS TROUVÉS
EN 1939 ET 1940
PAR
BERNARD BRUYÈRE
LE CAIRE
IMPRIMERIE DE L’INSTITUT FRANÇAIS D’ARCHÉOLOGIE ORIENTALE
FOUILLES
1)13
L’INSTITUT FRANÇAIS D’ARCHÉOLOGIE ORIENTALE
O
DU CAIRE
( 1935 - 1940 )
9
MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE
7391 3
20 3
FOUILLES DE L’INSTITUT FRANÇAIS DU CAIRE, SOUS LA DIRECTION DE M. CH. KUENTZ
TOME XX — FASCICULE III
RAPPORT
SUR
LES FOUILLES DE DEIR EL MÉD1NEH
( 1935 - 1940 )
, PAR
BERNARD BRUYÈRE
LE CAIRE
IMPRIMERIE DE L’INSTITUT FRANÇAIS D’ARCHÉOLOGIE ORIENTALE
1952
Tous droits de reproduction réservés
RAPPORT
SUR
LES FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH
(1935-19/iO)
QUATRIÈME PARTIE
SOMMAIRE DU FASCICULE III :
*
NOTES À PROPOS DE QUELQUES OBJETS TROUVÉS EN 1939 ET 1940
Introduction.
Note i .
9 .
— 3.
— 4 .
— 5.
— 6 .
— 7-
— 8 .
— 9*
— 10 .
— îi.
— 19 .
— i3.
— i4.
— i5.
— 16.
Essai biographique du scribe royal Ramosé.
Sur la titulature du vizir Paser.
Un nouveau vizir : Nehi.
Sur le sens à donner au mot Hebit : un UJ
Le culte de YOusirliat criocéphale d’Amon.
Sur le sens particulier du mot Ab : ^ J
Statue de lion et têtes de prisonniers étrangers.
Le Roi vainqueur des peuples étrangers.
Sur la formule du Ka royal vivant dans la Vérité : Ud ^ ^
Sur la déesse Toëris (Ta-ourt).
Statues cubes ornées du Menât d’Hatbor.
Culte de Thot à Thèbes.
Ex-voto de Ramosé aux hirondelles de Sokar.
Osiris au pressoir. Ded et Maded.
Sur le soi-disant manteau macédonien d’Anubis.
Nouveaux monuments du dieu Ched.
INTRODUCTION
Quelques trouvailles particulièrement intéressantes, par leur importance numé-
rique, l’originalité, la valeur artistique, religieuse ou ethnographique ont fourni la
matière d’une étude dont le développement eût alourdi le fascicule qui précède.
L’exposé des observations auxquelles ces découvertes ont donné lieu nous a semblé
nécessiter une troisième partie du rapport. On voudra bien y trouver, auprès des
considérations scientifiques déjà consacrées par l’expérience, certaines suggestions
qui se soumettent à la discussion mais qui reposent cependant sur des constatations
personnelles d’un caractère assez général pour offrir une base sérieuse de véracité.
De plus, ce que les deux fascicules énumérant les acquisitions nouvelles de monu-
ments fixes et d’objets mobiles ne pouvaient traiter longuement mérite qu’on accorde
quelque attention aux déductions qui s’imposent au point de vue de l’histoire de
Deir el Médineh.
Tout d’abord, ce sont les transformations subies par le site du temple ptoiémaïque
actuel du fait de la construction de ce sanctuaire par les Lagides et des
ments successifs de son enceinte.
Au Nouvel Empire, un chapelet de petits oratoires affectés au culte des divinités
chères à la plèbe des nécropoles et à la mémoire des rois thébains décédés s’égrai-
nait sans solution de continuité tout le long du pied de la falaise qui domine au nord
le village des artisans.
Le plus important de ces pieux édifices était, depuis les premiers pharaons de la
XVIII e dynastie, celui qui était dédié à Hathor, en sa qualité de reine de la berge
d’Occident et de patronne des grands cimetières de la capitale du sud.
Chaque souverain qui manifestait sa sollicitude particulière pour la corporation
établie à Deir el Médineh tenait à en donner un témoignage pour la postérité en
chargeant le vizir de son temps d’entretenir et d’embellir la demeure de la déesse,
voire le plus souvent de construire un sanctuaire nouveau sur les ruines de celui de
ses devanciers ou dans un endroit différent mais toujours à la base de l’éperon rocheux
qui surplombe l’issue septentrionale du vallon.
Par les vestiges architecturaux qui subsistent encore et par les nombreux restes
de statues, de stèles et d’autres ex-voto découverts à l’intérieur comme à l’extérieur
de l’enceinte du temple, il est possible de dresser la liste des rois qui ont pris soin
agrandisse- ^
10
B. BRUYÈRE.
du culte d’Hathor chez les ouvriers et de ceux qui, distraits par d’autres préoccupa-
tions, se signalent par l’absence de toute marque d’intérêt de leur part.
Les premiers sont :
Aménophis I er
Aménophis II
Thotmès III et IV
Horemheb
Sethi I er
Ramsès II
Menephtah
Ramsès III
Ramsès IV et IX
Les seconds sont :
Thotmès I er et II
Hatshepsout
Aménophis III
Akhenaten
Tout ankh Amon
Eye
Ramsès I er
Sethi II
Sethnakht
Ramsès V à XI
Encore ces seconds peuvent-ils avoir collaboré à l’œuvre commune sans que les
traces de leur contribution soient parvenues jusqu’à nous en raison des spoliations
et des pillages anciens et modernes.
Toutefois, on admettra qu.’ Aménophis III ait eu des soucis plus considérables
que d’enrichir le modeste oratoire populaire de Deir el Médineh quand l’activité
de ses grands architectes était exclusivement absorbée par l’érection du gigantesque
Aménophium, la création de la ville occidentale de Malgatta et les réfections et adjonc-
tions des temples de la rive droite.
De même, il est concevable que Akhenaten se soit borné à l’édification de sa nouvelle
capitale de Tell el Amarna.
De tous les monarques qui ont laissé les souvenirs les plus marquants par leurs
travaux en faveur du temple d’Hathor, ce sont certainement Sethi I er et Ramsès II
qui, pour la période du Nouvel Empire, viennent en tête de liste.
Malgré leurs campagnes guerrières et leurs fréquents séjours dans leur résidence de
Tanis, ils ne se sont jamais désintéressés de la troupe qui, pendant ce temps, creusait
et décorait leurs hypogées de la Vallée des Rois.
Leurs vizirs de Thèbes, assistés de scribes royaux, construisirent et ornèrent pour
le compte de ces deux souverains un sanctuaire neuf de la Maîtresse de l’Occident
et garnirent chacun d’eux de statues, de stèles et d’autres objets votifs en nombre
imposant.
En premier lieu, tout vizir tenait à offrir au temple édifié par ses soins au moins
une statue le représentant debout ou à genoux et tenant devant lui un buste crio-
céphale d’Amon ou un masque féminin d’Hathor protégeant une statue plus petite
11
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
et debout du roi régnant. C’est ainsi que nous avons les restes plus ou moins consi-
dérables de statues des vizirs suivants :
Nehi (fasc. II, n° 25 1) peut-être de la XVIII e dynastie, règnes des Thotmès?
Paser (fasc. II, n° 255 ) règne de Ramsès II;
Panehsi (fasc. II, n° 2 5 o) règne de Menephtah;
Hory (fasc. II, n° 91) règne de Ramsès III.
D’autres vizirs non identifiables, par manque d’inscriptions, nous ont laissé de
nombreux fragments de leurs statues, des emblèmes amoniens ou hathoriques et
des rois protégés par ces emblèmes. Gela suppose une succession presque continue
de préfets thébains ayant, par délégation royale, effectué des remaniements dans le
te|p)le d’Hathor de leurs époques respectives et cela autoriserait à diminuer le
nombre des rois qui se signalent par leur abstention.
Parmi les scribes royaux chargés d’exécuter les plans pharaoniques transmis par
les préfets, Ramosé, du temps de Ramsès II et du Vizir Paser, se distingué entre
tous par le nombre et la qualité des dons personnels qu’il accumula aux pieds de
la déesse et dans lesquels on ne voudrait voir que la preuve de sa grande activité et
l’expression désintéressée d’une piété sans ostentation.
A tout prendre, cette prodigalité d’offrandes, cet éclectisme de dévotion sont une
manière non déguisée, de signer son œuvre pour la reconnaissance des siècles futurs
et pour celle de la divinité en ce monde et dans l’autre. Puisque le roi donne l’exemple
de graver son cartouche sur les œuvres de son règne, pourquoi son vizir et le scribe
royal de celui-ci garderaient-ils un anonymat qui les prive des faveurs en retour
dispensées par les dieux; pourquoi le simple ouvrier qui a travaillé au temple et qui
ne peut offrir une statue ou une stèle à Ilathor n’immortaliserait-il pas son nom
par un grallite sur le dallage du parvis? Notre index des noms et titres de particuliers
relevés sur les trouvailles de 1912 et de 1989-19/10 permet de constater qu’à tous
les degrés de la hiérarchie artisane, depuis le chef des travaux jusqu’au plus humble
des gâcheurs de plâtre, tous les corps de métiers de Deir el Médineh ont apporté
leur part de labeur et leur offrande, si minime soit-elle, à la demeure sacrée de leur
grande patronne. Il permet aussi de constater la fréquente répétition de certains
noms et celle de certains groupes familiaux. Selon toute probabilité, ce n’est pas seu-
lement l’indication que ces gens furent affectés spécialement aux travaux du temple,
mais davantage peut-être, celle que ces familles habitaient ou étaient enterrées dans
son proche voisinage où se voient encore de nombreuses ruines de maisons et de
tombes de l’époque du Nouvel Empire.
Lorsque les Ptolémées entreprirent d’entourer d’une enceinte protectrice le sanc-
tuaire de grès édifié par eux sur les vestiges ramessides, ils furent obligés de spolier
tout un quartier de village et de nécropole jadis occupé par ces familles. On est en
droit de penser alors que la fréquence de noms tels que ceux du scribe royal Ramosé,
12
B. BRUYÈRE.
des chefs de troupe Nebnefer et Neferhotep, des employés et ouvriers Ameneminet,
Amenemheb, Neferabou, Haï et de beaucoup d’autres, est un indice assez sérieux
pour qu’ils aient résidé avant ou après la mort dans ces parages.
Les Lagides qui ont ainsi modifié l’aspect général du site ont dû remblayer une
certaine partie du terrain en pente trop rapide avant d’élever le mur d’enceinte,
surtout sur le flanc nord, à partir de l’angle nord-est.
Pour combler une déclivité de A à 5 mètres de profondeur, ils ont précipité, après
les avoir brises, s ils ne l’étaient déjà, les ex-voto, statues, stèles et objets divers des
siècles révolus.
Rien n autorise à dire que cette accumulation de débris, parfois de volume impor-
tant, ait constitué une favissa réelle ou un entassement intentionnel, en un point
déterminé, des reliques des règnes passés, bien que la majorité de ces fragments
se trouvât sous un angle de l’enceinte.
Par ailleurs, si nous avons trouvé sur le terrain et non sous le sol, aux abords
externes du temple, de gros tambours de colonnes, des tronçons d’architraves et
d’autres éléments d’architecture, tous du même grès que le temple ptolémaïque et
souvent gravés aux cartouches de Ramsès II et de la reine Toui, provenant évidem-
ment du Ramesseum, nous n’avons, par contre, remarqué dans les matériaux
employés à la construction du temple aucune trace d’un remploi quelconque de
pierres tirées d’un monument plus ancien. Par conséquent, Philopator et ses succes-
seurs, quoiqu’ils aient établi leur sanctuaire au-dessus des ruines de celui de
Ramsès II, par nécessité topographique plus que symbolique, ne semblent pas avoir
obéi à quelque tradition millénaire inspirée par des considérations absolument
étrangères à l’esprit égyptien pas plus qu’à des idées importées de Grèce. Le grès
utilisé dut provenir directement des carrières de Silsileh, tandis que les tambours
de colonnes et les fragments de reliefs du Ramesseum qui gisaient au-dessus des
couches ptolémaïques du terrain y furent apportés par les coptes de 1ère chrétienne
pour être transformés en meules à l’usage du monastère installé dans le temple
au v e siècle.
NOTE 1
ESSAI BIOGRAPHIQUE SUR LE SURIBE ROYAL RAMOSÉ
’ /
Aux nombreuses stèles et statues trouvées èn 1989 qui furent dédiées par le
scribe royal Ramosé et qui composent une importante collection de monuments des
cultes de la population des nécropoles, il faut ajouter celles que les musées possèdent
depuis longtemps. Elles complètent cette série à’ ex-voto à toutes les divinités vénérées
Wi un même lieu et un même temps par une catégorie spéciale de gens et pour des
motifs dans lesquels la religion populaire et la politique se fondent très souvent.
Il n’est donc pas inutile, pour éclairer le curriculum vitae de Ramosé, de rappeler
brièvement ces témoignages de dévotion dispersés dans les musées :
1. Levde (statue D A 3 ) de Ramosé tenant une enseigne d’Harmakhis (Bôser,
Taf. YI, n° a 3 ).
2. Turin (stèle 60) dédiée à Qadesh, Min et Reshep par Ramosé et son épouse
3 . Turin : pyramidion de la tombe de Ramosé fds d’Amenemheb donnant la titu-
lature complète.
6 . Turin : stèle 3 0 0 : dédiée à Thot lunaire cynocéphale ( Recueil de Travaux, II , 1 8 5 ) .
5. Louvre : stèle C. 62 : dédiée à la triade d’.Osiris et à Ahmès-Nefertari (Boreux,
Guide, I, 97).
6. Moscou : stèle détruite dédiée à Thot ibis lunaire et à llannout serpent (Touraïeff,
Catalogue de la Collection Lidman ).
7. La Haye : stèle dédiée à Osiris, Anubis, Aménophis I er et Rannout (Spiegelberg ,
Haag., p. 2).
8. Ramesseum : stèle dédiée à Ptah et Mâat (Quibell, pl. X, n° A).
9 . Londres : stèle avec inscrustation d’émail bleu de la vache Hathor (Belmore, pl. V) .
10. Londres : fragment de stèle 8 1 3 dédiée à Aménophis I er (Sharpe, II, pl. 80).
1 1 . Le Caire : stèle 162 : le scribe Ramosé et son courrier Penboui (Lieblein, 993) ( 2 ).
12. Le Caire : phallus dédié à Hathor ( Rapport îgsy, p. 3 g-Ao).
(1) Cette stèle, attribuée par erreur au musée du Louvre par Maspero, Histoire . t. II, p. 1 5 9 5 contient
une faute commise par le lapicide dans la graphie du nom et du titre de l’épouse de Ramosé. Il faut lire
et non pas : La stèle de Qadesh du
Louvre est dédiée par Houy et sa famille (Boreüx, Guide, t— II, p. 479). La même graphie Ouia pour
Mautemouia se lit toirfbe n° 336 (Rapport 192/1-1925).
W Lieblein donne cette lecture erronée de la stèle : J ^ ^ ® jf| fl . On peut constater
( Rapport 1926, p. 73, fig. 54 ) que le titre de parenté *• — ainsi indiqué n’existe pas.
U
B. BRUYÈRE.
Le nom de Ramosé, qui est de l’époque Ramesside et surtout du règne de Ramsès II
est porté à Deir el Médineh par plusieurs hommes de souches différentes et con-
temporains. Ils se différencient par les titres de fonctions et la généalogie; mais le
môme individu peut avoir porté plusieurs titres simultanément ou successivement
ou bien ces titres peuvent être omis. Quant à la généalogie, on sait que les indications
telles que ne suffisent pas à certifier une parenté réelle mais dénotent
seulement une différence de génération. De tous les Ramosé connus comme fils de
Raouben, Dja'ï, Doua, Qaha, Houy, Neferabou, Àmenemheb, Khabekhent Sen-
nedjem, etc., il est certain que plus d’un se trouve cité plusieurs fois avec une pater-
nité différente en vertu de l’imprécision des termes de filiation qui confondent un
fils, un gendre et un neveu.
Celui qui nous occupe était fils d’Amenemheb. Comme la fonction est généralement
héréditaire, cet Amenemheb devait être le scribe dont la palette, au musée de Turin,
donne ces noms : si t 1 * 3 ç t v - ®flj|L La stèle de la
collection Lidman (Touraieff) et le pyramidion de Ramosé à Turin confirment cette
paternité qui se trouve mentionnée également dans les tombes n os 7, 2 5o appar-
tenant à Ramosé et sur certains monuments trouvés par nous en 1989. (La stèle
Lidman de Moscou donne à Amenemheb le titre +K1-15T)-
Amenemheb était apparenté directement ou par son épouse Kakaia aux grandes
familles de Neferhotep, Nebnefer, Haï, Khabekhent, Pached, etc. Ramosé, par son
mariage avec Mout-em-ouia, se trouva à son tour allié aux maisons de Qaha, Nefe-
rabou et Maaninakhtouf.
Presque toutes les tombes du règne de Ramsès II mentionnent ce couple ou bien
l’un ou l’autre des deux époux (tombes n os 2, 4 , 5 , 210, 212, 2i5, 323 , 335 ,
336 , etc.).
Mais aucune généalogie contenue dans ces monuments funéraires ne nous ren-
seigne sur la descendance de Ramosé. Les graffiti de la montagne et les ostraca sont
également muets sur ce sujet. A ne consulter que ces documents, on pourrait donc
conclure que Ramosé mourut sans héritier mâle et peut-être même sans aucune
postérité.
Pourtant une autre source d’information constituée par les objets cultuels et par
les inscriptions des chapelles funéraires de Ramosé (n os 7, 2 5 o) laisserait supposer
le contraire. On trouve en effet les indications suivantes :
1 . ( Rapport 1 ga 3 -i gaâ, p. 47 et pl. XII). Table d’offrandes de Ramosé et de
Kenherkhepeshef. On lit sur la tranche droite :
(cette table d’offrandes fut trouvée au tombeau n° 216
de Neferhotep avec celles de Neferhotep, Pached, Panakhtemouast, Amennakht et
Amenemipet. La tombe n° 216 est voisine des tombes n os 7 de Ramosé, 265 d’Ame-
nemipet et 266 d’ Amennakht).
15
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
2 . (. Rapport 1 g3â-ig35, Village, p. 354 ). Siège de scribe en calcaire marqué
aux noms de Ramosé et de Kenherkhepshef :
P'ï'VcrUcflïTCT' ^ eS ^ acunes texte ce douter de l’attri-
bution à Ramosé de cette paternité, d’autant plus que certains graffiti relevés par
Spiegelberg corroborent celle qui est donnée par la table d’offrandes; ils disent en
effet : + *.£*•
Il y a cependant des raisons pour que les deux noms soient rapprochés de cette
façon; mais dans l’attente d’autres preuves, il faut laisser en suspens cette hypothèse.
3 . D’autre part les inscriptions de la tombe n° 7 de Ramosé nomment deux per-
sonnages dont la place dans les représentations semblerait indiquer une très proche
parenté avec Ramosé, ce sont :
•a £ "
1 □
IfJ
et pour père de Roukentouf (stèle de Stockholm : Mogensen, p. 46 , ostraca Carnarvon).
Mesou est donné comme -fils d’Apoui ( Rapport 1 g 3 â-i $ 35 , p. 43 et Louvre :
stèle C. 280). Il aurait pour frère Kenherkhepeshef et pour fils Amenemipet. Ce
nom se retrouve sur le fragment de stèle n° 200 de Strasbourg et cette fois en con-
nexion avec celui d’Amenemheb :
Il se pourrait que cet Amenemheb fût le père de Ramosé, ce qui établirait alors un
lien de parenté entre Ramosé, Mesou, Amenemipet et Kenherkhepeshef sans toute-
fois aller jusqu’à une filiation directe.
4 . Enfin les inscriptions de la tombe n° 212 ( Rapport 1 ga 3 -i gaâ, p. 65 ) et la
stèle de Londres (Belmore, pl. V et Recueil de Travaux, II, 186) donnent : | ^
(Belmore) 1 — f 7 * à!?# Z? IM- •; *• • • (*»“*«
n° 212). Ce Ptahsankh qui n’est pas connu par ailleurs semble avoir été plus qu’un
serviteur ordinaire. Il pourrait avoir été comme Hési-sou-nebef ( ff) P ^ ) un
serviteur né dans la maison de son maître Û) fruit de 1 union de celui-ci avec quelque
concubine ou fils adoptif.
En l’absence de document plus probant, on doit s’en tenir provisoirement à la
solution d’un manque de progéniture mâle chez Ramosé. Ce qui le laisserait croire
c’est l 'ex-voto d’un genre assez particulier que notre scribe royal dédia à Hathor pour
obtenir les faveurs des servantes de la déesse de l’amour. Ce monument du musée
du Caire représente un phallus dressé sur un socle portant cette double inscription :
a . nT!?f lMfV*TJUm.lSÏ ¥I-JT-
(l} Rapport 1923 - 1924 , p. 4i, fig. 1 ,
16
B. BRUYÈRE.
(i) () adorée dont le désir est aimé de celui qui vénère (loue) la Désirée, fais que j obtienne les
faveurs des servantes de ton temple .
(B) Ô Hathor, dont tout homme garde le souvenir? fais que demeure (se perpétue )* dans la
maison de la déesse' (gynécée) avec moi (littéralement) : que se prolonge ma descendance dans mon
harem).
Ces textes volontairement obscurs et basés sur des calembours comme beaucoup
de textes religieux font intervenir des mots qui d’une racine verbale : ^ J et P}
conduisent à des dérivés substantifs : t mm» et p^] dont la traduction exacte
est ditlicile. Bien que le mot désir appelle le mot Désirée et que le verbe se rappeler
appelle le substantif souvenir, on sent que l’équivoque persiste et que l’expression
de la seconde et mystérieuse pensée reste énigmatique. On peut remarquer que
sont des appellations de la vache Hathor et qu’on peut en
déduire pour f J | ^ ] | un semblable sens (il existe une déesse cornue ^ J “ J).
Quoi qu’il en soit, la signification de V ex-voto, quant à sa forme particulière, donne
au texte qui le caractérise une portée génésique indubitable. L’opposition du désir
au souvenir est certainement le point fondamental de l’inscription.
Un tel ex-voto n’est pas exclusivement égyptien ; dans toutes les anciennes civilisa-
tions il a toujours eu pour motif le même souhait de postérité.
Mautemouia, épouse de Ramosé, faisait partie de la philè des servantes d’Hathor :
(ÜPH5ZH0 ....
Il est possible qu’elle n’ait pas répondu à ses désirs puisque Ramosé fut contraint
de demander l’intervention d’Hathor. Le texte (A) laisse entendre que Ramosé aurait
fait appel à plusieurs servantes de la déesse et le texte ( B ) révèle qu’il les aurait
introduites dans sa maison et se serait ainsi constitué un véritable harem.
Cette déduction pourrait rendre compréhensible le fait que Ramosé possède en
dehors de la tombe n° 7 qui ne comporte qu’une chapelle sans caveau et de la tombe
n° 212 complète, une troisième tombe n° 2 5 o, baptisée par certains «tombe du
harem de Ramosé» parce qu’elle ne montre dans les décorations de sa chapelle que
des momies de femmes (fi.
Parmi les neuf momies et les nombreuses femmes vivantes qui y sont honorées,
quelques-unes sont de ses parentes, d’autres sont des servantes J- J|; quelques-
unes aussi ont porté le titre de : | j p 1 1 > — » (Ç] mais presque toutes ont un lien de
parenté du côté féminin ^£(1-) lien très relatif peut-être, lien de
confrérie analogue à celui qui dans les congrégations religieuses modernes répond
aux appellations : ma mère, ma sœur, etc. En tout cas Ramosé n’intervient dans
aucun de ces titres de parenté. Par ailleurs Hathor y reçoit un culte particulier qui
rend plausible la corrélation entre cette tombe de femmes et Y ex-voto signalé ci-dessus ;
en effet, une des scènes principales de la paroi nord représente l’adoration de la
Vache Hathor.
Rapport 1926, p. 59-74 et pl. V à VIII,
17
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH ( 1935 - 1940 ).
On a vu que Ramosé présente cette singularité de posséder trois tombes : le n° 2 5 o
qui ne semble avoir abrité que des femmes, le n° 212 (fi qui comprend les quatre
éléments constitutifs : cour, chapelle, puits, caveau et enfin le n° 7, incomplet,
qui ne comprend qu’une cour et une chapelle au nom de Ramosé. Au centre de cette
cour se trouvent bien un puits et un caveau n° 265 mais ils appartiennent au scribe
royal Amenemipet dont la chapelle n° 2 1 5 est située loin de là, sous la falaise
du nord et près du temple de Deir el Médineh.
Le caveau n° 265 est de l’époque de Sethi I er et Amenemipet y porte les titres de
jj 2 et de ^ jfj, qu’il porte également dans la chapeüe n° 2 1 5 et qui est aussi
attribuable à la même époque. La chapelle n° 7 de Ramosé est du règne de Ramsès II
et son propriétaire y porte seulement le titre de alors que dans la tombe
n° 212, il s’intitule ^ . Il semble résulter de cela que le caveau n° 2 65 est anté-
rieur en date à la chapeüe n° 7. Comment expliquer cette communauté de sépulture
entre deux scribes royaux presque contemporains? La raison de parenté est, malgré
la palette de Turin et la stèle de Moscou, impossible à certifier puisque l’on a les
deux filiations indépendantes :
+ + statuent 6910).
(Nakht est peut-être le Pa-nakht de la table d’offrandes citée ci-dessus et peut être
encore le Pa-nakht-em-ouast d’une autre table d’offrandes trouvée au même endroit;
car certains noms sont tantôt écrits avec l’article, tantôt sans lui et certains parti-
culiers portent en plus de leur nom, soit un surnom, soit un «beau nom»).
Comme ü 11’apparaît aucune trace de spoliation, d’usurpation et de réaffectation
dans les tombes n os 7 et 265, il faut chercher ailleurs le motif de leur association.
Or on constate que les scribes, et surtout les scribes royaux, occupant dans la troupe
artisane le rang hiérarchique le plus élevé, ont toujours placé leurs tombeaux aux
points les plus hauts de la nécropole de leur temps et toujours au-dessus de celles
des chefs de travaux placés sous leurs ordres pendant la vie. On constate aussi que
sous la XVIII e dynastie et un peu moins sous les deux suivantes, certains particuliers
dissociaient en deux parties les éléments de leurs tombes; les superstructures, couf
et chapeüe, accessibles aux vivants d’une part, les hypogées, puits et caveau, réservés
aux morts d’autre part, et parfois à grande distance les uus des autres.
Il est donc possible qu’ Amenemipet qui précéda Ramosé <Jans les fonctions de
scribe royal creusa son hypogée le premier, juste au-dessus du mausolée appartenant
au chef de travaux Neferhotep (n° 216) mais comme Ramosé était déjà scribe de la
(1) Rapport 1923-1924, p. 64 , pl. II, XIX.
M G. Jourdain, Mémoires L F. A. O., LXXIII. La tombe du scribe royal Amenemipet.
3
18
B. BRUYÈRE.
Place de Vérité et avait droit à la même situation dominante, le partage de l’empla-
cement était la seule solution possible tout en laissant distinctes les deux sépultures
puisque les deux familles étaient vraisemblablement distinctes.
Il y a lieu de signaler une présomption pour que le ^ I1I1I J v ; '_, | Bjjj |
mentionné sur un fragment de stèle ^ soit le scribe royal, car ce titre peu répandu
et seulement porté par cinq ou six hommes de Deir el Médineh sous la XIX e dynastie,
se retrouve dans la tombe n° 7 et porté par Mesou comme on l’a vu ci-dessus. Il
semble que ce titre, à tournure étrangère, ait quelque rapport avec les fonctions
administratives de certains scribes préposés aux transports de matériaux et aux
déplacements royaux.
Les renseignements que l’on possède sur le curriculum vitae de Ramosé se résument
à sa titulature et à la teneur d’un ostracon. Étant donné que la fonction de scribe
était, comme beaucoup d’autres, héréditaire, et que l’avancement dans cette carrière
dépendait en grande partie de la faveur du vizir en exercice, on doit probablement
supposer qu’il ne débuta pas comme simple Sdm-ash et qu’on ne doit pas voir en
lui le ' 7 ' S! de la stèle de Florence, car on ne connaît pas de scribes portant en
même temps le titre de Sdm-ash. L’indication : 7^ gravée
sur le dos de sa statue n° 1 1 3 tout en se rapprochant du qualificatif | 1 "T r donné
à Ptahsankh dans la tombe n° 212 et à Hesisounebef dans la tombe
n° 216, doit ici avoir plutôt un sens religieux analogue à celui de prêtre que le sens
d’esclave ou de serviteur bien qu’on sache que le recrutement du personnel de la
nécropole avait pour une de ses sources l’élément étranger ramené comme butin
de guerre par le roi et donné par lui au temple d’Amon de Karnak. Ramosé commença
donc comme simple scribe et il gravit rapidement les degrés de sa profession :
. Notre stèle (207) fig, 169, malheu-
reusement incomplète et très originale de composition (la divinité invoquée n’est
pas figurée), contient un texte qui semblerait indiquer que Ramosé aurait eu des
accointances avec un vice-roi d’Ethiopie et aurait exercé auprès de lui d’importantes
fonctions. Ce prince rai 4 "’ ro y a b gouverneur de Koush n’est pas
nommé mais sa titulature : — * n n n | | supérieur des Trente, ^ ( îmj-
^ ^ et les privilèges dont il se targue pourraient sans doute l’iden-
tifier (on a trouvé dans le temple la statue du vice-roi Ousersatit et des fragments
d’une autre statue ( 3 i, 54 ). Serait-ce l’énigmatique 4 = ^ î de n °f re
stèle (291) *. En tous cas le culte ici témoigné par Ramosé vis-à-vis de ce fils
royal paraît inspiré par la gratitude envers un protecteur. Ramosé s’intitule
S-^"nTn = Klf-=i2-
Sur son pyramidion de Turin, il porte ces différents titres : ^ IvJ ^ T' 4 =
(1) Rapport 1934-1935 (Village), p. 202.
19
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
Et notre stèle (87) lui décerne les qualificatifs suivants :
rntj-Tiif que l’on retrouve sous cette forme réduite : ^ ^ sur plusieurs socles
de ses stèles.
Enfin la stèle (120) le titularise jü!! JJ Mt'I J titres qu’on
retrouve presque semblables sur la stèle ( 35 ).
Les fils royaux de Koush du règne de Ramsès II furent : Amenemipet fils de Paser,
Iouni, Heqanakht, Paser II, Setaou. Le vice-roi Paser II serait, d’après F. Petrie, le
vizir de Thèbes, ce qui identifierait le fils royal de notre stèle 207 et expliquerait
9 les relations constantes entre Paser et Ramosé.
La protection du vizir Paser ne fut pas étrangère à son élévation en grade car il
fut scribe des archives du pacha et trésorier — ‘JL*’ 4^iî’ 7ÜÎ ^ ^ $1 T 1 ainsi
que l’indique l’inscription de sa statue D. 43 de Leyde. Il cumula ces emplois avec
celui de scribe des troupeaux du temple d’Amon de Karnak | j ©
(Jambage n° io 4 ); ce qui ne veut pas dire qu’il résidait obligatoirement sur la rive
droite, car le cheptel d’Amon pâturait sur la rive gauche. Le titre j|j 4 “ H * «Ti
qu’il porte ne signifierait pas littéralement la légitimité de sa fonction ou la manière
juste dont il s’en acquittait, mais ferait de lui une sorte de juriste versé dans la
procédure des Kenbet du village et rendant la justice dans le tribunal corporatif de
la nécropole. Le texte de la stèle n° 120 laisse entendre que le rôle dû jjlf est de
veiller à l’observance de la loi "v 1 7 1 1 1 "| j * j | f ■= 1 2 ? il) P •
En l’an Y du règne de Ramsès II il était déjà scribe du temple funéraire de
Thotmès IV et même scribe du trésor de ce temple : (®“ÏTT)| ’ $1 T 3 ^7
"j (statue D. 43 , Leyde) lorsqu’il fut nommé scribe dans la Place
d« Vérité : ~ n î (Il P * 1 ~ (^£\ Î » s I ~ U i jp* - i » i I
Doit-on entendre par là le véritable temple royal ou seulement la chapelle votive de
ce roi à Deir el Médineh? Comme il paraît avoir exercé des fonctions semblables pour
Horemheb, Aménophis I er et Ramsès II dont les cartouches sont gravés sur sa statue
n° 1 1 3 et sur les stèles n os 87 et 88 et dont les images sont représentées sur le cham-
branle de l’entrée de sa chapelle n° 7, on concevrait difficilement qu’il fût question
d’un cumul de charges réelles dans plusieurs temples funéraires royaux à la fois.
Ou bien, conformément aux usages, semblables réunions de titres sur une seule
tête n’étaient que prébendes aussi honorifiques que lucratives, ou bien l’hyperbole
orientale baptisait du nom de temples les modestes chapelles votives de ces souverains
dans Deir el Médineh.
{l) J. Cerny , Catalogue général du Musée du Caire : Ostraca kiératiques, fasc. III, p. 7 5 *
3 .
20
B. BRUYÈRE.
En acceptant la première hypothèse et en ajoutant ce surcroît d’honneurs et de
profits aux autres grades et emplois à bénéfices déjà mentionnés, le total réalisé par
Ramosé dit éloquemment la réussite de sa carrière. Il ne lui manquait que quelques
échelons pour en atteindre le sommet, c’est-à-dire le poste de Vizir. S’il n’y parvint
pas, la longévité de Paser ou sa propre fin prématurée en furent peut-être les véri-
tables causes. La date de sa mort sera probablement établie un jour à l’aide des
recoupements de renseignements fournis par la collection d’ostraca que l’on possède.
On ignore dans quelle tombe il fut inhumé car si l’on a retrouvé quelques pièces
du mobilier funéraire de sa chapelle, on n’a pas encore découvert le moindre objet
mobilier de son hypogée. Le papyrus 10 du Musée du Caire mentionne la pyramide
funéraire de Ramosé : XVIXA n 1 v les restes subsistent au-
dessus de l’entrée de la chapelle n° 7 ( Rapport 1 ga 3 -i gaâ, p. 10).
Par contre la grande quantité de monuments de piété qu’il dédia à toutes les
divinités du panthéon officiel et populaire constituerait le meilleur témoignage de
la sainteté de sa vie si le succès de sa carrière ne suggérait l’idée que tous ces ex-voto
n’étaient point désintéressés. Porté par la faveur du ciel et celle du Vizir jusqu’à
une situation élevée qui lui permettait à son tour de protéger sa famille et ses amis,
Ramosé, fidèle à la coutume, fit profiter son entourage des privilèges attachés à son
poste. Aussi constate-t-on que la majorité des statues et des stèles trouvées dans le
temple en 1989 est celle de ses proches et de ses intimes qu’il sut associer à sa
fortune et que, par exemple, son voisin de tombe Penboui (tombe n° 10) fut promu
successivement jM~T J!L 'J-! W» | \ ~ ffff j f et devint donc
l’assistant, le Wakil du scribe royal (stèle du Caire n° 998). Parles nombreux monu-
ments dédiés à Hathor par Ramosé et par les titres que portent ses proches dans la
tombe n° 2 5 o , il est évident que toute cette famille faisait partie d’une confrérie
vouée au culte d’IIathor.
Essai généalogique de Ramosé :
^ H Amenemheb -f- Kakaia 4 1 ff| Houy -f- Nefertkhaou
I 7 j
4 = H Ramosé -p Moutemouia
|| Kenherkhepshef (?)
NOTE 2
SUR LA TITULATURE DU VIZIR PASER
La titulature du Vizir Paser, fils du grand prêtre d’Amon Nebneterou, est déjà
connue par les ouvrages de A. Weill, Die Veziere; de Wreszinski, Hohenpriester ; de
G. Lefebvre, Histoire des grands prêtres d’Amon, p. 1 36 ; nous devons mentionner ici
les titres relevés sur nos trouvailles de 1989-1940 afin de compléter, s’il y a lieu,
la documentation biographique de ce personnage qui fut peut-être vice-roi de Koush
avant d’être vizir.
1. jT ~ pacha
2. secrétaire (garde du sceau)
3. •î'V?ïiî P réfet ( de la ville )
du nord et du sud
4. npï*— *= directeur du trésor du
maître des 2 terres
5. chef de la corporation
dans la Place de Vérité
6 . -i. f * \ c hef des c hefs du
royaume ?..
7 - +ÏI 2 scribe royal légiste
8 . ^ jjj j j scribe royal dans la Place
de Vérité
9. 3c. I ♦ jf "TT* A, - flabellifère à la
gauche du roi
1 o . A—* ^ aimé de son maître
(homme de confiance)
11. hautement apprécié
du roi (loué grandement du dieu
bon)
ptis/ji admis dans l’intimité de
son maître (le favori de sa ma-
jesté)
i 3 . grand en tous ses emplois
‘A. JTIIS Elevé
en dignité de prince en tête des
sujets (riche en décorations prin-
cières devant la nation)
1 3 ■ ^ j S favori dans la Place de
Vérité (qualificatif élogieirx dont
on trouve d’autres formes :
* '= ( 358 ),^* -Jwou^r)
4
NOTE 3
UN NOUVEAU VIZIR : NEHI
Le vizir Nehi est jusqu’ici inconnu, mais il existe à Gournet Marei une tombe dont
l’emplacement est indéterminé, d’un Nehi fds royal, gouverneur des Pays du Sud,
inspecteur de la Salle de Justice, qui vécut sous Thotmès III (B. Porter et R. Moss,
Bibliography Theban Necropolis, 19 4 ).
Les documents relatifs à ce personnage sont cités et commentés par :
G. A. Reisner, Journal of Eg. Arch., t. VI, 1920 : The Viceroys of Ethiopia.
K. Sethe, Urkunden der XVIII Dynastie, t. I.
Breasted, Ancient Records of Egypt, II et American Journal of Semitic Language, 1908,
p. 47-48.
W. Budge, Egyptian Sudan, t. I.
Le? sus. Denkmaler, Texte, V.
E. Naville, The XIth Dynasty temple at Deir el Bahri, III, p. 3 , pl. XI A.
H. Gauthier, Recueil de Travaux, t. XXXIX, livre 3 - 4 , p. 189. Ixs Fils Royaux de Kouch.
G. Steindorff, Aniba, Band II, 1987, signale un linteau de porte d’un entrepôt
du Nouvel Empire qui représente le Fils Royal, chef des Pays du Sud, Nehi, adorant
la déesse des subsistances Rannout.
Le sarcophage de Berlin, le pyramidion de Florence, les oushebtis de bois
du Ra'messeum trouvés par Petrie et la statue votive décapitée de Deir el Bahri
trouvée par Naville sont du même Nehi et proviennent, sauf cette dernière, de sa
tombe.
Glermont-Ganneau et Glédat ont trouvé à Eléphantine une statue du
ISI* qui est aujourd’hui au Musée du Caire (n° 58 o du Guide du Visiteur, Mas-
pero) cité par G. Daressy, Annales, t. XX, p. i 43 : la princesse Amen Mérit.
Notre statue n° 25 i (fîg. 179), fascicule II, est aussi une statue votive, placée
comme l’autre dans un temple d’Hathor. Sa datation est hypothétique; bien qu’étant
en calcaire, elle peut être attribuable à la XVIII e dynastie, quoique son style ne diffère
pas de celui des autres statues de vizirs de l’époque ramesside.
Les cas d’homonymie constatés chez les vizirs d’une part, et chez les Fils royaux
de Koush (Amenhotep dit Houy, Thotmès, Paser, Amenemipet, Ilory, Panehsi, etc,)
d’autre part, incitent à la plus grande prudence dans l’identification des uns aux
autres.
23
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH ( 1935 - 1940 ).
Toutefois les titulatures de ces hauts dignitaires montrent qu’il n’y a pas d’in-
compatibilité entre des fonctions successives ou simultanées à Thèbes et en Ethiopie B).
Nehi, favori du roi en Nubie, était en même temps Kerheb d’Amon, chancelier, ambas-
sadeur, toparque. D’autres gouverneurs des Pays du Sud étaient préposés au cheptel
d’Amon, aux constructions royales en Haute et Basse-Egypte, flabellifères à la droite
du pharaon, attachés à la Double Maison de l’Argent.
La stèle de Bonn (Wiedemann et Portner, Aeg. Grabsteine undDenksteine aus verschiedenen
Sammlungen, III, n° 18, pl. VII) montre qu’on pouvait être vice-roi d’Ethiopie après
avoir été maire du palais à Thèbes.
Les exemples de Setaou, maire de Thèbes et de Hrihor, vizir-préfet de Thèbes
et tous deux vice-rois de Koush, pourraient entraîner le même cumul chez Paser et
dissiper à son sujet l’incertitude que l’absence de ce second titre dans la tombe
n° 106 de Paser à Thèbes laisse subsister, quoi qu’en dise F. Petrie dans History
of Egypt, III, p. 98 W.
Tout cela constitue quelque présomption en faveur de l’identité du Nehi, vizir de
Thèbes et du Nehi, gouverneur des Pays du Sud, sans cependant constituer une
preuve absolue. En attendant cette preuve, nous soumettons la suggestion en faisant
remarquer que le temple de Deir el Médineh contenait la statue votive du Fils royal
de Koush Ousersatet, successeur de Nehi (C. Maystre, Mémoires de VI. F. A. O., LXVI,
p. 657-663 : Une statue d’ Ousersatet, vice-roi de Nubie sous Amenophis II) et celle du
flabellifère à la droite du roi Amenmès (n° 2^9), fig. i 83 ,i 84 .
Ousersatet était pacha, enfant élevé dans la nursery royale, ami unique, grand du
palais royal, trésorier du roi, préposé au domaine de Meidoum.
Amenmès était pacha, préposé à la double maison de l’or, anobli par le roi, créature
royale ayant ses entrées chez le roi, plein de dignité et confident du dieu bon. Une
titulature aussi magnifique laisse présumer pour ce dernier qu’elle devait se com-
pléter par d’autres fonctions qui précédèrent, accompagnèrent ou suivirent celles
qui sont énumérées sur sa statue. Les flabellifères étaient en général gens hauts
(,) Cf. Chronique d’Egypte , n° a 4 , 1987. Fouilles d’El Kab, statue bloc d’un + Vr-+Kl
(S) Reisner remarque que les inscriptions relatives à Nehi datent des années 2, 20, 93, 25 , 59 du
règne de Thotmès III, ce qui fait ressortir deux intervalles énigmatiques entre les années 2-20 et 2 5 - 52 .
Le premier correspond au règne d’Hatshepsout pendant lequel Nehi aurait cessé d’être vice-roi d’Ethiopie.
Remplacé à ce poste par Seni, que devint-il dans ce laps de temps? Si son départ fut une disgrâce d’Hatshep-
sout et son retour une réparation de Thotmès III, il est évident que sa retraite momentanée est sans histoire
et s’accommode du silence. Si, au contraire, il fut rappelé du Sud par faveur de la reine et nommé préfet
de Thèbes, il est logique qu’il n’ait pas mentionné sa courte vice-royauté sur sa statue de Deir el Médineh
qui date de son vizirat. Par contre, sur celle de Deir el Bahri, probablement postérieure à l’an 20, il
néglige d’inscrire ce titre provisoire pour reprendre l’autre, plus important sans doute, lorsque Thotmès
régnant seul, l’a réintégré dans ses premières fonctions. Simple hypothèse en attendant d’autres données
biographiques sur le vizir Nehi inconnu jusqu’ici. La permutation sans défaveur expliquerait pourquoi
Nehi et Seni n’ont pas effacé respectivement le nom de leur remplaçant dans l’inscription de Semneh.
4 .
24
B. BRUYÈRE.
en cour et nantis de ce privilège en raison de services effectifs rendus dans des postes
élevés. Cet Àmenmès pourrait être le propriétaire de la tombe n° 118 de Sheikh
Abdel Gournah qui justement porte ce seul titre de flabellifère, donné, on le sait,
aux vice-rois de Koush depuis Mérymès sous le règne d’Aménophis III car cette
tombe n° n8 est datée de ce règne. D’autre part, on connaît sous Ramsès III un
vizir Amenmès, flabellifère (fragment de table d’offrandes 6087 de Turin complété
par un autre fragment trouvé par nous ; voir : Mert Seger à Deir el Médineh, 1. 1 , p. 46 ,
note 1 et t. II, p. 226, fig. 11 5 ). Auquel des deux appartenait la statue n° 24 g?
Il est attesté par de nombreux exemples que les tombeaux et les objets tels que
statues, stèles, tables d’offrandes, etc!, ne contiennent pas toujours la totalité des
titres d’un personnage, soit par manque de place, soit parce que certains titres
furent obtenus postérieurement à la facture de ces monuments. On ne serait pas
surpris alors que le flabellifère Amenmès eut été soit le possesseur de la tombe 118
soit celui de la table d’offrandes 6087. Il y a toutefois plus de chances pour la pre-
mière de ces identifications. Quoi qu’il en soit, on voit que tous ces hauts digni-
taires, vizirs, vice-rois, flabellifères et autres, avaient à coeur de déposer des ex-voto,
principalement leurs statues, dans les sanctuaires de la rive gauche. Pour s’en con-
vaincre, il n’est besoin que de lire les rapports de fouilles à Deir el Bahri, à Médinet
Habou, au Ramesseum, au temple d’Ouadjmès, au spéos de Mert Seger et au temple
de Deir el Médineh. La plupart de ces monuments de dévotion sont dédiés à Hatlior.
Leur but était-il de piété désintéressée ou d’attirer sur leur donateur la faveur divine
en même temps que l’attention royale afin d’obtenir aussi bien la grâce miraculeuse
d’une guérison que la satisfaction d’une visée ambitieuse?
Pour Nehi, si le vice-roi et le vizir sont un seul et même homme, on peut se
demander si sa statue votive de Deir el Médineh est antérieure ou postérieure à celle
de Deir el Bahri et, par ce moyen, savoir dans quel ordre hiérarchique se plaçaient
le vizirat de Thèbes et la vice-royauté d’Ethiopie.
Pas plus dans le Dictionnaire de Lieblein que dans les Personnen Narnen de Ranke
ou dans le Wôrterbuch do Berlin, il n’est fait mention d’un Vizir du nom de Nehi
au Nouvel Empire ou même avant.
Etymologiquement, Nehi, donné comme un sobriquet du dieu soleil et apparenté
plus ou moins au mot « éternité : Nehe» serait employé en guise de qualificatif pour
signifier l’obtention par la prière des faveurs célestes ou encore le désir des grâces
divines.
Lieblein et Ranke signalent, d’après le Catalogue de Mariette, l’emploi assez fré-
quent du patronyme Nehi au Moyen Empire, surtout à l’époque des Menthouhotep
et le plus souvent pour des femmes. Par contre on ne l’a pas rencontré jusqu’ici
sur des monuments du Nouvel Empire. Sa présence exceptionnelle sur un socle de
statue de Vizir trouvé dans le temple ramesside d’IIathor à Deir el Médineh, pas
très loin, il est vrai, des tombeaux des Menthouhotep, mais cependant en un site
25
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
occupé surtout à partir du début de la XVIII e dynastie; l’unique tombe d’un vizir
Amenemhat appartient au Moyen Empire ( Rapport îgag), inciterait à penser que ce
nouveau vizir, doté d’un nom fréquemment donné au temps des Menthouhotep,
pourrait avoir vécu à une date aussi proche que possible de la fin du Moyen Empire
et du commencement de la XVIII e dynastie.
Pourtant la matière et le style de notre fragment de statue sont tellement semblables
aux fragments de statues d’autres vizirs de la XIX e dynastie que l’on peut hésiter à
classer Nehi à une époque antérieure.
NOTE k
SUR LE MOT iJMn
Sous la dénomination générale de socles (socles de laraires, de stèles, de statues)
sont cataloguées dans nos rapports de fouilles, des dalles de calcaire, de grès, voire
de granit et même de bois, d’une épaisseur variant de o m. o 2 à o m. 1 o, quelquefois
davantage, d’une longueur allant de 0 m. 20 a 1 mètre et d’une largeur comprise
entre o m. o 5 et environ o m. 5o.
La largeur du socle est la dimension qui en détermine la destination. Laissant de
côté les socles de statues qui ne sont que des fragments de celles-ci pour la plupart,
nous ne considérerons que les socles de stèles et de laraires. Les stèles étaient fixées
aux murs, soit au niveau du nu, soit dans un renfoncement plus ou moins profond.
Cette cavité pouvait se creuser jusqu’à atteindre les proportions d’une niche ou
autrement dit d’un naos. En général, sauf dans le cas des lucarnes de pyramides
elle ne dépassait pas une profondeur de quelques centimètres. Mais ces stèles ainsi
appliquées aux parois et le plus souvent arrondies à leur sommet jouaient en quelque
sorte le rôle de fenêtres ouvertes sur l’au-delà, un au-delà figuré par les représen-
tations divines gravées sur la pierre comme vues au travers d’une vitre. En archi-
tecture, toute fenêtre comporte à sa base une pierre plate, débordante, qui assure
la solidité des montants et du cintre ou du linteau. Toute stèle avait donc une base
semblable et sur la tranche antérieure visible de cette dalle, plus ou moins longue,
large et épaisse, était gravée une inscription dédicatoire mentionnant la divinité
honorée, le nom du donateur et parfois l’indication du genre de monument votif
auquel elle appartenait.
C’est ainsi que l’on peut lire sur la tranche d’un socle trouvé en ig 35 , publié
dans le Rapport de 1 g 3 â-i g 35 (village), p. ig 3 , 3 o 6 , pl. XIX, n° 2 :
et sur deux dalles de même espèce (i 43 ), (i 4 g) trouvées en 1939 :
(‘«J
La stèle n° 278 du British Muséum contient cette phrase dite par Kenherlihe-
peshef :
27
FOUILLES DE DE1R EL MÉDINEH (1935-1940).
(col. 9) TT I g M " H~l ^ « J ai fait, des stèles dans le temple
divin . . . ».
Et ce mot dont la graphie usuelle est 'f ^ f , | ^ précise qu’il s’agit
bien d’une stèle qui est supportée par la dalle inscrite. Aussi cette dalle ne mesure-
t-elle que la faible largeur suffisante à son encastrement dans le mur, à sa fonction
de support et à un léger débordement en avant.
Toute autre est la dalle d’un laraire car elle constitue, en tout ou en partie, le
plancher d’un vrai tabernacle pour statue. Sa largeur est en proportion de la grandeur
de l’image contenue dans ce naos.
Le Rapport de 1 g 3 Ù-i g 35 (village), p. 195, pl. XIX, n° 1, a eu l’occasion d’exa-
miner cette seconde sorte de socle et en conclusion,, de montrer que le mot par quoi
débute son inscription ne peut désigner qu’une niche à statue (ou à buste) située
dans le mur d’une maison, d’un temple ou d’une tombe.
Sous la XIX e dynastie, à Deir el Médineh, ce mot se rencontre sur un socle trouvé
en 1935 (pl. XIX, n° 1) : .
Déjà la différence des déterminatifs entre ce mot et celui qui désigne la stèle atteste
qu’il est question maintenant d’un édifice, d’une sorte de local creux ou de maison ru
et non plus d’une pierre unique — pleine.
Le Wôrterbuch donne d’ailleurs cette définition, un peu vague et imprécise toute-
fois : | J [Zj. Mot féminin avec l’article nouvel égyptien, signifiant : « une cons-
truction dans la nécropole, une partie d’une tombe».
Les points à retenir sont que ce mot hbjt est de création récente, c’est-à-dire date
du Nouvel Empire; il est donc thébain; qu’il est particulier à la nécropole, donc
appai’tient à la langue parlée des ateliers de la rive gauche et enfin qu’il se rapporte
à un genre d’édifice qu’on peut trouver dans une tombe.
Ce dernier point est incomplet. Si en effet des niches à statues se constatent dans
beaucoup de tombes thébaines, elles ne sont pas à proprement parler une innova-
tion du Nouvel Empire et de la Haute-Egypte dans les coutumes funéraires.
Les sépultures des époques antérieures et des autres régions ont contenu des
réduits enfermant l’effigie du mort et le mot hbjt pourrait s’appliquer à ce que nous
avons baptisé du mot serdab ^ et qui en d’autres temps et lieux avait peut-être une
autre dénomination ou n’en avait pas encore de spéciale.
Mais ces niches, dont l’exemple le plus typique est la lucarne des pyramides abritant
la statue agenouillée du défunt présentant aux premiers rayons du jour une stèle
d’adoration au soleil levant, ne sont pas un privilège exclusif des tombeaux.
C> Maspero, Recueil de Travaux, t. II, p. 195 . Bruyère, Mert Seger, t. I, p. a5, 26 , fig. 16 .
(,) Le Q cz\ U- des mastabas.
28
B. BRUYÈRE.
Les fouilles du village des artisans à Deir el Médineh comme à Tell el Amarna
ont montré que les maisons possédaient de semblables tabernacles pour les cultes
privés des dieux et des ancêtres. Le socle de Haï cité plus haut en est une preuve
entre beaucoup d’autres.
Enfin les sanctuaires recélaient aussi, en plus des naos Un hd, des sortes
d’armoires à statues ainsi que l’ont vérifié par des textes le Docteur Ét. Drioton à
Médamoud et G. Lefebvre au tombeau de Pétosiris.
A Médamoud h) une inscription sur la statue de Maanakhtef, du règne d’Amé-
nophis II, contient ces mots : (inscription 354 ) :
« Fasse que cette statue de V officier du roi Maanakhtef reste intacte dans V intérieur de
la Salle de fête».
Quant à Pétosiris, en trois endroits différents de sa tombe et en des termes presque
identiques, il se glorilie des restaurations qu’il ordonna au temple de Thot à Her-
mopolis : «. . . Je construisis le sanctuaire des déesses à l’intérieur du temple de
Khmounou, ayant trouvé leur sanctuaire en état de vétusté, de sorte qu’elles
séjournent maintenant dans le temple de Thot, maître de Khmounou : c’est le pavillon
des déesses, comme on l’appelle, conformément au livre sacré ; la façade en est tournée
vers l’orient par devant le sanctuaire de la vache Aht. . . ».
Il semble, dit G. Lefebvre, qu’il s’agisse d’un pavillon ou kiosque, élevé dans le
péribole du temple de Thot, et où étaient vénérées conjointement plusieurs déesses.
La traduction de ces deux textes par les auteurs établit effectivement qu’il faut associer
le mot hbjt d’une part avec l’idée de fête § j lT1 et d’autre part avec une salle, une
tonnelle | J fTl hbjt qui serait un diminutif du sanctuaire en général, ou une cons-
truction particulière à la nécropole thébaine du Nouvel Empire.
La structure du mot appelle quelques remarques. L’abri ffl qui détermine ce
pavillon rappelle sans doute les lignes architecturales des bâtiments qui entouraient
la pyramide de Zoser à Saqqarah et que J. P. Lauer a pu reconstituer avec certitude.
A cet égard, sa forme remonterait donc aux premières dynasties, sinon plus haut,
et aurait pris naissance en Basse-Egypte. Mais l’arc surbaissé qui le plafonne se
retrouve à Deir el Médineh dans les voûtes de certaines grandes tombes, surtout
celles des chefs de travaux (n os 8, 216). De plus, cette courbe affecte souvent le
cintre des voûtes de briques usitées principalement en Haute-Egypte et au Nouvel
Empire.
(1) Ét. Drioton, Fouilles de Médamoud, textes, 1926, p. 2, 1 . 23 , p. 5 i, fig. 23 .
W G. Lefebvue, Le Tombeau de Pétosiris , description, p.8o, 102, 1 3 9 9 textes, 5 g, 61, 81 ; Worterbüch :
J c °fyt bfyt • salle des fêtes de temple, de palais.
29
»
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
C’est la courbe que prennent là les frontons des stèles, alors qu’ailleurs ils adoptent
la ligne horizontale des plafonds plats de pierre taillée ou de roche évidée, surtout
dans les districts du nord et aux époques plus anciennes. Elle peut être mise en
relation avec la forme régionale de la treille de vigne car au Delta, pendant l’Ancien
Empire, cette treille s’étale horizontalement sur des piliers disposés de place en
place tandis qu’elle s’arque en berceau dans le Saïd sous les dynasties diospolitaines.
L’influence de ce dispositif viticole se marque par la copie d’une treille sur les voûtes
de nombreuses tombes thébaines dont la tombe de Sennefer, dite «des vignes» est
un exemple frappant (aussi tombe n° 34 o). D’autres peintures murales dans la nécro-
pole montrent des tonnelles de feuillages sous lesquelles s’abritent dieux, rois et
simples mortels et qui s’incurvent au-dessus de leurs têtes.
On sait que dans les jardins des maisons de plaisance, un kiosque, un pavillon
de repos, une tonnelle, était le refuge idéal des maîtres qui y venaient « faire un
jour heureux», jouer aux échecs (kiosque Sn)se livrer aux délassements musicaux
et chorégraphiques, en somme donner un air de fête à un moment de leur existence.
Par ailleurs les temples avaient dans leur enceinte ou sur leur toit des kiosques
(Denderah, Philæ, etc.) où les statues des divinités étaient transportées à dates et
heures fixes pour y goûter la joie de la lumière et de la paix. Cette heure de plaisir
qui parfois n’excluait pas la pompe d’un cérémonial rituel donnait à ces pavillons
leur véritable signification idéographique et en faisait le lieu de fête le mieux approprié
au but visé.
Il s’ensuit que les sens proposés pour hbjt par G. Lefebvre et Ét. Drioton paraissent
être conformes à la vérité. Ils témoignent de plus, de l’existence de ces pavillons de
fête dans l’aire des temples. Le texte de Médamoud laisserait entendre que la niche
à statue de Maanakhtef se serait trouvée à l’intérieur de la salle hypostyle ousekh * ^j,
tandis que les inscriptions de Pétosiris suggèrent un emplacement en dehors du
sanctuaire et face au soleil levant. Pour l’un, simple mortel, la situation dans la
salle de fête du temple se conçoit par le désir de tout sujet de vivre sous le regard
du maître résidant au saint des saints. Pour les autres qui sont des déesses, leur
asile de bonheur serait mieux placé à l’extérieur, en façade orientale ou sur la terrasse,
puisque le maître, donneur de joie, est le soleil Rè qui ne peut visiter ses épouses
dans l’ombre des salles intérieures. On commettrait sans doute une erreur en
restreignant aux divinités féminines l’usage de la hbjt si l’on se réfère seulement à
Pétosiris, à Denderah et à Philæ. Ce n’est, dans ces trois cas, qu’une des destina-
tions de l’abri; comme peut-être la forme kiosque n’est qu’une des acceptions du mot,
réservée aux déesses. Ce kiosque ne serait en définitive qu’un lit à baldaquin,
une meskhent comme celle qui est peinte sur la paroi nord de la tombe n° 2 1 7
d’Apoui à Deir el Médineh, ou un genre de lit clos comme ceux des maisons du
village après le schisme d’Akhenaten; pour tout dire un agencement spécial aux
gynécées.
30
B. BRUYÈRE.
Une autre remarque s'impose au sujet du signe de la salle de fête fH Ù). La voûte
est soutenue en son centre par un étai vertical de formes variables. C’est tantôt
l’étançon shnt j, tantôt la colonne papyriforme w‘,d J (acceptée au Nouvel Empire
pour wd ) qui se présenté souvent sous la forme [ , | | , (combinaison de J wd, de
( shnt et de J in) tantôt enfin le végétal | wdj (ancien égyptien) 'f wd (nouvel
égyptien).
Ces différents signes servent à figurer le support central | de la voûte dans l’idéo-
gramme de la fête et certains d’entre eux f , J , étant homophones concourent à
la constitution du nom de la stèle
L’échange purement architectural et non phonétique de la colonne J pour l’étai Y
n’entraîne, à première vue, aucun rapprochement entre la pierre levée qu’est une
stèle et le pavillon de panégyrie. Tout au plus autorise-t-il à penser que la stèle wd
se situe dans la salle de fête, parfois en son centre comme la colonne wd et que les
égyptiens emploient fréquemment le contenant pour le contenu, la partie pour le
tout et inversement.
Quant au remplacement de la colonne J wd par l’objet 'f wd ce n’est probable-
ment qu’un jeu grammatical assez tardif associant la massue J hd ou d ’ l- y au lituus
w : «l association de même nature que celles de certains mots dans lesquels le signe
de la corde roulée e. se substitue au poussin ^ pour constituer un ensemble com-
posite ! 2 ) comme : $ wbl, 'f iiwt, y mhws (“^OS* 5 * »$).
En résumé le mot hbjt, signifie une sorte d’habitacle
à statue, lieu saint pour effigie de divinité ou de personnalité humaine, château
de Ka, abri d’honneur et pour mieux dire, demeure de fête où se repose en joie
l’image sacrée, divine ou mortelle. C’est une réduction de la salle hb comme celle-ci
n’est qu’une contraction du sanctuaire total, une partie du temple ou comme le
laraire n’est qu’un abrégé du foyer domestique et la niche de pyramide un diminutif
du tombeau.
Un socle de pierre dont l’inscription débute par | J üy. t“] es ^ P ar conséquent
l’élément de base d’un petit édicule de culte renfermant un buste ou une statue
et il trouve sa place aussi bien dans une demeure privée que dans une chapelle sépul-
crale ou un temple de divinité.
(1) La salle de fête fp| se lit encore s[i.
W Exemple : y ms canne de cérémonie WW ou
NOTE 5
SUR VOUSIRHAT CRIOCÉPHALE D’AMON
L’association des deux mots : Ousir et Hat ^ contracte en un seul terme :
Omirhat la majesté de la portion noble de tout être humain ou animal
et l’émergence de celle-ci au-dessus de la foule par l’érection de la tête au sommet
ct’un bâton d’enseigne.
L’idéogramme primitif du mot Ousir fut une tête de chacal plantée au haut d’un
piquet : probablement parce que ce pieu exprimait l’idée d’une situation domi-
nante et que le chacal, un des premiers animaux divinisés par les égyptiens, sous
le nom d’Anubis, apparaissait le matin ou le soir à l’orée du désert. Son épithète
la plus ancienne, prise au pied de la lettre n’ exprime-t-elle pas cette apparition :
• «•“* la tête ( sur ) son horizon; avant même de rendre la pensée d’une quasi souve-
raineté sur les arides immensités qui encadrent la vallée du Nil?
Intégré dans le mythe osirien, Anubis ( Imy Wt) personnifiait le stade intermédiaire
entre la mort d’Osiris et sa résurrection en Horus, jeune adolescent : PV* $)
dont la tête, (J) ou la face, (_*J émergeait en premier lieu du tertre Iat (,*,) comme
elle le faisait en d’autres cas de l’horizon montagneux (u).
L’équivalence graphique : X = V ^ désigne d’un mot le visage et le
faucon Horus et donne à celui-ci, dans le mythe solaire, une détermination céleste :
( * . — ,) égalise en valeur représentative la face du ciel, la face d’Horus et l’Horus
faucon intégralement considéré.
Généralisée de façon universelle dans la littérature comme dans l’art, l’expression,
jugée suffisante, de la totalité individuelle par sa portion significative, en l’espèce,
sa partie noble, comprenant non seulement le visage ou la tete, mais aussi le buste
humain ou le protome animal, a conduit naturellement a une identification réci-
proque assez fréquente du sens des mots : , f , ^ ‘
En vertu de ce principe d’assimilation, la désignation habituelle de VOusirhat
d’Amon : échange au papyrus de Turin n° 382, publié
par A. Gardiner contre la forme : ( 'ff? ^ | ™ J ) littéralement : la face d Aman;
et dans un texte cité par W. Spiegelberg (Aeg. Zeitschrift, 1926, LXII, p. 23 : Der
heilige Widderkopf des Aman) contre cette mention : (f j x 1 ^
Les figures de proue et de poupe ( de la barque sacrée d’ Aman) sont en or.
Nous verrons plus loin que dans les tombes n os 44 et io 5 de Gournah, 1 Ousirhat
est dénommé : °u (T 1 ^' — 1 ! “ J ) 5 équivalence de termes entre le
32
B. BRUYÈRE.
protome et la tête de bélier (cf. Ét. Drioton, Annales, XLIV, p. i4o). Les dédicaces
de Ptolémée Evergète II sur le deuxième pylône de Karnak : « Thèbes renferme le
TSëtam »; texte dans lequel Y Ousirhat et le bâton d’enseigne ne font qu’un.
L’intervention du prolome de bélier comme déterminatif du mot Shefit : (" j | _)
établit la syncrétique égalité de l’Amon criomorphe et d’Hershaft, bélier d’Héracléo-
polis, de la même façon qu’elle sera attestée par ailleurs avec les autres dieux bélier et
bouc Chnoum d’Eléphantine et Banebdad de Mendès. La conjonction intentionnelle :
Hr-Shefit, de la face et du protome de bélier est relative à leur identification et elle
qualifie du même coup la nature et la puissance des figures de proue et de poupe.
C’est encore dans la tombe thébaine de Nebunamef que, malgré le lapsus : ™ — i
dans le surnom donné à Amon : f “ * £ TTIeZ) on P eu t constater l’inter-
changeabilité des termes relatifs à la portion capitale soit humaine, soit animale des
dieux. La substitution du chef ou du protome au corps entier rentre donc dans la
catégorie des conventions qui remplacent la totalité par la partie essentielle et, partant,
la plus expressive de toute créature.
Les têtes de divinités sommant les bâtons d’enseignes tenus par des rois ou par
des particuliers, la tête de Ka royal portée derrière le Pharaon au bout d’une haute
canne, les têtes d’hommes ou d’animaux bouchant les vases canopes, sont autant
d’exemples de cette équivalence conventionnelle comme de la valeur supérieure et
significative de la portion noble.
Sans doute l’emploi de celle-ci se généralise-t-il dans tout le pays et pour tous les
dieux et les têtes de faucon d’Horus, de loup d’Oupouat, d’ibis de Thot, etc. se
rencontrent dans leurs centres cultuels respectifs; mais la tête de bélier d’Amon
semble, entre toutes, avoir joui d’une dévotion spéciale, d’un genre tout particulier
et principalement sur la rive gauche du Nil à Thèbes
Ce culte fut important au point que Spiegelberg, établissant un parallèle entre
cette dernière et le culte voué en Abydos à la tête d’Osiris enfermée dans le reliquaire
Abedj en vena 't a se demander si la montagne thébaine ne recelait pas,
fictivement au moins, un reliquaire analogue pour la tête d’Amon.
Quoi qu’il en soit, en dépit de l’absence d’une assimilation quelconque du mythe
encore insuffisamment connu d’Amon avec la passion et la mort d’Osiris, on remarque
la fréquence des représentations de l’Ousirhat sur la rive des morts et la presque
exclusivité de cette localisation.
Evidemment il faut tenir compte des nombreuses statues de grands prêtres de
Karnak, publiées par G. Lefebvre qui tiennent devant elles une tête de bélier,
ou des statues d’arpenteurs qui présentent un rouleau de corde surmonté du même
emblème, parce que, pour les unes c’est l’affirmation d’une appartenance au dieu
{lî Stèles de la tête de bélier d’Amon : Bonn, fo ° 9 i 5 , 17; Londres, 8485 ; Louvre, i 5 o 2 ; Berlin,
7296; Le Caire : Annales , V, p. 1 5 , 16, 4 i.
Les grands prêtres d’ Amon de Karnak,
33
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
thébain, libyen d’origine et pour les autres, celle d’une fonction relevant du dieu
Nil eriocéphale, calculateur des arpents de terre cultivable.
On doit aussi faire état des dromos de criosphinx yT 2 ! ! T 4 fi ui précèdent
les pylônes du temple d’Amon ou bordent les voies sacrées de la rive droite parce que
la protection du sanctuaire et des chemins qui y mènent est dévolue au dieu urbain
qui, dans la forme hybride de sphinx, s’accommodait mieux d’une tête de bélier que
de celle d’un homme coiffé d’un modius supportant deux hautes plumes rigides.
Ce motif n’était que secondaire, l’esthétique et le symbolisme cédant le pas à la
raison mythologique.
Amon-Rè est en effet la personnification du soleil dans ses mystérieuses trans-
formations, ce qu’exprime son nom de Rè : soleil et de Amen : caché
Les multiples scènes mystiques qui illustrent les tombes de la vallée des Rois et
les papyrus funéraires montrent le soleil traversant les heures nocturnes de la Douât
sous les traits d’un vieillard eriocéphale s’appuyant sur sa canne. A Deir el Médineh
les peintures tombales du caveau n° 335 de Nakhtamon, par exemple, représentent
Isis et Nephthys assurant la stabilité éternelle d’un dieu mumiforme et eriocéphale
avec cette légende qui assimile le soleil à Rè et à Osiris : ^ 1 * ^4- 4
Dans le même caveau et dans le tombeau de Sethi I er , un Anubis à tete de bélier
conduit le défunt vers son éternité bienheureuse, en d’autres lieux l’oiseau-âme qui
généralement est un faucon et s’assimile à Horus, remplace le Ba criomorphe
et toutes ces identifications diverses témoignent d’une égalité de valeur mythologique
entre Rè, Amon, Osiris, Anubis, Horus, établie par contamination.
On ne saurait dire si c’est au vieillard eriocéphale se soutenant : à l’aide
d’une canne que le bélier d’Amon reçoit chez les ouvriers des nécropoles
thébaines le sobriquet de Pa-mhan-mfer : ^^l^qu’on peut lire sur quelques
stèles; (mais une association d’idées peut, dans une certaine mesure, rendre accep-
table une telle supposition).
Toujours est-il que cet aspect sous lequel Amon parcourt les étapes du cycle noc-
turne ne pouvait choisir un théâtre mieux approprié que la rive funèbre pour se
manifester et recevoir le culte qui lui convenait.
Ce culte de l’Ousirhat, qui paraît s’être cantonné sur la berge libyque, avait un
sacerdoce organisé et hiérarchisé, ce qui implique presque forcément un lieu de culte,
c’est-à-dire un petit sanctuaire situé dans la nécropole.
Au moins deux tombes de Gournah font mention d’une organisation cultuelle de
la tête de bélier d’Amon et montrent qu’elle ne saurait être confondue avec le culte
officiel rendu à Amon lui-même en d’autres sanctuaires et sous différentes appellations.
C’est d’abord la tombe n° io5 du Prêtre de l’Ousirhat d’Amon Khaemipct :
et ensuite la tombe n° 44 du Ouab-n-Hat d’Amon
10 Rapport de fouilles à Deir el Médineh, 1994-1925, p. i 36 , fig. 92 et p. i 65 , fig. m.
5
36
B. BRUYÈRE.
de la nécropole Àmeneminet : mon de Louqsor) qui était en fonctions
au commencement du règne et qui possède à Deir el Médineh la chapelle funéraire
n° 2 1 5 et le caveau n° 2 65 . Ramsès II encense la barque sacrée d’Amon dont l’acros-
tole et l’aplustre sont deux têtes dé bélier couronnées de l’Atef.
L’esquif est porté sur son brancard par un certain nombre d’hommes qui sont
tous des ouvriers de Deir el Médineh préposés à cette charge honorifique et rendus
pour cette occasion Ouab (purs), par un jeune et des purifications préalables (fig. î (*)) .
Quant, au roi, qui a daigné venir sur la rive gauche pour une solennité exceptionnelle,
il officie lui-même en sa qualité de pontife suprême.
Il y a de grandes chances pour que cette solennité soit celle de la Belle Fête de la
Vallée qui, pendant douze jours du mois de Payni, se déroulait chaque année sur
les deux rives du Nil avec la participation de la cour et de la population de Karnak,
de Louqsor et de Gournah. Les habitants des cités des vivants et des morts se
relayaient pour escorter et transporter la barque dans la traversée du fleuve et des
canaux et le cheminement parmi les temples et les tombes. Un des motifs principaux
de cette grande panégyrie à exode était la visite traditionnelle d’Amon à son épouse
de .la berge d’Occident en sa demeure de Deir el Bahri.
Le démiurge thébain y venait passer une nuit, en quelque sorte nuptiale, couché
sur un lit de fleurs et, pour l’y accueillir, la reine d’Occident descendait à sa ren-
contre du haut de ses triples terrasses dans une procession majestueuse qui rejoignait
celle de son époux en un lieu déterminé, jusqu’ici imprécisé.
Une peinture murale de la tombe n° 216 du chef de travaux Neferhotep, vivant
sous le règne de Ramsès II, retraçait sur la paroi sud de la chapelle, aujourd’hui
en grande partie détruite, la marche des deux cortèges venant en sens inverse pour
se joindre et remonter ensemble au temple de la montagne libyque d’où était partie
la barque de la vache divine Ilathor Il est plus que probable que la visite d’Amon
ne se bornait pas au sanctuaire accaparé par Hatshepsout, car Ilathor possédait
d’autres sanctuaires sur la rive gauche et en particulier le petit temple de Deir
el Médineh. Si Deir el Bahri était son domicile septentrional face à Karnak et valait,
à Hathor, pour cette situation topographique en face de son maître l’épithète Kheft-
er-neb-es : (*i~ ^ T' ) et si l’Amon qu’on y adorait était surtout celui de Karnak :
(! JÜÜJ ^ Ü i £) I e temple de Deir el Médineh, situé à, l’autre extrémité de la nécropole,
était la maison méridionale de la vache sacrée et devait à sa position en face de Louqsor
de vénérer préférablement l’Amon de Louqsor : Amen-em-Ipet : (^“^^■□a).
L’Ousirhat daignait donc s’arrêter au sanctuaire méridional que les ouvriers des
(1) Cette figure fait suite à la figure 178, n° 287, p. io 4 fascicule II.
(,) D’autres fragments de stèles en calcaire avec reliefs champlevés (n° 54) nous montrent Ramsès II
encensant la barque d’Hathor, et des porteurs de l’Ousirhat. Ces stèles provenant aussi du temple de
Deir el Médineli semblent bien, par leur nombre, indiquer l’arrêt en ce lieu de la procession d’Amon
au jour de la fête de la Vallée.
37
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
ateliers royaux de cimetières avaient édifié pendant le règne de Ramsès II à l’em-
placement du temple ptolémaïque actuel et dans lequel une réplique de la vache
de Deir el Bahri attendait sa venue annuelle.
De nombreux monuments provenant de ce site et du village des ouvriers sont
dédiés à un Anton particulier dénommé, selon la traduction généralement admise :
Amon de la Bonne Rencontre : Amèn-n-tehen-nefer : (| ^ J^\). La fréquence
d’une telle appellation, localisée à Deir el Médineh, permettrait de supposer que
cette bonne rencontre pourrait être celle des deux divinités Amon et Ilathor lors de
la Belle Fête de la Vallée et qu’elle aurait dû se produire en un lieu proche de cet
endroit sinon en cet endroit même. Précisément Ramsès II avait fait construire à
quelques mètres en face de son temple d’Hathor un autre petit sanctuaire dédié à
la triade de Karnak et précédé par une sorte de plate-forme reposoir, analogue à un
quai d’embarquement, sur laquelle les deux barques sacrées auraient pu entrer en
conjonction et mériter à Amon pour ce fait l’épithète qui lui fut donnée.
Le pèlerinage de l’Ousirhat regagnait ensuite Louqsor par les canaux de Médinet
Habou car, sous la XX e dynastie la célébration de la fête y est encore représentée
et montre à l’angle sud-est du pylône méridional du temple funéraire de Ramsès III,
ce souverain attendant l’arrivée du cortège.
La stèle n° 43591 , qui paraît bien représenter un épisode marquant de la célèbre
panégyrie à Deir el Médineh, est donc un monument du culte de l’Ousirhat. Cette
œuvre d’un sculpteur de la corporation, déjà intéressante pour cette raison, l’est
encore par les noms des principaux acteurs et par celui du donateur.
Si l’on y remarque le scribe royal Amemmipet, dénomination de l’Amon de. Louqsor,
(généralement criocéphale) ; le porteur de barque sacrée Apoui, c’est-à-dire, celui
d’Apou, ville où l’on adorait l’Amon ithyphaliique, surnom d’un flabellifère d’Amon
et porte enseigne de Min qui s’appelait Amemmipet comme le scribe et dont la pré-
sence ici semble indiquer que la statue d’Amon cachée dans le naos fermé de la
barque était ithyphaliique; on remarque surtout le donateur Ameneminet : Amon
dans la vallée : appartenant à la famille d’un Armnemouia : Amon
dans la barque : f K ^ j ^ , et dont le patronyme justifie le don d’une stèle
commémorant la cérémonie qu’elle représente.
C’est probablement le même Ameneminet que figure la statue en calcaire du Musée
Ethnographique de Neuchâtel citée ci-dessus et qui montre ce Sdm-ash tenant devant
lui une tête de bélier couronnée du disque solaire et plantée au sommet d’un bâton
d’enseigne O. Cette statue, vue par nous à Louqsor en 1922 et acquise au Caire
en 1933 par G. Jéquier, provient sans doute de fouilles dans le temple de Deir
el Médineh et elle viént à l’appui de la stèle n° 43591 pour attester la dévotion
(1) Bulletin de la Société Neuehâteloise de Géographie t, XL1I, 1 C) 33 , p. 19-2/1 avec k figures. G. Jéquier,
Deux statuettes égyptiennes d'époque ramesside.
6
38
B. BRUYÈRE.
spéciale d’Ameneminet à l’Ousirhat d’Amon. Bien qu’il ne soit pas fait mention
d’une affectation de ce particulier au culte de la tête du bélier sacré, il est à pré-
sumer qu’il faisait partie d’une confrérie vouée à cet emblème amonien dans une
des chapelles votives voisines du temple d’Hathor.
Parmi nos trouvailles de 19/10 dans la chapelle d’Amon du règne de Ramsès II
nous avons signalé ( Rapport , fasc. Il, fig. 2 4 o, n° 409) le sommet d’un bâton d’en-
seigne d’une grande statue en ébène représentant une tête de bélier. La statue était
peut-être celle même de Ramsès II car les rois du Moyen et du Nouvel Empires
tenaient souvent des enseignes théophores appuyées à leurs épaules et, parmi celles-
ci, la tète de bélier se rencontre fréquemment.
Cependant, Maspero et C. Boreux ont constaté que cette particularité n’est pas
propre aux pharaons mais que les Serviteurs dans la Place de Vérité affichent souvent
ce signe distinctif et semblent pour cette raison appartenir à une classe élevée de la
société. On sait aujourd’hui quel fut leur véritable rang et le motif pour lequel ils
se faisaient représenter avec les insignes de la fonction religieuse qu’ils exerçaient
dans leurs oratoires.
A ces nombreuses preuves de la faveur du culte de l’Ousirhat sur la rive gauche
et surtout chez les ouvriers de Deir el Médineh, il faut ajouter celles que l’onomas-
tique apporte par les noms de : Ousirhat Amenemhat | B ^ , Khaem-
hat Hatshepsout etc.
Il va sans dire que cette dévotion à la portion capitale d’un dieu, d’un individu
ou d’un animal n’était pas une innovation thébaine du Nouvel Empire et qu’on en
verrait peut-être l’origine dans la vénération abydénienne du chef d’Osiris. Elle
même n’était pas sans rapport avec la pieuse coutume memphite des têtes de rem-
placement dans les tombes de l’Ancien Empire. L’importance qu’on attribua tou-
jours et partout à cet élément le plus expressif de la personnalité, depuis les statues
portraits des mastaba jusqu’aux chapitres du Livre des Morts relatifs à la tête et jus-
qu’aux bustes de laraires est le plus éloquent témoignage de sa valeur signalétiquc
comme de sa fonction métaphysique. Considéré comme siège du composant spirituel
nommé Âme : Ba (+^), auquel une primitive idéographie prêtait à Busiris la forme
du bélier, cet élément traduisait le potentiel de force magique et la prédestination
à l’éternité réservés à l’âme. Pour les dieux, une convention que la mystique popu-
laire généralisait, s’adressait de préférence à la zoomorphie dans la figuration du
composant spirituel qui les animait et qui se rendait, par ce truchement, sensible
à l’humanité.
L’Ousirhat criocéphale d’Amon, dans ses multiples emplois d’acrostoles, d’égides,
de contrepoids de Menai, d’enseignes, synthétise par conséquent tout ce que l’âme
du dieu recèle de fluides vitaux, de qualités essentielles et de facultés tutélaires dont
l’effet s’applique à la barque sacrée ou aux effigies royales placées sous sa protection.
S’il acquiert de ce fait la légitimation du culte qu’il reçoit séparément sur la rive
4
39
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1 935-19 AO).
funèbre, il constitue, d’autre part, une marque particulière de propriété amonienne
sur toute personne et toute chose qui en est parée et l’indice d’une paternité divine
pour les rois dont la statue est soumise à sa tutelle.
Une raison de spécialisation a voulu que la barque solaire Ouia ( \ \ V. ^ ’
w vtts) affectée à Amon, en tant que dieu soleil Rè, et ornée à cet effet de figures
de proue et de poupe en forme de têtes de bélier dénommées Ousirhat, prît elle-même,
par extension, le nom des acrostoles qui en étaient la parure symbolique et s’appelât
ï Ousirhat : (Hj ^ comme pour signifier la puissance Ousir ) 0 ) et la
supériorité : Hat (^) attachées à cet organe de locomotion du soleil Amon-Rè.
Et dans le cas de la stèle n° 43 59 1 , c’est autant un hommage d’adoration au grand
dieu de Karnak qu’à la barque qui le porte et aux emblèmes criocéphaîes de son
avant et de son arrière que le Sdm-ash Ameneminet entend rendre à l’occasion de
la Belle Fête de la Vallée.
En conclusion, la tête ou le protome de bélier, l’acrostole et l’aplustre criocé-
phales de la barque d’Amon, les sphinx criomorphes et les images des formes ovines
intégrales ou partielles d’Amon-Rè dans les temples et dans les tombes royales, ont
une origine libyenne indiscutable, un sens pastoral et occidental qui remontent aux
âges les plus reculés du passé et proviennent des lointaines contrées sahariennes.
Par conséquent la localisation du culte de l’Ousirhat sur la rive libyque se trouve
grandement justifiée et elle légitime les nombreuses manifestations dévotes de la
plèbe des nécropoles. Un de ces témoignages de ferveur nous est donné par une
stèle de Fitzwilliam Muséum de Cambridge sur laquelle le Sdm-ash dans la Place
de Vérité Amenemheb vénère les trois barques sacrées d’Amon, de Maut et de
Khonsou. Chacune de ces trois divinités porte un beau nom qui l’assimile à l’esquif
qui la fait voguer. C’est ainsi qu’on lit pour Maut J 3 f h pour
Khonsou : Vf W ^ et enfin P our Amon :
En ce dernier nom se révèle bien l’identité parfaite de la barque ou
de ses acrostoles et du dieu lui-même.
(1) Association phonétique des mots "jj [1 P et P ar l’entremise de ^ [1 w
puissant en dimensions. C’est, avec ce sens «puissant» qu’on trouve en onomastique le composant
Ousir dans les noms propres théophores tels que : Ousirhat, Ousirsatit, Ousirmonthou, Réousir,
Horousir, etc. Les patronymes ont en eux-mêmes une valeur talismanique qu’ils tiennent à la fois de
leur qualité d’indice de la personnalité et des vertus particulières des divinités invoquées par eux. D’où
pour V Ousirhat ses emplois divers comme fétiche.
G.
NOTE 6
SUR UN SENS PARTICULIER DU MOT AB : :h f J
Sur un certain nombre de fragments inscrits trouvés au cours des fouilles de Deir
el Médineh, il nous a été donné de relever l’emploi assez fréquent du mot Ab : \b f J ,
de ses variantes ou de ses dérivés, avec un sens qui semble différent de tous ceux
que les lexiques assignent aux mots connus ayant pour radical ce syllabique.
Toujours écrit sans déterminatif, ce vocable pourrait à première vue être pris pour
un néologisme thébain, étant donné l’époque et le site des trouvailles qui le con-
tiennent.
Toutefois la présence du radical Ab f J dans une série de mots très anciens, spé-
cialement d’ordre géographique, laisse penser par contre, que le signe initial f
aurait été primitivement un idéogramme de signification précise et complète avant
l’adjonction d’un B J de spécification phonétique, ce qui rendait inutile un second
complément idéographique.
Cette adjonction n’a point empêché cependant qu’une confusion constante, signalée
jadis par Max MüllerU) et attestée par tous les glossaires, s’établisse entre le signe
Ab | et les signes î\b 4 > wr J, wb\ J dans un groupe de mots tels que : cesser
f Ja,4Ja,^wJa; mêler f J • J • ; favori^ J ;
pyramide — Afk^A’ P arvis ' serviteur ^ V
L’échange de f pour 4 peut se légitimer par la constitution même du mot i’,b,
dans lequel entre le syllabique ’,b. Celui de f pour J correspondrait à une méta-
thèse wib pour wèf comme il n’est pas rare en langue parlée populaire d’en remarquer
l’emploi abusif. Quant à l’échange de f pour | on ne lui attribuerait qu’une cause
graphique peut-être plus sensible dans l’écriture hiératique que dans le répertoire
hiéroglyphique.
Quoi qu’il en soit, le remplacement de ces signes est unilatéral et les objets qu’ils
représentent sont de nature très différente.
Le signe de l’Orient, 4 aurait été à l’origine un sceptre qui se portait dans la
main gauche ( 1 2 L La notion de ce prototype, perdue dès le Moyen Empire, aurait été
substituée par celle d’un objet cultuel composé d’une hampe sommée d’une tablette
(1) Max Muller, Recueil de Travaux , t. IX, p. 167 : Ueber einige Hieroghjphischenzeichen.
W G. Jéquier, Mémoires : Matériaux pour seri'ir à V établissement d’ un dictionnaire d’archéologie égyptienne ,
p. 10 : 4 J, p. 19 : f J$.
FOUILLES DE DEIR EL MEDINEH (1935-1940). 41
portant un pain en forme d’olive et deux galettes rondes. Puis la tablette ornée de
rubans serait devenue le signe de l'horizon montagneux.
Par cette évolution qui est presque un retour au point de départ idéographique,
puisque l’Est ést à gauche pour l’égyptien, se trouvent associées l’idée de l’offrande
et celle de l’horizon oriental.
À ce sujet il n’est pas superflu de remarquer dans quelques peintures tombales
de Deir el Médineh, entre autres dans celles de la tombe n° 1 de Sennedjem, la scène
de l’accueil du défunt au seuil de l’Eden par la déesse Nout dans le sycomore. La
déesse offre à l’arrivant une tablette supportant deux galettes rondes et un pain
ovoïde. Nout fait tellement corps avec l’arbre que le pied de celui-ci a pris la forme
d’un pied humain et ainsi l’ensemble peut se schématiser sous l’aspect contracté
de la tablette d’offrande sur la hampe terminée par un pied (J*. L’association de
cette jambe humaine et du signe de T horizon »-* se constate également dans le
caveau n° 2-B de Khabckhent j\ Gomme de plus, Nout offre la libation soit avec
le vase Nou * qui est le sigle de l’eau primordiale soit avec la buire Keb j on se
trouve ramené à la superposition des symboles f] dont le total donne 1 indice de
pureté w'b qui est la condition expresse d’admission au séjour des élus.
Le signe J est le foret rotatif employé dès l’origine pour le creusement interne
des vases de pierre tels que l’ampoule sphérique Nou * et la jarre ovoïde f dans
laquelle l'huile d’olive des domaines canopiques d’Osiris était conservée. La stèle
n° 20877 de Nebrè, à Berlin, contient ce texte : H ne
s’agit point là d’un échange des signes f ,J car la désignation : «Maître du parvis»
est bien connue, en particulier pour une des statues oraculaires d’Aménophis I er
Ç | mm (tombe n° 1 6 de Panehsi) . Les déterminatifs ^ empêchent
de confondre les mots ÏJetîJÜ, crÈ-
Quant au signe f on le classe dans les outils de sculpture parmi les ciseaux et
burins qui servaient aussi bien à sculpter des statues qu’à ciseler des vases de pierre.
Est-ce sa vague ressemblance avec le signe f qui fit cataloguer ce dernier dans
la série des instruments de travail? W. Ce classement ne paraît pas répondre à la
réalité car il s’appuie généralement sur des représentations a petite echelle de textes
hiéroglyphiques et même sur des écritures cursives ou hiératiques.
Il s’apparenterait plutôt au signe de l’Orient puisqu’il se compose comme lui
d’une hampe, d’une tablette et d’une offrande posée sur celle-ci.
L’offrande est ici un vase sphérique Nou * qui caractérise le flot du chaos liquide
des origines du monde et par lui toute idée de pureté originelle ou de pureté recon-
quise par abblution rédemptrice et lustration baptismale. L’eau du Nou
versée de haut sur le mortel aspirant à l’éternité ou, dans ses fonctions terrestres,
postulant à l’innocence primitive, a trouvé son expression imagée et phonétique dans
i’> A. Erman, Aegyptische Grammatik, Schrifltafel U. a 4, 29 , 3i.
42
B. BRUYÈRE.
le signe fj qui résume l’action de répandre un liquide du haut d’un support à
pied. Un rapprochement assez lointain pourrait se faire entre la structure conson-
nantique du mot f J et celle des mots en se souvenant qu’ils se rapportent
tous trois à un vase de pierre dure, intérieurement foré, usité dès le début des millé-
naires pour les aspersions cultuelles. Dans une certaine mesure ce rapprochement
rendrait explicable la confusion des signes f et J, con-
fusion plus admissible que celle des signes f et f , en
admettant même que | soit un ciseau de sculpteur et
non un poignard.
La différence qui existe entre l’idéographie de f et celle
de f'J consiste dans la position du vase sur le support et
dans l’action indiquée par elle, soit de pencher ce vase
pour en verser le contenu, soit au contraire de le pré-
senter normalement posé sur une table d’offrandes.
Nous avons dit que l’échange réciproque des deux
vases *,*1 est constaté de manière permanente dans les
scènes rituelles d’aspersion, d’accueil par Nout à l’horizon,
porte du ciel, et sur les tables d’offrandes.
Cela devait correspondre à l’emploi réel de l’un ou
de l’autre indifféremment; mais le symbolisme qui ne
perd jamais ses droits substitue parfois dans ces représen-
tations, surtout dans celles des baptêmes, au vase Keb \
une adaptation du signe de vie dont la boucle devient
la panse ovoïde d’un récipient surmonté d’une tête de
faucon ou de bélier et dont le T inférieur se mue en une
tablette sur une hampe ou un manche court ('h Des buires
de cette espèce figurent dans les trésors de temples et si
elles n’eurent pas de réalisation matérielle vraie, elles
furent du moins réalisées emblématiquement dans des simulacres rituels en métal,
en bois ou. en faïence déposés parmi le mobilier des tombes royales.
L’équivalence symbolique ainsi établie entre ces vases fictifs et réels se manifeste
trop souvent pour qu’il soit besoin d’insister sur l’identité de la lustration purifi-
catrice et de la force vitale.
Tout cela pourrait n’être qu’hypothèse si l’on se bornait à considérer le signe ¥
tel qu’il est reproduit dans les dictionnaires et les répertoires hiéroglyphiques;
mais un exemple à grande échelle vient confirmer l’opinion que nous avançons ici.
Sur un support d’autel du règne de Sethi I er découvert en \ g4o à Deir el Médineh
au cours des fouilles d’un sanctuaire d’Hathor érigé par ce roi au nord du temple
(1) J. Vandier, Mémoires, t. LXIX. La tombe de Neferabou, pi. XVIII, XIX.
43
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
ptolémaïque, le mot Ab f J se présente sous l’aspect de la buire Keb j ou Hé
reposant sur le T constitué par la hampe et sa tablette b) (fig. 2 ).
Voilà donc un exemple non douteux qui anéantit toute tentative de confusion entre
le signe Ab f et l’un quelconque des autres signes d’objets identifiés comme outils.
Le signe représente donc bien un vase de forme variable posé sur un support
analogue à un bâton d’enseigne ou à toute hampe de surélévation dominante.
Cette variabilité de forme qui amena la' boucle du signe de vie à se changer
en une sorte d’amphore ovoïde et qui apparente à l’ampoule sphérique N ou et à la
buire lié la jarre canopique, autre vase de pierre, dure consacré jadis à la contenance
de l’huile des oliveraies deltaïques du royaume d’Osiris, nous conduit justement à
retrouver l’emploi du mot Ab f J dans la désignation du reliquaire abydénien de
la tête d’Osiris Ab f J J ou Abdj ^ J \ (2) .
Cette chasse précieuse, constituée par un vase Canope est posée sur une tablette
ornée de rubans et de ménat au sommet d’un matereau ou d’une hampe dressée
et comme plantée dans le signe de l’horizon u. Parfois même dans les textes et les
figures des tombes de Deir el Médineh, la hampe se termine à sa partie inférieure
par un pied humain, simple souci phonétique du scribe. Alors le signe de l’horizon
traversé par la hampe se trouve remonté vers le milieu de celle-ci.
C’est à la fois l’écriture du reliquaire et celle de la ville d’Abydos à qui il a donné
son nom : f J “.
h’ Abdj \bd n’est pas le symbole éponyme de la ville. Le serpent de la stèle
abydénienne du roi Dja, celui du manche de poignard thinite en silex, celui des
palettes à fard en schiste de Negadah et de Thinis, ont tous trait à la montagne
qui recèle la relique d’Osiris et sont en même temps idéogrammes et
signes phonétiques.
L’ancienneté de la ville d’Abydos implique celle du mot Ab f J par lequel son
nom débute et l’association de Ab f J et de Dw u contient en elle un sens complet
que nous devons tenter de déterminer^.
11 est en tous cas certain que ce sens est relatif à Osiris et plus particulièrement
à la chasse renfermant ses reliques et par surcroît à la montagne ou à l’horizon mon-
tagneux qui, à l’occident de Thinis, ouvre sa fente considérée comme l’entrée de
l’autre monde.
Mais, d’une part Osiris sert de prototype à tous les grands démiurges qui calquent
sur le sien leurs propres mythes.
(ï) Cf. F. Petrie, Abydos. Sceau du roi Djet :
W B. Bruyère, Rapport de fouilles à Deir el -
Médineh 1986-19/10, fig. 171.
(3) G. Jéquier, Matériaux..., op. cit ., p. 19; B. Bruyère, Rapport de fouilles 198/1-1935 (village),
fig. 75, p. 181 ; V. Loret, Les fêtes d’Osiris au mois de Khoiak, p. q 5 . La chasse d’Osiris y est donnée par
erreur comme une corbeille détone nommée pour ce motif : Ansouti JJ ^
hk B. BRUYÈRE.
D’autre part Abydos n’est pas la seule cité dont le nom débute par le sylla-
bique Ab ^ J.
Un autre grand dieu, antique autant qu’Osiris, remplit au sud de l’Egypte les
mêmes fonctions que lui au nord et pousse l’assimilation jusqu’à posséder aussi
une chasse précieuse qui enferme son corps comme le ferait un sarcophage. Ce dieu
c’est Chnoum et la ville d’Eléphantine f | * doit moins son nom à l’ivoire des
dents d’éléphant dont le commerce s’y centralisait, à une ressemblance supposée
de l’île sainte avec le corps d’un éléphant ou des rocs aigus de la cataracte avec les
défenses du pachyderme qu’à la présence des gouffres Qerti au fond desquels le Nil
repose en attendant sa résurrection annuelle à l’heure de la crue. Ces grottes sou-
terraines imaginaires sont censé retenir le Ilot comme une amphore renfermerait
l’eau sacrée des commencements du monde prête à se répandre sur le sol d’Egypte
à la façon d’une onde baptismale de purification et de revivification.
Mythologiquement l’Abaton de Bigeh est identique au vase canope d’Abydos. Si
l’étymologie grecque de ce réduit inaccessible et secret fait de lui une cachette mysté-
rieuse abritant les restes divins à l’instar des sanctuaires de Rhodes pour le trophée
d’Artemise ou d’Epidaure pour les miracles d’Asclépios, l’Abaton de la cataracte se
révèle dans les textes égyptiens comme un tombeau, un lat 1A1 ~ ; comme
un lieu caché : -xts; et enfin comme une île : «ss (*’.
Et la ville d’Eléphantine asile funèbre approximatif de Chnoum, se traduit par le
syllabique Ab f suivi du signe % qui caractérise tantôt les oasis et tantôt des récep-
tacles de la catégorie des cercueils, ce qui convient de toute manière à l’abri dans
lequel se dissimule le dieu. L’assimilation des deux grands maîtres divins du nord
et du sud ne s’arrête pas à ces incarnations du Nil.
Il est au moins un autre important personnage céleste, de gloire plus récente,
qui partage avec eux les mêmes prérogatives par un plagiat tardif de leurs mythes .
Amon de Thèbes, en son nom de caché W, est peut-être le dieu que l’histoire et
la légende ont le plus popularisé bien qu’on ignore presque tout de son mythe.
Dans la copie faite pour son identification ostentatoire du cursus vitae osirien, le
clergé de Karnak ne précise nulle part s’il souffrit la passion et la mort, s’il est un
dieu saisonnier ou annuel, mourant et renaissant comme sont les divinités du fleuve
sacré.
{l ' G. Maspero, Histoire des peuples d Orient, t. I, p. 3 9 et figure; H. Junker, Denksckriflen der Kaiserlicke
Akademie Wissenschaften in Wien : Anszug der Halkor — Tefnüt aüs Nubien — Das Gotterdekret über das Abaton .
La graphie de FAbaton ^ rappelle que le signe de File semble plutôt ici figurer une
enceinte enfermant Feau du Nil et que ce signe s'emploie à Fépoque lagide pour écrire le nom d’Amon,
par exemple au Mammisi du temple de Deir el-Médineh : Tîl •£>■$> ® ^ « Sma-Taui fils héritier
(F Amon».
(8) Amon, le caché, s’écrit également ; \ e signe équivaut à OU j - ^ “**"*"* ou
FOUILLES DE DEIR EL MÊDINEH (1935-1940). 45
Or voici que la plèbe des nécropoles thébaines va peut-être nous apporter quelques
lumières à ce sujet.
Comme nous le disions au début de cet article, les fouilles de Deir el Médineh
nous ont rendu quelques monuments où le mot Ab ^ J, ses variantes et ses dérivés
se rencontrent et le plus souvent appliqués au dieu Amon.
Nous avons réuni la série complète des exemples du mot en question et l’on verra
par la liste ci-dessous que, sauf un ou deux cas provenant d’autres sites, tous les
autres sont tirés de Deir el Médineh et appartiennent donc au Nouvel Empire et à la
région plébéienne et funéraire de Thèbes. De plus ils se rapportent pour la plupart
à Amon et, après lui à Chnoum et accessoirement ou de façon moins certaine à
* Khonsou, Hathor, Mert-Seger et Rannout.
A ce nombre restreint de divinités correspond un nombre plus limité encore de
localisations topographiques parmi lesquelles l’Occident prend une place capitale.
i° Amon : ( c ^ Rapport de fouilles à Deir el Médineh, ig 3 i-ig 3 s,
p. 72, note 1. Fragment inscrit sans représentation du dieu).
2 0 Amon : ( SS f J | ^ (Rapport Det’r el Médineh, 1 g 3 6-1 gùo . Fragment de
bassin à libations n° 38 1).
3 ° Amon : ( Rapport Deir el Médineh, 1 g s 3 -
îgsâ, p. 68. Peinture de la tombe n° 292 avec représentation d’Amon
anthropocéphale) . Voir exemple n° i 3 .
4 ° Amon : J ^ ( Annales du Service des Antiquités, t. X, pl. I, p. i 55 . Ahmed
bey K vmàl, Fouilles à Sheikh Saïd. Stèle dédiée par ^ 7 T* ' — ' ^77 f 3
aVec représentation d’un bélier couché couronné des plumes d’Amon).
5 ° Amon : j jjCjf | : | (Fragment calcaire inscrit, trouvé à la Vallée des
Reines par Schiaparelli en 1906).
6° Amon : \ jjB ^ j w “““ (Rapport Deir el Médinet, 1 g 36 -i gâo . Socle d’autel de
Sethi I èr , n° 3 o 3 , fig. 171).
7 0 Amon : (Fragment calcaire inscrit trouvé par Baraize au
temple de Deir el Médineh en 1912, sans représentation).
8° Amon : (Musée de Turin : Statue de Penmerenab à
genoux tenant une tête de bélier sur un socle).
9 0 Amon : 71 H T ".H II (Rapport Deir el Médineh, ig 36 -
îgâo, pl. XXXVII. Statue du vizir Panehsi n° 25 o).
io° Amon : (Rapport Deir el Médineh, 1 g 3 6-1 gâo . Fragment de
table d’offrandes).
1 1 0 Amon : ( K — • ^ J 7 ^ i( 71 (Rapport Deir el Médineh, 1 g 36 -i gUo . Fragment
d’une stèle à oreilles sans représentation, n° 24 o, p. io 4 ).
12° Amon : I jîHL — ^ -.J J ( ™ “| j ( Mémoires , Mert-Seger à Deir el Médineh, t. II,
fig. g 3 , p. 175. Stèle n° 812 du British Muséum avec représentation
d’Amon eriocéphale) .
I
46
B. BRUVÈRË.
1 3 ° Àmon : ^ S ^ ( Rapport Deir el Médineh, 1 g 36 -i gâo). Frag-
ments calcaire d’une stèle (n° 438 ), Amon criocéphale accompagné par
Maut et par Khonsou.
i 4 ° Amon : | J j ^ jH|. Fragment calcaire d’une inscription en colonnes pro-
venant du temple spéos de
i 5 ° Amon : Fragment calcaire d’une stèle, trouvé près de
la tombe n° 2 1 5 qui devait représenter Amon adoré par Ramsès II dont
une partie du cartouche = est conservée.
i6° Chnoum : JL J ^ f | .*. ( Rapport Deir el Médineh iga 3 -iga/t, p. 68).
Peinture de la tombe n° 292 représentant Chnoum criocéphale (même
scène que le n° 3 ). Au British Muséum, le linteau n° 36 g (1 63 ). Hieroglyphic
Texts, t. VI, pl. XLII, représente les divinités de Syène : Chnoum, Anoukit,
Satit avec ces orthographes : gui ne
sont ici que des variantes graphiques de ^ J : Eléphantine.
17 0 Meresger : gL LT Ü T U ( Rapport Deir el Médineh 1 gsâ-i gs 5 , p. 87,
fig. 57). Peinture de la tombe n° 336 , où la déesse allaitant le mort de la
tombe, redevenu enfant, est couronnée des cornes de vache hathoriques.
18 0 * Hathor-Noub : .... nrrsïjpjp^TJuut,- Musée du Caire, ex-
voto phallique de Ramosé. Le double sens de T J H 1 ! îh est encore indé-
terminé bien qu’il soit amené par calembour par TJ(TJâ)) désir. Cet
exemple peut présenter un certain intérêt pour le sujet qui nous occupe.
Il est cité surtout pour l’incertitude du sens de ’.bjtj, et parce que Hathor
est, sous sa forme bovine, l’épouse libyenne d’Amon bélier M.
19° &mnout : “ * f T “ S {^ a PP ort ig 36 -igâo, p. 108, fig. 1 85 , n° 254 .
Socle d’une statue accroupie d’un fils royal Menephtah). Rannout, comme
Meresger et Hathor, orne souvent son chef des cornes d’une vache et elle
allaite les rois et les simples mortels. Son origine occidentale, donc libyenne
est très ancienne. Elle est citée ici peut-être davantage pour ces motifs que
pour la teneur de son texte.
2 0° Amon : | T j | | (Rapport Deir el Médineh, ig 3 â-ig 35 , p. 201, fig. 91)
nom d’un particulier sur une stèle trouvée dans le village des artisans.
Emploi intéressant de l’épithète d’Amon, sans complément topographique
du mot îb, dans l’onomastique des habitants de Deir el Médineh.
2i° Amon : \ BSfX = “| J tlLf jf )£ g 1 ( Rapport îgâg ) fragment de stèle trouvé
dans le grand tombeau au nord du temple.
Cette liste fait bien ressortir la connexion constante entre le mot Ab T J et la
v désignation d’un lieu ou d’un point géographique. C’est par conséquent une épi-
thète de localisation et, comme elle s’applique de préférence à Amon en lui donnant
On connaît une forme bovine d’Hathor nommée <<la cornue».
kl
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
une qualification où l’Occident joue le rôle principal, il faut penser qu’elle est parti-
culière à la population de la berge occidentale du Nil et que c’est peut-être une des
raisons pour laquelle le mot Ab T J est resté ignoré des lexicologues anciens et
modernes avec l’acception qui nous intéresse.
En premier lieu, existe-t-il une relation quelconque entre Amon, son nom et sa
personnalité et le mot Ab TJ ?
Aucun lien n’est apparent relativement au nom; quant à la morphologie du dieu,
on ne saurait retenir la trop fragile association d’idées qui unit le bariolage f J f
des deux hautes plumes d’Amon au pays d’Occident. Sans doute ces deux plumes
droites expriment le même symbole que celles de Neferatoum.
C’est pour le dieu d’Horbeit la manifestation du premier rayon de soleil à l’ho-
rizon oriental. Pour Amon ce serait le dernier feu du couchant sur la chaîne libyque.
Depuis que Lefèbure a démontré qu’Amon est un dieu libyen, les fouilles de Deir
el Médineh ont confirmé son opinion en faisant apparaître sur des monuments le
qualificatif de l) ü g 11 * fait d’Amon le maître de la sainte Cime
d’Occident.
Sur la rive gauche du Nil, Amon est surtout vénéré sous la forme du bélier sacré
ou sous l’aspect criocéphale. Or Amon bélier, comme Chnoum,
Hathor, Mert-Seger, Rannout, tous mentionnés sur notre liste ont pour signe carac-
téristique le front orné de cornes bovines ou ovines. Un rapport de similitude a
certainement sollicité l’attention des égyptiens entre ces cornes, les défenses et les
dents des animaux et l’acuité de certains pics montagneux, puisque les horizons
arabique et’ libyque ont pour image une sorte de chevet u à deux dents ou deux
cornes entre lesquelles se lève et se couche le soleil et que le disque solaire entre
les cornes de la vache Hathor réalise la même idée \°r.
Notre vocabulaire moderne conserve d’ailleurs des expressions comme : la corne
d’une montagne, la dent du Midi, qui procèdent du même esprit d’observation.
Que ce soient les hautes plumes bigarrées ou ïes cornes dont sa pare le chef d’Amon
il n’en est pas moins vrai que ces attributs, situés sur la partie capitale du dieu,
prennent de ce fait une signification de prééminence ou de domination.
Amon culmine comme la Cime, cette corne de Libye qui pointe au-dessus de
Thèbes. Il est appelé «maître de la cime d’Occident» ce qui revient à une véritable
identification du maître et de sa chose. Pour ce motif, de même qu’on admet l’égalité
des termes : ] fUT 1 ! ZC ' — 1 ] ! t “TK. ra ra on
admettra celle des expressions suivantes données par les exemples n os 1 , 1 1 et 1 2
de notre liste — ' T J •
On sait que la cime d’Occident, personnifiée aussi par Hathor et Mert Seger, est
un pic en forme de pyramide T^^A g u i abrite à son ombre les corps des pha-
raons diospolitains. Les nombreux graffiti gravés sur les flancs de cette pyramide
s’accompagnent de dessins représentant très souvent la tête de bélier d’Amon. Ils
48
B. BRUYERE.
mentionnent également le culte de l’Amon dit << de la bonne rencontre», épithète où
le mot ] | “7 semblerait curieusement avoir voulu jouer avec le mot ] ) (libyen).
Spiegèlberg a discerné le premier l’importance de l’Ousirhat, c’est-à-dire delà
tête de bélier d’Amon, dans les dévotions de la plèbe des nécropoles thébaines et
s’est même demandé si la cause d’une ferveur aussi grande ne pourrait pas indiquer
une similitude entre Thèbes et Abydos, entre le culte de la tête d’Osiris dans la
chasse précieuse thinite et celui de la tête de bélier d’Amon dans quelque reliquaire
vénéré de la chaîne libyquefo.
Étant donné le parallélisme reliant Osiris et Clinoum, la communauté mythique
donnant au second l’Abaton en guise de tabernacle pour imiter YAbd ^ d’Abydos,
il se concevrait que le syncrétisme dotât Amon d’un asile secret semblable à ces deux
reliquaires et que ce fût justement la Cime d’Occident qui ait rempli cette fonction
fictive vis-à-vis de l’Ousirhal.
Aux compléments de localisation s’ajoutent dans nos exemples une variété de
formes du mot Ab qui semblent absolument reproduire les variantes et les dérivés
de la racine Iab : Ainsi voyons-nous les aspects suivants :
fJ-T-HJ- dans lesquels se pourraient distinguer la forme simple, squelette
syllabique, radical nominal ou verbal : f J, la forme relative ou adjective : f J'sf "J
qui peut être une forme vocalisée du genre de certains mots et noms propres mono-
syllabiques comme le langage populaire du Nouvel Empire en montre l’usage tels que
^ "J » ("J > ta forme f J * apparentée au nisbé sémitique analogue à ^ ^ ; enfin des
formes un peu extraordinaires f-J , f J -,f J — ^ peu éloignées des précédentes
et dont on attribuerait volontiers la création à une équivalence de structure con-
sonnantique avec les noms de villes f J © , f J * par un calembour d’emploi permanent
en mythologie.
Le texte de l’exemple n° 8 gravé sur le socle de la statue de Penmerenah : f "J i|
^ indiquerait à la fois le genre féminin du mot Ab et en quelque sorte
la position dominante de la chose qu’il exprime.
S’il s’agit d’un lieu élevé, au sens propre du mot, et la Cime de Thèbes répondrait
exactement à cette version, il est hors de doute que cette élévation doit être aussi
prise au sens figuré car le texte de l’exemple n° à de la stèle de Sheikh Saïd : f J
signifie une véritable domination métaphysique.
Volontairement, dans notre liste des monuments contenant le mot Ab, nous avons
laissé de côté certaines stèles comme la stèle D. 52 du Musée de Genève, en prove-
nance probable d’Abydos et d’attribution vraisemblable à la fin de la XVIII e dynastie.
Elle est dédiée à Osiris qui est qualifié dans le cintre : w ^ J "| j * ^ et qui porte
, W. Sfiegelberg, Aeg. Zeitschrift , 1926 , LXII, p. 2 3. Das keilige Widderkopf.
(î) Ces graphies n’ont aucun rapport avec celles des mots ^ J ~ (foule, attroupement) et ^ J
:\*ji (famille, relations, serviteurs).
49
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
dans le texte dédicatoire du second registre cette variante : rfTh — 1 i . \ , , , snn
épithète abydénienne habituelle à partir d’une certaine époque ; rfTh~ 1— .
Khentamentiou pour Khentamentit M . ’
En toute logique, Neb-Ab -- — f J n’est pas un lapsus involontaire et s’ü est inten-
tionnel d ne peut être qu’une forme abrégée, probablement courante à Abydos,
a . ! , , 0nt û gra P hie com P iète ne fut pas jugée indispensable pour l’enten-
dement des habitants puisque la suite : “|Jî£ localisait suffisamment en quelque
sor e e ( ejmurge. Personne en ce heu ne pouvait faire erreur sur la signification
de cette abréviation étant donné que la stèle avait été faite dans et pour Abydos
A prennere vue on penserait que l’espace restreint laissé au graveur pour écrire la
4 titulature divine rendit obligatoire de résumer en l’essentiel la mention du site et
a éviter ainsi une répétition inutile.
En second examen un autre motif semble prévaloir pour justifier cette apparente
omission. I est possible que Ab : f J doive être interprété ici avec un autre sens
p us généra que Abedj : , c est-à-dire avec celui qui détermine une situation parti-
cubere commune à Abydos, à Eléphant™, à Thèbes et peut-être à d’autres cités :
vTJ ©’tj Ab suivi de trois désinences montagneuses.
Le Ab de la montagne Dw : ^ le Ab des gouffres de la cataracte wt :
f/. ’ d ® “ chai ' ne llh n ^ Amentit : J £ sont trois choses de même espèce». SÏÏn
Abydos le heu sacré est la Fente de la montagne d’Occident par laquelle Osiris entre
1 TiV. <leS ’ S1 * Syène ’ i Abaton est rantre sou terrain et mystérieux où disparaît
e Nil Chnoum, à Thèbes la haute falaise libyque est en conséquence l’asile funèbre
ou se cache Amon. Ce sont trois lieux saints dans lesquels entrent trois dieux morts
pour en ressortir périodiquement ressuscités sous une autre forme rajeunie.
1 est donc nécessaire d’envisager successivement l’entrée et la sortie dçs dieux
et de considérer dans le cas de la stèle D. 52 la possibilité de ce double point de
vue quand le lapicide grave les épithètes du cintre et du registre inférieur. Les deux
<0 et Pôrtneh, Aeg. Grabsteine und Denksleine ans verschiedenen Sammlungen , t. II, n« „,
p. id et iu, pi. VI. °
< A Deir cl Medineh, le cmeiu n” a B de Khabelthcnt conlieot «ne scène de résurrection de la momie
”T”’ ~“"î ‘ 0siris ’ « P» le poisson Latès d.
Latopolis (Esneh) dont le nom est écrit ‘J - J -
Au papjrus d’Ani, l, même poisson s’appelle f Ibdw, nom qui peut être mis en parallèle
avec T J © = Abydos. Cette ville et ce Latès jouent le même rôle de réceptacle pour le corps d’Osiris
Au musee d Ismaiha, un fragment de relief provenant de Tell Maskhouta. représente la déesse Nout
de Pakerehet (temple osmen de Thekou-Heroopolis) qui porte sur la tête, au lieu de l’habituel vase
Nou », un vase conforme Kerhet _ f # généralement utilisé comme réceptacle d’une relique de
pic erenu osirienne, parce qu en ce sanctuaire on prétendait conserver la peau d’Osiris. —
IsuZZü m ° nUmenl ^ RamSèS 11 à SerapeUm ’ BulL SoC • Eludes - «*»■ isthme
mènent "associés! Ani ° n ^ ^ ^ ^ ^ de béliw P arce 9 ue ^ bélier et le Nil sont inti-
7
50
B. BRUYÈRE.
états d’Osiris sont caractérisés par ses deux appellations et dans Tordre naturel de
succession des événements. Il est d’abord enfermé dans la chasse Abedj : ^ (lui
ou sa tête, ce qui revient au même mythologiquement). Contenu dans ce canope
cordiforme il en est le maître, le seigneur comme on est le Neb-per : ^ d’une de-
meure. S’affirmer le Neb-Ab : - TJ c’est dire qu’il est inclus dans Ab en qualité
d’occupant Abti : T J*' T J" t l ue ce m °t désigne un réceptacle. En Egypte, par
l’identification conventionnelle et réciproque du contenu et du contenant le Ab et
le Neb-Ab arrivent à se confondre. De là les différences que montre la liste donnée
ci-dessus dans laquelle alternent les diverses mentions pour Àmon.
En résumé, l’emploi apparemment abusif et généralement unilatéral du signe f
pour l’un des trois signes p eu t se justifier soit par une homophonie directe
ou résultant d’une métathèse courante en langue parlée vulgaire d’un lieu et d’un
temps déterminés; (|) soit par un sens initial idéographique; (^?) soit enfin par
une simple confusion purement graphique (J).
Pour le premier cas, l’échange de f pour f dans le seul mot nb’, ^ J
f J® en relation avec Amon ou avec Aménophis I er dans les exemples cités plus
haut n’alîecte ni la personnalité ni la morphologie du personnage et ne précise que
la localisation topographique d’une statue oraculaire, située toutefois sur la berge
occidentale thébaine. Donc ce cas est en dehors du sujet.
Il en va tout autrement pour les deux autres signes.
Prenant de l’idéogramme I e sens initial de sceptre, le signe constitue par
un haut support d’enseigne élevant un vase * ou j, symbole habituel d’offrande
ou de libation d’eau du Nou, participe du même caractère emblématique d’érection
•au-dessus du commun, de suprématie et de domination que Ton attribue à un bâton
de commandement.
Relativement au soleil Rè, le signe de l’Orient exprime l’idée de se lever : ^ JT
au-dessus de l’horizon de l’Est. Celui de l’Occident, avec son omphallos sm. et sa
plume libyenne f, exprime celle de se baisser, de se cacher, de disparaître^™^
derrière l’horizon de l’ouest.
Les deux horizons arabique et libyque sont montagneux.
A Thèbes, celui de l’ouest est dominé par la Cime d’Occident ~£T T if i * ■
Ce point culminant de l’horizon occidental est en forme de pyramide.
Lé nom général de toute pyramide est mr qui fautivement, est parfois
écrit T*-À graphie erronée qui peut partiellement avoir été mise en rapport
avec l’épithcte f J. . . d’Amon.
Symbole solaire par définition, la pyramide est fatalement affectée au dieu soleil
Amon Rè, qui, au crépuscule vespéral vient s’y reposer et s’y cacher. Ce retour quo-
tidien à l’Occident, c’est pour Amon un retour à son pays d’origine, la Libye, d’où
il puisera par des métamorphoses nocturnes une nouvelle force vitale. Or en Libye,
Amon, dieu pastoral est un dieu bélier. Il y prend alors l’aspect criocéphale origi-
FOUILLES DE DEÎR EL MÉDINEH ( 1935 - 1940 ).
51
naire pour subir ces transformations comme Chnoum le fait lui-même dans les gouffres
de la cataracte. Amon de la rive occidentale thébaine a pour ce motif la tête ou le
corps complet du bélier libyen dans un grand nombre de ses représentations et
particulièrement dans quelques-unes de celles où il porte le qualificatif : f J ij
La cime est donc Vlat lai qui abrite le soleil thébain Amon-Rè et comme elle est
particulièrement vénérée par la population de Deir el Médineh, il est légitime de
penser que celle-ci a pu créer un néologisme, ignoré du reste de l’Egypte, pour
honorer de façon spéciale l’habitant divin de la montagne sainte en l’assimilant en
quelque sorte à son mystérieux tabernacle.
De toutes les interprétations et significations idéographiques qu’on peut donner
du mot Ab, une de celles qui retiennent le plus l’attention est dérivée en premier
lieu de la constitution du signe : * vase posé sur un support haut de pied : J asso-
ciant à l’idée d’élévation celle d’un récipient de forme interchangeable mais de valeur
symbolique constante.
Par le socle d’autel (3o3) de Sethi I er on a vu l’égalité idéographique du vase
Qeb ou Hes et du vase Nou. Cette égalité se constate dans les peintures tombales
qui représentent la déesse Nout portant sur la tête son sigle nominatif comprenant
le vase Nou et tenant en main la buire Qeb ou Hes dont elle verse l’eau du Noun dans
les mains des défunts pour satisfaire leurs désirs. Sur un fragment de bas-relief du
Musée d’Ismailia la déesse Nout porte sur sa tête le vase Kerhet aux lieu et place
du vase Nou W. Or ce vase est l’urne canopique qui, à Thekou était le réceptacle sacré
de la peau d’Osiris. C’est aussi à Abydos celui de la tête d’Osiris et il s’échange
avec l’omphallos thinite dans la graphie de l’enseigne Abedj. Le Kerehet J | f
canopique est par définition une jarre cordiforme. Malgré leurs différences morpho-
logiques les deux autres vases s’assimilent exactement à ce dernier au point de vue
symbolique et ce qui est essentiel c’est l’idée dominante du cœur qui s’attache à
leur ensemble. Par le rôle mystique du cœur humain le sens que prend le mot Ab
écrit avec l’un quelconque des trois vases précités exprime l’élan sentimental vers
un objet désiré. Pour tout dire il signifie donc le désir, aspiration élevée du cœur.
Justement il y a dans la liturgie catholique une invocation des litanies du Sacré
Cœur de Jésus qui rapellerait le « Ab Imentit : TIC ‘» de l’épithète d’Amon et
qui pourrait en donner l’explication. Elle est ainsi conçue : <. Sacré Cœur de Jésus, le
désiré des collines éternelles ».
On y retrouve les trois mentions significatives du cœur, du désir et des collines
éternelles. Evidemment cette invocation n’est pas de formation moderne et il faut
sans doute en rechercher l’origine en remontant aux sources bibliques des Psaumes
de David et du Cantique des Cantiques.
En effet le Psaume 2 Ù (3) dit : « Qui pourra monter à la montagne de l’Eternel?»
(1) B. Bruyère, Un Monument de Ramsès II à Serapeum. Bulletin de la Société d’Études historiques el
géographiques de l’Isthme de Suez, t. III, 1949-1950, p. 66.
7 -
53
B. BRUYÈRE.
C est une première allusion a ces collines éternelles, objet du désir de tout cœur.
Le Psaume 48 ( 3 ) dit : «. . .dans la ville de notre Dieu, sur sa montagne sainte.
Belle est la colline, joie de toute la terre, la montagne de Sion».
Encore ici est-il question de la colline,- résidence divine, vers laquelle se tournent
les désirs de T humanité.
Enfin le Psaume i 3 a (î 3 ) dit : « Oui l 'Eternel a choisi Sion, il l’a désirée pour sa
demeure. C’est mon lieu de repos éternel; je l’habiterai car je l’ai désiré».
Ce dernier verset, plus explicite que les précédents, mentionne deux fois le désir
et son objet les collines éternelles, ce qui éclaire l’invocation moderne des litanies
et, du même coup, 1 appellation d’Amon : Ab Imentit, dont la traduction peut alors
se rendre par : «Le désiré de la montagne d’Occident».
Il ne peut être question d’établir entre cette épithète du dieu thébain et les textes
des Psaumes de David d’autre rapprochement que celui d’une pensée de même nature,
sans qu intervienne une concordance d époque ou une influence réciproque entre la
civilisation égyptienne du Nouvel Empire et celle des rois d’Israël.
Les égyptiens qui souhaitaient accéder après leur mort à la félicité éternelle dans
la compagnie des dieux, regardaient la montagne d’Occident comme le séjour réservé
aux élus. Pour les thébains la sainte cime de Libye, résidence céleste d’Amon était
1 équivalent de la colline de Sion pour les isra ëlites.
NOTE 7
STATUE DE LION ET TÊTES DE PRISONNIERS ÉTRANGERS
I. STATUE DE LION
La statue de lion en calcaire que les fouilles de 1939 ont fait découvrir dans
le temple de Deir el Médineh est un monument du Nouvel Empire qui présente une
certaine originalité méritant d’être signalée (pl. XXXI, n° 116).
C’est un lion assis, de o m. 3 1 de hauteur totale, y compris son socle de o m. 28
de longueur sur 0 m. 1 2 de largeur; il était peint en jaune avec le détail des yeux
et de la crinière dessinés en noir. Sa gueule est fermée; entre ses pattes antérieures
est posée la tête d’un asiatique; aucun texte n’est inscrit sur le socle. L’originalité
consiste en la présence de cette tête de sémite placée comme une offrande ou un
trophée de victoire devant le fauve. Pour le reste, la statue est plutôt assez fruste
de style, dans sa lourdeur massive exempte de tout évidement interstitiel, dans la
sobriété de ses détails anatomiques et la simplicité de ses lignes générales. Toutefois
l’ensemble ne manque pas de grandeur en raison de sa technique résolument
dépouillée de toute surcharge et de sa composition qui, sans prolixité, exprime
habilement tout ce qu elle voulait dire.
Le thème du lion assis est depuis longtemps codifié en sculpture comme en peinture
et ce nouvel exemple n’offre rien de particulier à mentionner au point de vue de la
stylisation de la crinière ou à celui de l’hiératisme de l’attitude.
On sait qu’on peut classifier les représentations de lions d’après l’attitude en
quatre catégories principales.
En premier lieu le lion debout, immobile, frontal et symétrique, en posture de
guet, dont l’équilibre stable des lignes a trouvé sa meilleure adaptation utilitaire
dans l’ameublement, soit comme support (tables d’olfrandes archaïques en albâtre,
de Saqqarah, n os 63 , 64 au Musée du Caire, chaises, fauteuils et lits de Tout-ankh-
Amon) soit comme accotement (bras de fauteuils).
En second lieu, le lion passant, en marche pour l’attaque, ayant toujours, comme
l’homme, le départ sur le membre gauche et l’appui sur le droit (exception faite
pour l’époque gréco-romaine; tel le lion du Vatican : Ars Una, p. 264, fig. 497).
Cette pose asymétrique reçoit une application pratique analogue à la précédente
8
54
B. BRUYÈRE.
dans le mobilier, principalement dans les appuis latéraux de la sédia royale, du
trône de l’Amon aniconique et de la chaise d’Harpocrate au temple de Philæ; mais
elle est aussi réalisée en statuaire comme sur le groupe du Caire ou Ramsès IV terrasse
un libyen (Ars Una, p. 1 96, fig. 362, n° 42 1 52) ou sur la statue précitée du Vatican.
Le lion est dans ce cas un organe d’accompagnement et de défense de celui qui siège
sur la sédia ou le trône. Pour cette mission de ilanquement, il est de toute nécessité
que chaque côté soit également gardé, aussi n’est-ce pas à un seul lion mais à une
paire de lions que cette tâche est dévolue généralement. Il est presque de règle
d’ailleurs que, dans toutes ses attitudes, le lion ligure accouplé. On a pu le constater
pour le lion debout et le lion passant ; on le vérifiera de même pour les deux autres
catégories principales. Cela tient moins à l’utilisation rationnelle qui est une con-
séquence qu’à sa cause initiale mythologique : la parité fonctionnelle du couple
divin Shou-Tefnout.
En troisième lieu, le lion assis, symétrique lui aussi comme le premier, et comme
lui aux aguets bien qu’au repos. A demi dressé il veille, calme et la gueule fermée
ou bien montrant les dents (lion d’Hiéraconpolis à l’Ashmolean d’Oxford ; lion du
Caire : Ars Una, p. 265, fig. 499). Tantôt la sculpture nous le montre en son rôle
protecteur comme sur la statue de lion d’El Kab ayant devant lui le roi Sethi I er
(Chronique d’Egypte, n° 24 , p. 1 36 ), tantôt la peinture des tombes et des papyrus
funéraires ou les reliefs de la rampe de Deir el Bahri nous le présentent simplement
placé de garde à la porte de l’horizon ou d’un temple.
C’est le couple des Aker, des Rourouty; Shou-Tefnout, Sef-Douaou, Iyi-Khesef,
qui est en sentinelle vigilante double au seuil de la Douât ou d’un Khennou divin
ou royal.
En quatrième lieu, le lion couché, soit symétrique comme la figurine d’époque
thinite (Ars Una, p. 3 , fig. 4 ) la statue de Kom Ombo ( Ars Una, p. 265, fig. 5 oo)
le verrou en bronze d’Apriès au temple d’IIorbeit ( Ars Una, p. 288, fig. 54 i) soit
asymétrique comme les lions d’Aménophis III au Gebel Barkal (Ars Una, p. 171,
fig. 3 i 4 ). Dans l’un et l’autre cas, le rôle défenseur d’une entrée allie ici l’attention
à la quiétude et, encore une fois, ce rôle exige la dualité pour éviter toute surprise.
A ces catégories s’ajoutent des attitudes exceptionnelles et qui en général souffrent
l’unité de représentation; telles les poses du lion combattant, terrassant un ennemi,
bondissant sur lui par derrière, ce qui, entre parenthèses ne cadre guère avec les
mœurs loyales attribuées au lion par les naturalistes.
C’est Mahès W au regard terrible, à la mâchoire puissante, aux griffes acérées
qu’on trouve davantage en peinture qu’en sculpture.
Quant aux formes léontocéphales de certaines divinités, il n’entre pas dans notre
sujet de les décrire.
(,) Sur une amulette du musée de Turin, le lion terrassant un ennemi s’appelle Anbour-Shou.
55
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
Le lion assis dont nous nous occupons appartient donc à la série des Akér ou des
Rourouty tandis qu’un lion couché ferait partie des Khensou m dont
dérive le sphinx, soit androcéphale, soit criocéphale ou tout autre hybridation de
lion à tête animale quelconque.
En sa qualité de Rourouty il est affecté par définition à la garde d’une porte
•^VQ comme Harmakhis est affecté à l’horizon, ce qui vaut à cet Ilorus le quali-
ficatif d’horizonien et ce qui les assimile l’un à l’autre, l’horizon étant
une porte du monde visible et invisible entre ciel et terre.
C’est pour ce motif que le départ de la rampe du temple de Deir el Bahri était
certainement orné au nord comme il l’est au sud d’une image de lion assis. Or ce
temple qui a son entrée à l’est est un sanctuaire d’Hathor comme celui de Deir
^ el Médineh également ouvert à l’est. A El Kab les lions de Sethi défendaient aussi la
porte, orientée au sud-est, du temple de Nekhcbt variante d’Hathor. J. Capart a
signalé à ce propos un curieux monument du Musée du Caire (Chronique d’Egypte,
n° 29, p. 3 i, fig. 1 , 2,3 : Un cercueil de vautour d’El Kab ) sur lequel l’assimilation
Nekhebt-Hathor est attestée et la défense du sanctuaire de la déesse vautour assurée
par les deux lions assis Iyi et Khesef.
Dans un autre temple de Nekhebt construit au désert par Aménophis III une même
représentation de lions assis en sentinelles près de l’entrée affirme une fois de plus
. cette connexion entre la déesse mère d’IIorus, littéralement demeure d’Horus
Q ^ ^ , et le lion qui veille au seuil de sa maison pour en écarter l’ennemi venant
de l’est.
L’appellation donnée à ce lion : : «l’Horus qui repousse le mal»
et aux deux lions du cercueil de vautour : ^ remarc I uer que
i ! a e t *-}“■ venir et s’approcher, car le second sens de khesef est aussi défendable
que le premier, font de ces lions les servants d’Hathor) assimilent encore à Har-
makhis ou à VT ‘ -1 ^ et à ces défenseurs et sauveurs de Rè (cf. note).
Le lion assis Mahès qu’on retrouve à Philæ au temple d’Isis, remplit 1 identique
mission de surveillance auprès de la déesse mère.
« Repousser le mal» est une métaphore qui souvent s’échange en de nombreux
textes avec «repousser l’asiatique», l’éternel péril craint par le dieu d’Egypte et
qui donne toute sa signification à la présence de la garde léonine aux marches de
l’orient et aux portes orientales des temples de déesses mères.
La frontière du pays, surtout du côté de l’Asie s’appelle *+* sur les « chemins
d’Horus» et le poste frontière Silè, Zarou : | — ■ au lac Ballah du nome
de Khent-abt ffj|] 4 - était gardé par un lion ou plutôt un Horus en forme de
sphinx.
E. Meyer constate le grand nombre de divinités léonines qui au début de l’his-
toire, se groupaient au Delta oriental pour la défense du premier noyau territorial
d’Osiris.
8 .
56
B. BRUYÈRE.
Le grand Sphinx de Gizeh n’est-il pas, lui aussi, dressé face à l’est, à l’entrée du
royaume funèbre d’Osiris-Ptah-Sokar?
Sans doute, un seul gardien, comme à Zarou et à Gizeh, pouvait suffire à interdire
l’accès du domaine de Rè ; mais ne semble-t-il pas logique de supposer que notre
lion de Deir el Médineh avait un frère jumeau que nos fouilles n’ont pas retrouvé
mais qui, comme à Deir el Bahri, à El Kab et ailleurs, le doublait à droite ou à gauche
de l’entrée du temple d’Hathor?
Tenait-il lui aussi une tête d’asiatique entre ses pattes ou bien était-ce une tête
de libyen ou de nubien?
La question n’est pas sans vraisemblance car on connaît tant d’exemples, tantôt
dans des sculptures, tantôt sur des ostraca de Deir el Médineh, où le lion est aux
prises avec un libyen ou avec un nègre qu’il terrasse. Au cours des mêmes fouilles
du temple en 1989, nous avons bien découvert neuf têtes de prisonniers, les uns
syriens, les autres libyens ou nubiens. Ces têtes en calcaire peint, provenant proba-
blement d’un soubassement de trône ou de fenêtre d’apparition comme au Rames-
seüm et à Médinet Habou, étaient façonnées pour être engagées dans une maçonnerie
et avaient pour cela le cou terminé par une sorte de pédoncule de forme variable
mais rappelant assez le sommier qui sur la palette archaïque de Narmer termine
inférieurement la tête de l’ennemi que le faucon anéantit.
Que notre lion se nomme Mahès ou autrement, il jouait ici un rôle de
gardien et pouvait par conséquent répondre aussi bien au sobriquet Arihesnefer
| < ^ > v_j | j p «le bon et terrible gardien» de la porte orientale du palais
d’IIorus, c’est-à-dire d’Hat-Hor, sobriquet appliqué couramment à Neferatoum le
lion d’Horbeit préposé par sa situation géographique à la garde des portes orientales
du Delta.
A. Piankolf a souligné ( Egyptian Religion, vol. I, n° 3 , p. 99-105, Nefertoum et
Mahès ) le syncrétisme qui identifie ces deux lions et E. Naville (Revue de l’Egypte
ancienne, t. I. La plante magique de Neferatoum) a confirmé ce point de vue et
cité quelques extraits de textes qui confondent la puissance du lion avec la force
magique de la plante Sennout P our re P ousser les ennemis venus du
désert arabique. Cette fleur qui pourrait avec juste raison être caractérisée idéogra-
phiquement par le mot Hourourout ^ ^ ^ ^ dans lequel se rencontrent les noms
du lion Hou et de Rourouty, a le pouvoir de « repousser Seth en grande terreur et
de mettre en fuite les Satiou à l’aspect de sa terrible face» :
Le lion de Deir el Médineh n’a point la face terrible et ne montre pas les dents
comme ceux d’El Kab et du Caire (drs Um, fig. 499). La tête d’asiatique posée
à ses pieds, avons-nous dit, est placée là comme une offrande ou un trophée de vic-
toire. On peut alors se demander si ce lion ne serait pas comme un mémorial d’une
des victoires, celle de Qadesh par exemple, remportées par Ramsès II sur les peuples
57
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
d Asie Mineure, comme un ex-voto de reconnaissance offert en hommage à la reine
des batailles pour avoir protégé l’Horus vivant Ramsès II contre les coups de ses
ennemis et donne à ses armées la gloire du triomphe.
A cette époque, la formule antique du protocole divin du roi : « celui qui abat
les asiatiques» jj ^ ^ ~ a pris parfois un sens réel par suite des guerres contre
les sémites d Asie; mais, disait Ph. Virey ( Religion de V Ancienne Egypte, p. 1 1 8-1 20),
employée pour exprimer le sacrifice humain des captifs devant l’autel des dieux
nationaux, elle n’a plus qu’une valeur de symbole depuis qu’en fait les holocaustes
ont perdu tout caractère de cruauté et sont remplacées par des offrandes fictives
de prisonniers, simplement représentées sur les murs des temples. En vertu de la
déviation religieuse de cette formule, notre lion présenterait la tête du vaincu pour
exprimer idéographiquement que le pharaon n’étant autre qu’Horus sous cette forme
animale, reconnaît la constante menace des tribus séthiennes, l’affronte avec la con-
fiante certitude d’une issue glorieuse du combat et manifeste pour le présent et
l’avenir sa foi dans le succès final de la bataille.
Sur le papyrus funéraire de la dame Dirpou au Musée du Caire, la vignette du
jugement (cf. Bruyère, Rapport i 9 3A-ig35, Village, p. 2 3 1 , fig. 120) la défunte
portant le fuseau khesej est conduite par une déesse à tête de chatte (plutôt que de
lionne) et le sens à donner à ce fuseau semble bien être ici l’action de s’approcher
du tribunal préférablement à celle de repousser tout mal, c’est-à-dire tout péché
qui entraînerait la condamnation aux enfers. Cependant la nature de l’introductrice
peut n être pas sans rapport avec une forme féminine de l’Horus qui repousse le
mal puisque parfois c est Tefnout qui assume la fonction de présenter les défunts
au juge.
Au musée du Caire, dans le mobilier funéraire de Iouyà et Touyou, lits et fauteuils
sont ornes par les trois figures de Bès, de Toëris et de Mahès. Ces meubles, affectés
par destination au harem plutôt qu’aux salles de réceptiort du palais, donnent au
lion Mahès comme a ses deux compagnons une fonction protectrice à l’égard des
habitants habituels du harem, le^roi, ses femmes et ses enfants, ce qui se traduit
dans le plan mythologique par le dieu soleil, ses Hathors et ses Horus. Notre
lion remplit ce rôle protecteur à la porte du temple d’Hathor et du Khenou de.
Ramsès II.
Ce lion foule aux pieds les asiatiques conformément à la formule du pouvoir royal
pendant que Bès et Toëris charment ou anéantissent les animaux nuisibles, autres
ennemis symboliques du soleil.
58
6. BRUYÈRE.
II. TÊTES DE PRISONNIERS ÉTRANGERS
Quatre monuments trouvés dans le temple en 1 94 2 et 1989 font intervenir les
peuples étrangers vaincus par le pharaon. Ce sont :
1. Le fragment de sculpture n° 43697 (fig. 86), fasc. II, p. 1 4 .
2. La série de huit tètes en calcaire 81 A, B, C (fig. 1A6, 1A7, i 48 ),
p. 6 1-63, fasc. II.
3 . La statue de lion (116) pl. XXXI, fasc. II.
4 . La stèle (80), pl. XXXVIII, fasc. II.
Le fragment n° 43697 qui est en calcaire et non en granit comme le dit par erreur
la nomenclature des trouvailles de Baraize donnée par le Service des Antiquités,
semble devoir être classé dans la catégorie des socles.
Il a en effet pour base une dalle analogue à ces socles de laraires ou de stèles,
ces planchers de naos dont la tranche antérieure s’orne d’une inscription dédicatoire
mentionnant toujours la divinité du laraire, du naos ou de la stèle et le donateur
du monument.
Le texte mutilé de notre dalle 43697 es ^ a ^ ns ^ libellé : y
(Il doit manquer un quadrat au début et deux à la fin) ; mais il est possible que la
base était débordante ou que l’inscription commençait et finissait sur les côtés laté-
raux ou qu’enfin notre fragment se raccordait à droite et à gauche à d’autres pièces
semblables pour former un ensemble en deux, trois ou quatre éléments identiques.
On doit pouvoir interpréter ce qui reste de l’inscription de la façon suivante : .-^..N
(un roi?') 4=''©'-^.-^. ro * ^ es 2 ^ erres > ^ • Horus, en sa toute-puissance?
Ce qui importe, c’est l’indication fournie par ces quelques mots sur la nature de
l’objet et sur la personne divine ou royale à qui il était destiné. D’après cela, l’objet
ne pouvait être qu’un socle de statue ou qu’un stylobate d’une fenêtre d’apparition
du genre des balcons à consoles, ornées de têtes, du Ramesseum ou de Médinet
Habou. Il en résulte que le personnage à qui l’objet était destiné devait être un roi
et comme tout nous oblige (style, lieu de trouvaille^ similitude d’autres découvertes
au même endroit) à nous restreindre à la grande époque ramesside, c’est à Ramsès II
sans aucun doute que nous devons nous arrêter.
Dans les deux cas; socle de statue ou balcon d’apparition, une dalle plus ou moins
épaisse et débordante constitue la base sur laquelle s’enlèvent en haut-relief deux
ou quatre têtes de prisonniers étrangers. Souvent ces têtes sont encadrées des deux
mains car les vaincus sont censé aplatis contre le sol sous les pieds du pharaon vain-
queur. Sur le fragment 43697, dalle devait supporter deux têtes au moins et il
semble qu’elles s’encadraient entre les poings fermés des étrangers. Une seule des
59
POUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
têtes est en partie conservée et identifiable. C’est celle de gauche et elle représente
un asiatique barbu dont les cheveux pendent comme une bourse de chaque côté du
visage. La tête de droite est détruite et la nationalité du prisonnier peut probable-
ment se déduire d’une comparaison avec le socle n° 48835 (fig. 3 ) du Musée du
Caire si toutefois, comme il le paraît, les positions respectives des peuples vaincus
restent invariables sur les monuments de cette sorte. Là en effet l’asiatique
^ (le chef de Mitanni, à plat ventre sur la terre ) est à droite, et le Koushite ^ =5
] ““ xx v« (le chef de V Ethiopie, terrassé ) est à gauche. Le symbole Sma-taui, placé
entre les deux têtes des ennemis du nord et du sud qui toujours s’opposent à l’unité
Fig. 3. Socle n° 48835 avec têtes de prisonniers étrangers (Musée du Caire).
du royaume, affirme la victoire de l’Egypte et cette victoire est célébrée par les accla-
mations des Rékitou , sujets du pharaon, qui décorent les faces latérales. Ce socle
en granit gris date de la XX e dynastie et provient de Médinet Habou, date et lieu
qui par leur proximité avec la date et le lieu de notre socle 43697 penchent à inférer
une communauté de conception. Le chef de Naharina est d’un type racial différent
de celui de notre asiatique lequel serait plutôt un juif araméen de Palestine, ce qui
donne une précision géographique sur le théâtre des opérations guerrières entre-
prises par le roi dont la statue reposait sur le socle.
La série de têtes en calcaire (8 1 A, B, C) fig. 120, 121, 1 2 2 , est peut-être incom-
plète car elle comprend trois nubiens, trois libyens et seulement deux asiatiques.
La chevelure courte et crépue des nubiens est rendue par le procédé sommaire du
quadrillage qui, depuis les figurines aurignaciennes de Brassempuy et les sculptures
60
B. BRUYÈRE.
néolithiques d’Egypte, sert à exprimer le genre de coiffure des négroïdes. Le Koushite
du socle 48835 , de facture plus poussée, a une toison de même espèce mais dont
les bouclettes sont traduites par une imbrication en zones concentriques comme
chez la Venus de YVillendorf et un grand nombre de statues archaïques égyptiennes.
Les nubiens des séries de têtes de captifs sont glabres. Par contre les gens du
nord-est et du nord-ouest sont barbus et cela, depuis l’origine des temps, comme
le montrent les ivoires libyens préhistoriques, les graffiti berbères et les plus anciens
monuments de l’Assyrie.
Nos deux têtes d’asiatiques sont encore celles de deux juifs amorrhéens. Bien que
très dilférentes des têtes groupées de Damanhour, Tanis, Saqqarah et autres, ras-
semblées au Musée du Caire, de la tête de hittite, E. 642 1 de Bruxelles W, elles
dérivent toutes d’un prototype, devenu conventionnel par la suite, qui remonterait
aux figurines protohistoriques en os d’ÏIiéraconpolis.
Le caractère ethnique de leur faciès tourmenté a été consacré par l’iconographie
bien avant l’époque des Hyksos à laquelle furent adjugées prématurément des statues
présentant ce type racial. Une élémentaire prudence doit donc guider tout essai de
classification et de datation qui voudrait de façon catégorique attribuer aux écoles
de Lisht ou de Tanis du Moyen Empire certaines œuvres offrant une similitude d’as-
pect impressionnante avec le modèle asiatique. Le traditionalisme égyptien a plus
de part que l’importation étrangère dans la codification d’une conception de ce genre.
Malgré son immutabilité, elle admet, comme nous le disions, une certaine diversité
de détail qui empêche de confondre un syrien et un palestinien et qui permet ainsi par
recoupements historiques, connaissant les victoires asiatiques d’un règne, d’affecter
à celui-ci plutôt qu’à un autre un monument orné de têtes de prisonniers orientaux.
La même discrimination est possible, sans toutefois constituer une certitude uni-
verselle, au sujet des têtes de libyens parmi lesquelles les Tehenou se distinguent
des Temehou, pour ne parler que de ceux-là, ce qui a quelque chance d’indiquer
l’époque du monument où les uns ou les autres figurent, par la recherche d’une
concordance belliqueuse en Libye.
Les trois libyens (8i) fig. 120, sont des Timihou. Leur chevelure frisée mais
non crépue retombe en frange sur le front et sur la nuque pendant que quelques
mèches plus longues, réservées sur le pariétal droit, descendent nattées en volute
sur l’épaule. On observe des différences de procédé dans le rendu de ces chevelures.
Cela incite à considérer ces mêmes différences sur les têtes des asiatiques et des
nubiens et à penser qu’elles appartiennent à plusieurs monuments et non à un seul.
Par exemple les têtes (fig. i 46 , n° 3 , fig. 147, n° 1, fig. i 48 , n° 1) appartiendraient
au même monument car leurs dimensions, leur facture et leur pédoncule de fixation
ne sont pas semblables à ceux des autres. De plus leurs bouches grimacent un rictus
(1) Chronique d’Egyple, n 0 ’ 1 3 - 1 4 , janvier 1 9 3 2 , p. 29, fig. 1,
61
FOUILLES DE DE1R EL MÉDINEH (1935-1940).
à commissures baissées qui découvre la denture et exprime un sentiment de souf-
france ou de terreur que n’expriment pas les visages des autres têtes.
On a remarqué également que la natte temporale du libyen n° 1 est placée à gauche
contrairement aux deux autres et à l’usage généralement indiqué par tous les textes
et représentations connus.
Ce détail suppose le placement de cette tête de iaçon à n’être vue que sous son
profil gauche, par conséquent sur le côté droit d’un ensemble ou appuyé au mur
dans lequel toutes ces têtes étaient maçonnées.
Nous avons dit les raisons qui nous font considérer l’endroit de leur découverte
comme le palais Hnw de Ramsès II. A ces raisons s’ajoute celle de la présence du
socle 43697 e * de ce ^ e série de têtes qui ne peuvent provenir que d’un lieu d’appa-
rition royale et par conséquent d’une résidence fictive du pharaon régnant, c’est-
à-dire résidence de sa statue de Ka auprès du temple où réside aussi le Ka d’Hathor.
La série de têtes (81) appelle comme complément une dalle inscrite sur sa tranche
antérieure ou seulement anépigraphe qui servait d’appui commun à leur réunion
par groupes de trois. Il y aurait donc eu soit simultanément trois baies garnies de
consoles à têtes de prisonniers soit successivement trois modifications d’une même
fenêtre, soit enfin trois dispositifs différents, balcon, trône, naos, par exemple,
comportant ce genre de décoration. Cette dalle socle se trouve peut-être parmi les
nombreux fragments recueillis au cours du déblaiement et réunis sur les planches
du rapport de 1 939-1 g 4 o. Quant aux victoires représentées par les têtes 43697
et 81, elles correspondent bien à celles que Ramsès II remporta sur les Timihou,
les Koushites et les Syro-paiestiniens.
NOTE 8
LE ROI VAINQUEUR DES PEUPLES ÉTRANGERS
La stele (80) (fasc. II, pi. XXXVIII), représente un sujet bien connu et trop
fréquemment grave sur les murs des temples pour qu’il soit nécessaire de le décrire
en détail. C’est la scène de victoire du pharaon sur les ennemis de l’Egypte, sans
aucun caractère d’originalité qui la distingue du cliché devenu rituel où l’on voit le
roi prenant aux cheveux des représentants des trois adversaires perpétuels de son
pays, libyens, nubiens et syriens et levant sur eux la harpé, la hache ou la massue.
Fig. 4. Stèle 80.
Ramsès II vainqueur des peuples étrangers.
Les seules différences entre ces tableaux guerriers se constatent dans les attitudes,
le nombre et l’équipement des acteurs. Ici Ramsès II coiffé de la perruque libyenne
et couronné de YAtef et du Seshed est vêtu d’une robe longue que la rapidité du
mouvement relève au-dessus du genou car il court, il fond sus à l’ennemi d’une
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940). • 63
extrémité à l’autre du royaume pour faire face de tous côtés au danger national.
Il affirme par son costume les droits et les devoirs héréditaires qu’il tient de son
ascendance et qu’il défend contre les convoitises étrangères (fig. 4).
Il n est peut-être point de monarque qui ait autant que Ramsès II multiplié les
Fig. 5. Bas-relief n° 46189. Ramsès II terrassant les peuples étrangers (Musée du Caire).
images glorieuses de victoire, les bulletins de conquêtes, les scènes de batailles el
de triomphes, sur les parois des temples.
À Karnak, au Ramesseum, à Àbou Simbel, etc. les murs sont couverts de récits
illustrés, de ses combats et de leur issue toujours victorieuse.
Les musées possèdent des stèles qui célèbrent les mêmes exploits. Celui du Caire
contient, entre autres, les stèles n os 345 12 et 46189 (%• 5 ) où tantôt en des poses
violentes, tantôt dans une attitude de majesté froide et hautaine, le roi empoigne
les peuples vaincus et les précipite à genoux ou les maintient debout tandis que
ceux-ci, levant la main comme les gladiateurs romains, demandent la grâce de vivre.
Ramsès porte ici le casque de guerre, d écailles bleues qui encapuchonné son
crâne a la façon dont s’emboîte en fauconnerie celui de l’oiseau de proie qui est
justement son animal totémique et le symbole d’Horus. C’est que tout pharaon,
descendant d Horus et Horus lui-même s identifie en chacun de ses gestes, en chaque
64 B. BRUYÈRE.
période de son règne, à l’un des Horus qui représentent une des phases du cycle
solaire.
Guerrier vainqueur et triomphant, il est Hor-tema ^§ 5 , celui qui, parvenu au
zénith de sa course divine après les étapes de la matinée personnifiées par Harpocrate,
Harsiésis ou Harmakhis, a vaincu les ténèbres.
Battre les peuples hostiles, renverser les Setiou, anéantir les neuf arcs, c’est
accomplir le plan divin de chasser l’obscurité et de faire resplendir le soleil. Dans
ce rôle, frapper les asiatiques : f ^ ^ ) ^Tî ou re P ousser les séthiens v_i [) * 1 p
^ est devenu depuis longtemps une formule pour le roi qui jadis agissait
véritablement en sacrificateur des victimes offertes au dieu son père. Depuis que les
sacrifices humains ont été remplacés par d’autres holocaustes ou ont été seulement
mimés dans les cérémonies et figurés en images sur les murs, le rite de consécration
de l’offrande par le geste de frapper avec le sekhem ou le glaive a cessé d’exister
réellement en tant qu’oblation de captifs. L’acte accompli par Ramsès II sur notre
stèle (80) n’est donc plus qu’une figure, un symbole de la victoire horienne et de
la défaite typhonienne, et l’épithète protocolaire sur secon d
registre y précède les cartouches, atteste qu’Horus revit en Ramsès, et arme son bras.
NOTE 9
H
LA FORMULE : L±J f
© -
K A ROYAL VIVANT DANS LA VÉRITÉ)
Au moins sept stèles et un jambage de porte trouvés à Deir el Médineh en 193 9-
19A0 contiennent cette formule : Çlf
0 considérée comme le sigle de la
personnalité composite du roi. Elle est toujours suivie du cartouche Neb-taoui, nom
d’intronisation, et parfois du second cartouche Neb-khaou, nom personnel du sou-
verain. Généralement cette formule est introduite par un terme tel que :
ou la.vfâ* impliquant la vénération du dédicant de la stèle au Ka royal
ou la relation qui unit celui-ci à Horus.
( 383 )
TièJLLE
c*7«)
(=76)
M) PiSVastiR swkh H isjjtir
(38=) p^Sîliî-itrr;4-ZZtiriDI'tYYrr: ; rS2 ! )-L¥ÏU
•
(344) SSM*S r yii&t^ŸViilf 4e l»rte)
On peut ajouter à cette liste un fragment de stèle du Musée du Caire n° ^-j-^
provenant de Deir el Médineh et peut-être même du temple, qui montre un per-
sonnage assis, sans doute un roi, derrière la chaise duquel la déesse Mâat, debout,
étend ses ailes protectrices. Le texte incomplet situé au-dessous donne :
ÜS^fVSrstZ = ÉZfiP l iZ-!=iilYTViZ=-iïf'l
U 1 ,
9
66
B. BRUYÈRE.
La plupart de ces stèles, mentionnant le « Ka royal vivant dans la Vérité», con-
tiennent deux registres. Celui du cintre, registre sublime réservé aux dieux, repré-
sente une divinité adorée par un roi suivi de son vizir. Celui du bas montre seulement
le dédicant de la stèle, à genoux et sa prière écrite en colonnes devant lui.
Avant d’établir le rapport qui unit la formule à l’image, il y a lieu de faire quelques
remarques sur la formule elle même, décomposée en ses éléments et prise en^on
ensemble. Le Ka royal a été déjà défini par A. Moret dans les Mystères Egyptiens
(p. 200-219). Il 3 démontré son identité parfaite avec le nom d’IIorus que prend
tout pharaon lors de son couronnement et qui est son nom de Ka; identité si complète
que le mot Ka est souvent déterminé par le signe du cartouche. Le nom, dit-il, « est
en Egypte une véritable définition de l’essence intime d’un être, la formule magique
de sa nature secrète». Porter un nom d’Horus, c’est l’équivalent de s’identifier à
Horus. Par son intronisation le roi devient donc Horus. Mais de même qu Horus
est considéré comme la seconde vie d’Osiris, réincarnée par le passage dans la nébride,
le Ka royal ou simplement humain est le dépositaire et l’héritier de la vie de celui
qu’il double comme une image, qu’il suit comme son ombre et dont il prolonge
l’existence au delà de la mort, aussi bien dans ses effigies animées par la magie que
dans ses descendants naturels. Un fils est à ce point de vue le Ka de son père, sa
vie lui est transmise.
Le mot vie tel que l’entendaient les égyptiens n’est pas seulement l’union
éphémère d’un corps et de son Ka (sans parler des autres composants spirituels de
la personnalité) ; comme pourraient le laisser croire des expressions telles que U [ ^
JYJ ^ J généralement traduite par « personnes vivantes » ou ^ » — ' * t « citoyen
d’une ville». A ce compte, la formule qui nous occupe signifierait que le roi auquel
elle s’applique est toujours de ce monde, ce qui n’est pas le cas général car, par
exemple, le jambage de porte n° 35 i (186) du British Muséum sculpté par le graveur
Paï vivant sous Ramsès II, l’emploie au sujet d’Aménophis I er mort depuis trois
siècles. Sans doute, par son côté matériel la vie dépend en grande partie des aliments
JJ ' dont le Ka entretient les multiples principes de sa force ; mais c’est surtout
une qualité potentielle divine qui n’est provisoirement dévolue au corps que lorsqu’il
est lié à son Ka sur terre. C’est le Ka qui en est le bénéficiaire et qui le reste après
la mort. Le rapport étroit entre Ka U ^ et Ankh ^ “J" n’a pas besoin d’être sou-
ligné. Il se manifeste dans certaines dénominations d’objets comme : le miroir ^ ^
qui réfléchit la figure humaine, qui permet de voir le double de sa personne; le
cercueil : — • ^ TT ] , ' ■ V. ^ qui est le réceptacle du corps momifié, support du Ka.
Si la vie est une émanation de la divinité et si le Ka est en quelque sorte une assi-
milation au dieu Horus, cette vie du Ka, pour être parfaite, doit être conforme à la
règle universelle établie par Thot et Mâat et en vertu de laquelle les droits légitimes
d’Horus à la succession d’Osiris sur les deux terres ont été reconnus par le tribunal
divin pour lui et ses successeurs, les rois et les hommes.
67
FOUILLES DE DE1R EL MÉDINEII (1935-1940).
« Vivant dans la Vérité» peut donc s’interpréter comme une confirmation de l’iden-
tification à Horus justifié. Aussi lit-on sur une de nos stèles n° (80), fasc. II,
pl. XXXVIII, CÜ jj 1 ue I e Pharaon Ramsès II est la vie
d’Horus b), et sur la stèle d’adossement d’une statue de Neferhotep de la tombe
n° 216 (J Rapport iga 3 -igaâ, p. 43 ) ^ \ 2 ) 111 ^ m J PH <l ue
cette vie dans la Vérité est celle de tous les dieux. Prise en totalité, la formule :
^ ^ exprime donc l’idéale situation d’Horus après sa légitimation. Horus
est souvent qualifié
Quand cette formule se présente, plus ou moins complète, sur les parois d’un
temple comme à Louqsor, à Deir el Bahri, à Abou Simbel, etc, le roi, accomplissant
certains actes qui mettent en vedette une des qualités héritées d’Horus, est géné-
ralement suivi de son Ka, soit sous forme humaine coiffée du signe Ka JJ, soit sous
celle d’un bâton d’enseigne terminé en bas par le sceau d’éternité pour montrer
l’infinie durée attribuée au double, et en haut par les bras du Ka enserrant le Serekh
du nom d’Horus royal sommé du faucon couronné du Pschent. Ce bâton est muni
de bras dont une des mains tient une hampe portant ce qu’on nomme la tête du Ka
et l’autre main une plume de Vérité. A Abou Simbel cette représentation s’accom-
pagne de cette légende : spécifie le milieu originel
et final du Ka. Sur les stèles de Deir el Médineh, comme on l’a vu plus haut, le Ka
royal ne figure pas. Mais en son lieu et place, le vizir tient l’éventail de plume d’au-
truche | khou qui n’est autre qu’une plume de Vérité ^ quand il n’a pas comme
sur la stèle ( 63 ) pl. XXXVII le bâton d’enseigne portant le Serekh et le faucon
d’or, ajouté à l’éventail.
Le vizir se trouve donc assimilé au double du roi en ce sens que, suivant son maître
partout comme son ombre, inséparable de sa personne royale, obéissant servilement
à ses ordres et accomplissant les gestes que commande la pensée du roi, il est son
aller ego, son double, pour l’administration du royaume d’Osiris < 2) .
L’assimilation du vizir au Ka du souverain ne dépasse sans doute pas les limites
d’une association d’idées et d’un rapprochement iconographique; mais il mérite
toutefois une constatation qui, sans être nouvelle, peut-être, est intéressante à signaler
ici.
Par son Ka, d’essence divine, le roi est le prêtre par excellence, c’est-à-dire le
meilleur des intermédiaires entre le ciel et la terre. Le vizir remplaçant ce Ka en
O) Tout protocole royal débute par Au Kasr el Agouz, Thot est qualifié :
(D. Mallet, p. 71).
( 2 ) L’ombre représentée par le parasol se confond souvent avec le Ka au Nouvel Empire. Le titre
de porte éventail à la droite du roi (la droite correspond à l’ouest par rapport au soleil) assimile son
titulaire à l’Occident tenant la plume libyenne de Vérité qui symbolise l’Amenti, le roi étant lui-même
assimilé au soleil.
9 -
68
B. BRUYÈRE.
assume ïe rôle vis-à-vis du Pharaon considéré comme un dieu. Le roi affronte
d’ailleurs les divinités d’égal à égal, debout et au même registre .qu’elles, tandis
que le dédicant humblement agenouillé au registre inférieur fait passer sa supplique
par le canal du ministre qui la transmet au roi pour être présentée aux dieux.
Sur nos stèles, les divinités invoquées et confrontées avec le Ka royal de Ramsès II
sont Hathor, Harmakhis, Ptah, Mâat, Aménophis I er et Nefertari. Ces deux dernières
personnalités divinisées ou plutôt leurs Ka, jouissaient, on le sait, d’une adoration
particulière à Thèbes et spécialement à Deir el Médineh.
Une autre de nos stèles (n° 79, pl. XXXVIII) montre le dédicant Ramosé, à genoux
devant les cartouches du roi vivant Ramsès II et au-dessous d’un registre représentant
les Ka de trois rois morts. Les cartouches timbrés de VAtef, c’est-à-dire nantis de
plumes de Vérité remplacent ici le Ka royal de Ramsès II. Les tombes n os 7, 10, 266
et 35 g contiennent des séries de Ka royaux auxquels les défunts de ces tombes
rendent le culte funéraire en leur qualité de Serviteurs dans la Place de Vérité qui
les affecte spécialement à la vénération des ancêtres. Membres de confréries laïques
les Sdm ash de Deir el Médineh sont tous, plus ou moins, chargés d’entretenir ce
culte des Ka royaux mais, en dehors d’eux, l’on trouve un sacerdoce régulier qui
en assume les fonctions religieuses ; témoin le propriétaire de la tombe n° 5 1 à
(iournah, Ouserhat qui était : ^ | ^ 0 j -fj .
Les rois étant considérés comme des réincarnations d’Horus, par conséquent
comme des dieux en raison de l’intronisation qui leur transmettait pour ainsi dire
le Ka totémique de la race divine du faucon, prennent rang parmi ces dieux. C’est
pourquoi dans une tombe de Qantir (Delta) publiée par H. Gauthier dans les Annales
du Service des Antiquités, t. XXXI 1 , p. 1 1 5 - 1 28, le Ka royal de Sethi II se trouve
adjoint aux deux triades memphite et thébaine. (Le dieu Seth s’y substitue à Khonsou
dans la triade de Karnak).
Mais on ne saurait se borner à analyser chacun des termes de la formule qui nous
occupe par une traduction mot à mot ni à prendre au pied de la lettre l’expression
tout entière car le sens littéral d’une formule lapidaire de ce genre, cristallisée par
un usage millénaire, a toujours chance d’être différent et souvent très éloigné de
son sens primitif.
Surtout dans le domaine religieux, et c’est le cas ici, il est nécessaire de remonter
aux sources historiques afin de retrouver la véritable signification des mots pris en
particulier et pris dans l’ensemble du sigle composé.
Nous avons examiné tour à tour la valeur qu’on peut attribuer aux divers com-
posants : Ka jj 1,. royal , vie ^ , Vérité et nous avons envisagé la teneur géné-
rale de leur groupement pour en arriver à une interprétation logiquement conforme
au personnage, à son temps et à sa résidence.
Etant donné l’esprit traditionnel qui régit toute forme écrite de la pensée et enferme
celle-ci dans le moule des idéogrammes aussitôt que le langage découvre le moyen
69
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
graphique de matérialiser une idée, il est indispensable de remonter vers le passé
le plus lointain de l’Egypte et d’y rechercher les raisons d’être d’une expression
condensée qui unit intimement un concept religieux à un principe monarchique.
Pour ce qui est de la religion, en tant que relation de la divinité a 1 humanité
et vice-versa, on sait qu’elle ne fut pas le stade originel de l'intuition du surnaturel.
La superstition, ébauche primitive, avant de devenir par la suite lorme attardée ou
dégénérescente de la religion, était née de ce sentiment de crainte du mystère qui,
jusqu’à la loi d’amour et de conliance instaurée par le christianisme, constitue le
fondement de toutes les religions.
Elle ne connaissait que le correctif de la magie pour atténuer les rigueurs de la
terreur sacrée et ce palliatif, même en sa forme la plus affective, ne se traduisait
par aucune manifestation issue du cœur. Quand une lente évolution eut amene
l’Egypte à la phase de la croyance aux dieux, on ne peut pas dire que le dogme civi-
lisateur d’Osiris, malgré toute la bonté du démiurge est un témoignage d amour
donné du ciel à la terre et appelant une réciprocité de la part de celle-ci.
De tous les mystères ayant engendré la crainte superstitieuse, celui de la mort
fut sans nul doute celui qui frappa en premier lieu l’intelligence de 1 homme et,
de là, le caractère funéraire que prirent dès le début les signes sensibles de ses dévo-
tions. La mort fut honorée par peur du mort et le dieu invisible n’échappa point
au destin universel qui le condamnait comme tous les êtres de la création a cette
fatalité d’anéantissement et donnait à son culte une funebre constitution.
Les travaux de Frazer, de V. Loret et de A. Moret ont accrédité la notion du toté-
misme comme période initiale des rapports entre la divinité et les clans humains.
Dans cet état primitif de la société, semblable à celui des tribus africaines non civi-
lisées d’aujourd’hui, c’est souvent le sorcier, c’est-à-dire l’intermédiaire entre le
dieu ou le totem et l’homme qui prend le pas sur le chef du clan à moins que celui-ci
ne centralise en sa personne les pouvoirs religieux et civils. On sait qu en Egypte
l’autocratie attribua de bonne heure l’omnipotence au chef de clan. Il fut ainsi, en
tant que roi et prêtre, le souverain pontife de son groupe racial. Mais une loi du
totémisme fait du prêtre ou du souverain la première victime et la plus grande de
mérite qui puisse être offerte au totem. Le danger de cette théorie est que sa mise
en pratique équivaut à la suppression du sacerdoce ou a la stagnation de la religion
par disparition du prêtre, seul membre initié du clan. Quand ce prêtre est en meme
temps le chef temporel, le risque que fait courir ce procédé au groupement est plus
considérable. Aussi fallait-il trouver un expédient qui satisfit la divinité en sauve-
gardant son ministre du culte. C’est à la magie imitative qu on eut recours par substi-
tution de victime. D’abord ce furent des victimes humaines choisies principalement
parmi les ennemis du clan, ce qui régnait à dire, adversaires du totem ou du dieu.
Puis l’objet du sacrifice fut pris dans le règne animal et aussi le règne végétal, car
toute la création, à ses divers échelons, participe à degrés différents il est vrai, au
70 B. BRUYÈRE.
même principe d’offrande salutaire, propitiatoire et, somme toute, agréable à la
divinité.
Enfin le meurtre rituel du roi rendu obligatoire par caducité ou par responsa-
bilité des défaillances de la nature, c’est-à-dire des calamités publiques résultant de
phénomènes naturels, put être évité par l’invention du rite magique de la fête Sed.
Parmi les animaux spécialement désignés comme substituts du roi pour l’holo-
causte figure en première ligne le taureau dont le nom s’écrit dès la plus haute anti-
quité : Ka jj Le rôle qui lui est ainsi attribué de doubler le souverain à l’heure
du sacrifice, il le doit à ses qualités qui font de lui un être supérieur dans un trou-
peau. Sa force, sa vaillance, sa majestueuse stature l’imposent d’emblée à cette
élection; mais auprès de ces avantages physiques, sa fonction génératrice qui fait
de lui l’agent de prolongation de la race et en quelque sorte l’organe de transmission
du génie de l’espèce, en prenant ce mot comme l’expression des qualités de toute
nature qui peuvent singulariser cette dernière, l’assimile au chef de clan désigné
entre tous pour incarner les vertus du groupe ethnique et les transmettre à ses succes-
seurs après en avoir fait profiter ses sujets durant sa vie.
Conformément à la règle égyptienne de résumer le tout dans sa partie essentielle,
le nom de Ka s’est appliqué à l’organe procréateur du taureau et par extension à
tout appareil génital mâle. D’autre part, comme les qualités font partie intégrante
de la personnalité et la constituent en la spécialisant, elles furent englobées dans la
même détermination que l’individu qui les possède et s’appelèrent les Kaou. Enfin
comme l’entretien de ces qualités, tant physiques que morales, dérive en grande
partie de l’alimentation, il devenait rationnel d’attribuer la même appellation de
Kaou aux principes alimentaires dans lesquels les vertus de la race puisaient leur
originalité et leur constance.
De cette façon se sont trouvés réunis, sous une désignation identique par sa
racine, l’animal choisi comme symbole de l’offrande et les éléments nutritifs devenus
par ce fait même les supports de celle-ci et, à ce titre, offrandes eux-mêmes. La
définition du totem correspond donc exactement à l’ensemble de ces animaux et
objets homonymes.
Si le signe Ka prit la forme de deux bras levés, peut-être pour élever l’offrande
vers la face du dieu, il n’est pas sans intérêt de constater que dans ses graphies les
plus anciennes relevées par Petrie à Abydos sur des bouchons de jarres, le bras
droit du signe tient en main l’arme du sacrifice, couteau ou boomerang ( Abydos , I,
Royal Tombs, pl. XVI) y.
L’identification du taureau au Ka royal se manifeste au cours des âges par le for-
mulaire du protocole, par la scène traditionnelle du roi prenant le taureau au lasso,
par la présence de bucrânes au-dessus des édicules religieux sur les peintures de
vases préhistoriques, sur certains sceaux royaux ( Royal Tombs, pl. VI, n° 8), sur les
murs de temples (Abydos, temple de Sethi I ; Sokar faucon dans un naos surmonté
71
FOUILLES DE DEIR EL MÉDlNEH (1935-1960).
d’un bucrâne) (temple d’Amenemhat III : Sebek au-dessus de deux tombes avec
bucrânes), à l’entrée de la tombe de Ramsès III (quatre bucrânes sur mats). Certains
savants prétendent même que les bucrânes à visages humains de la palette de Narmer
ne seraient point hathoriques mais plutôt appartiendraient à un dieu taureau.
Lorsqu’Amenophis III, suivi de son Ka, fait une offrande à Amon dans le temple
de Louqsor (A. Gayet, Louxor, pl. IX). celle-ci se compose de quatre taureaux. Quand
Sethi, au temple d’Abydos, prend le taureau au lasso pour l’offrir aux dieux du sanc-
tuaire, il est escorté de son fds Ramsès II qui paralyse les mouvements de l’animal
en le prenant par la queue (Sed). Le fds, qui «fait revivre le nom de son père»,
est ici assimilable au Ka du roi et son geste, en apparence conforme seulement à
un usage rural, prend une valeur symbolique si l’on interprète la réunion de deux
entités Ka et taureau égales à une troisième, l’héritier royal qui s’empare du Sed
(■ S ^ ‘ 4 =, — *$)•
Mais l’identité du Ka royal et du taureau est surtout rendue flagrante dans les
protocoles qu’on peut relever sur certains monuments tels que la stèle du Sphinx
de Thotmès IV à Gizeh ou encore les stèles de Ramsès III au temple spéos de Ptah
et Mert Seger à Deir el Médineh.
Sur la première on lit : J ■ - — > ^ ’+m --Y,:,*.*, ( Ll ) et sur les
secondes : ■ïYT&SÜ.lrànk ( cadre - Cf. Mert Seger à Deir el Médineh,
fasc. î , pl. IV, V).
La vie de l’Horus taureau vigoureux, c’est le Ka vivant du roi selon l’ordre uni-
versel établi au commencement des siècles. Comme si les textes n’étaient pas suffi-
samment explicites, l’imagerie vient les corroborer. C’est ainsi que chaque fois que
le roi est suivi de son Ka et désigné par la formule : ti] ^ S, le nom d’Horus enfermé
dans le Serekh débute par les mots : %(v-j i « taureau vigoureux» qui, s ajoutant
au faucon dressé sur la bannière, donne : Horus taureau vigoureux. On ne saurait
mieux exprimer par ce taureau Ka et le bras armé pour le sacrifier la parfaite identité
du roi vivant et de l’animal immolé par substitution et par conséquent absolument
semblable à lui symboliquement.
Donc le chef du clan des faucons, qui devint un jour chef de tous les autres clans
et roi des deux terres, incorpore en lui toute la religion dont il est le prêtre par
excellence, incarne en sa personne humaine et divine le génie de la race entière
d’Egypte, c’est-à-dire le Ka des vivants. C’est bien alors ce que nos stèles de Deir
el Médineh rendent par la formule : jjP j.
NOTE 10
SUR LA DÉESSE TOËRIS (TA-OURT)
Actuellement on ne connaît à Deir el Médineh qu’un seul personnage dont le titre
pourrait attester l’existence d’un culte organisé de la déesse Ta-ourt. C’est un nommé
Amenouahsou, fils de Mesou, qui est ainsi mentionné : 'Ç / — > ^ ^ f jj 4°
sur les battants de porte d’un naos de la déesse Toëris de la collection Golenischeff
à Moscou, publiés par Touraief.
Cependant il n’est pas douteux que l’hippopotame femelle était l’objet de la part
de la population des nécropoles thébaines d’une vénération particulière, s’il faut en
juger par le nombre de statues et de stèles qui la représentent et qui proviennent
des maisons et des oratoires de confréries.
Les tombes elles-mêmes renferment parfois son image peinte sur les parois (tombe
n° 335 . Rapport 1924-1925, p. 157 fig. io 5 ) ou sur des objets votifs inclus dans
le mobilier funéraire.
De plus le nom de Ta-ourt est très souvent mentionné sur les vasques et les bassins
à libations que l’on rencontre aussi bien devant les naos de cette divinité situés dans
les chapelles de confréries ou les chapelles tombales que devant les laraires des
demeures privées. On peut même affirmer que c’est en ce dernier lieu que ces
compléments habituels des tables d’offrandes se trouvent en plus grand nombre, les
tables étant en général dédiées à des dieux mâles et les vasques à des divinités
féminines telles que Hathor, Moût, Mert Seger, Toëris.
Enfin auprès des meubles domestiques, principalement des lits, fauteuils et chevets,
sur lesquels figure l’énorme pachyderme ; auprès des stèles guérisseuses et des
papyrus magiques qui reproduisent sa singulière morphologie, on dénombrerait
difficilement les amulettes de toutes tailles et de toutes matières, surtout de faïence
bleue, ayant pour sujet l'hippopotame debout, invariablement tournée vers la droite,
orientation rituelle de tout personnage divin ou mortel principal, représenté sur les
stèles.
Dans cette quantité considérable d’objets talismaniques plus ou moins précieux,
il en est de tout à fait modestes, en pierre calcaire, qu’on prendrait à première vue
pour des contrepoids de filage et de tissage, étant donné leur ressemblance de formes
et de matières avec ces engins et les débris de cordelettes nouées autour d’un des
étranglements de l’objet (fig. 6 ).
73
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
Un examen d’une série de pièces de même nature, mesurant de 0 m. o 5 à o m. 10
de longueur, montre que ce sont des représentations schématiques de Toëris debout,
dont le dos est rectiligne et dont trois protubérances, vaguement dégrossies, expriment
les silhouettes de la tête, de l’abdomen et des pieds. La cordelette attachée au cou
servait d’organe de suspension de ce fétiche sur la poitrine de la personne qui cher-
chait en lui une protection.
L’état fruste et rudimentaire de ces pauvres figurines n’autorise pas toutefois
Fig. 6. Fragments des statues de Toëris et amulettes
en forme d’hippopotame.
qu’on les confonde avec des jouets d’enfants ou avec les premiers balbutiements
artistiques d’élèves sculpteurs; leur but utilitaire s’accommode ou peut-être même
commande une facture aussi grossière.
Ces amulettes de Ta-ourt, connues sous le nom de : Swid-t : |lj^ devaient pro-
bablement être portées par de tout jeunes enfants pour les préserver contre tout
danger de blessure par les bêtes féroces ou vénimeuses.
On revenait de la sorte aux usages constatés en préhistoire au sujet des figurines
de pierre ou d’argile et surtout des plaques de schiste perforées représentant l’hip-
popotame, que l’on trouvait dans toutes les tombes des négroïdes de Haute-Egypte,
bien que, à cette époque reculée, l’animal amphibie, non encore déifié, fût pris
simplement avec son sens symbolique à la fois utile et dangereux et fût toujours
exprimé en station horizontale, conformément à la naturel 1 '. Combattre le mal par
le mal lui-même est un des premiers principes de magie tiré de l’expérience, que
l’homme mit en pratique et c’est pour conjurer dans l’au-delà le péril qui avait
menacé sa vie ici-bas qu’il se fit accompagner au tombeau par le simulacre de son
ll} J. de Morgan, Recherches sur les origines de l’Egypte, p. i5i, fig. 372 (Gebel el Tarif). F. Petrie,
Diospolis Parva, pi. XI, XII.
74
B. BRUYÈRE.
ennemi. On dit aussi que grand chasseur et vivant de sa chasse dans les marais du
Haut Nil, infestés d’hippopotames, il ne pouvait trouver symbole plus expressif des
ressources alimentaires que le pachyderme dont il avait extrait sa subsistance.
Un troisième motif de la présence de ces figurines animales dont le sexe femelle
était déjà caractérisé par le développement mammaire et abdominal de la gestation,
ne se laissait pas encore deviner. Ce n’est que bien plus tard, lorsque l’accès du pan-
théon populaire lui fut donné et que ses fonctions maternelles furent mises en évi-
dence préférentielle que l’hippopotame femelle s’imposa comme l’expression la plus
représentative de l’idée de prolongation de l’espèce, de la succession des généra-
tions et, avant tout, de la maternité primordiale du genre humain.
Escorter un mort dans sa tombe, c’était donc lui assurer un gage de pérennité
pour sa descendance et il est probable que ce but primait les deux autres.
Les morts qui plaçaient auprès d’eux des représentations d’hippopotames étaient
des immigrants venus des hauts plateaux où le Nil prend sa source. Dans ce pays
fabuleux pullulent, parmi les fourrés des éternels marécages, les représentants nom-
breux et variés d’uhe faune où l’Egypte a puisé la plupart de ses traductions
zoomorphiques. En particulier ces eaux dormantes, vieilles comme le monde, sont
l’habitat des amphibies et des sauriens et pour cette raison, l’hippopotame et le
crocodile se verront associés en maintes occasions dans la mythologie égyptienne.
Mais les forêts équatoriales abritent aussi des êtres humains qui sont des pygmées,
des nains, génies des eaux et des sylves, dont les images se rencontrent également
dans les sépultures des négroïdes de Haute-Egypte. Ce sont les ancêtres du petit
dieu Bès, le psylle éthiopien, compère de Ta-ourt et confrère de Mahès, le lion des
ouadi du Soudan.
Ces trois associés, issus des vastes contrées du sud-est où le soleil de l’été se lève,
furent d’abord les féaux de Seth, le souverain de ces régions, jusqu’au jour où Rè
en lit ramener la Lointaine et où ils entrèrent en dissidence par un ralliement sincère
au parti d’Horus. De ce passé hostile, un souvenir est resté vivace, tant pour le
Maudit qui prend parfois les aspects de l’hippopotame W que pour Ta-ourt qui
gardera jusqu’à la fin des âges un caractère de sauvagerie typhonienne et de cruauté
juxtaposé à son humeur bienveillante, mais dissimulé sous une épithète de camou-
flage empêchant de distinguer sa véritable personnalité au travers de cette double
apparence.
Le fait d’exhiber une mâchoire redoutable ou de brandir les longs glaives des
gardes d’honneur du royaume d’Osiris ne ressort pas à l’obédience séthienne. Cet
effrayant rictus et cet armement sont au contraire des preuves de fidélité au clan
(1) Lanzone, Dizionario, tavola CCCLXXX, stèle de Neferrenpet. Seth et Ta-ourt hippopotames y sont
suivis par plusieurs rejetons dont l’un s’appelle u :m Rapport de fouilles à l)eir el Médineh 1 9 3 1 -
1982, p. 70, fig. 5 o : silex en forme d’hippopotame appelé : — Rapport 1986-1940,
stèle 228, fig. 167. Seth hippopotame.
75
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
horien, des moyens de défense vigilante en faveur de l’Oudjat de Rè, le jeune Harpo-
craté solaire, toujours exposé aux attaques perfides du malin.
De tout ce qui précède, on peut déduire les traits principaux constitutifs de l’iden-
tité et du rôle mythologique de Ta-ourt.
. 1. Elle est originaire, au point de vue zoomorphique, des régions du Haut Nil.
2. Sa patrie est le domaine de Seth.
3. Son habitat est l’immense marais considéré comme l’abîme liquide primordial
d’où est sortie la suite des êtres vivants.
4. Pour ce motif, elle est la mère du genre humain.
5. De plus, elle est l’incarnation-type du génie des eaux. De ces eaux mères naît
le Nil au début de la crue et le jeune soleil à l’aurore de l’année. L’homme en vient
et y retourne. En elles il puise l’innocence baptismàle, le renouveau périodique de
sa force vitale et l’initiation ésotérique.
6 . Elle partage avec le crocodile Sebek (que la XIX e dynastie assimila à Seb [Geb]
père des pères) les prérogatives résultant d’un habitat commun.
7. Sa nature féroce lui assigne parfois un rôle castigateur ou maléfique mais la
magie sympathique lui décerne le pouvoir de remédier aux maux qu’elle peut causer.
8. Associée à Bès et à Mahès, armée comme eux de longs couteaux, elle défend
le dormeur, l’enfant débile, l’homme faible, contre tous les dangers physiques et
psychiques auxquels on se trouve exposé dans le sommeil, la jeunesse et la maladie.
La plupart des noms divins n’étant que des épithètes qualificatives de la divinité
et toutes les déesses pouvant se ramener à une seule qui est l’expression du principe
féminin, celle que les égyptiens baptisèrent Ta-ourt, «la grande», était une variante
d’Isis-ourt, Isis la grande, si l’on considère son rôle de grande magicienne : Ourt-
hekaou : ^:| U J j comme sa fonction la plus importante. A notre point de vue, ce
n’est là qu’un rôle accessoire; le véritable sens étymologique devant dériver d’une
assimilation étroite avec l’Hathor Meh-ourt, la vache céleste couchée sur le chaos
liquide qui contient en germe tout le monde vivant, d’hier, d’aujourd’hui et de
demain.
Meh-ourt, la plénitude aquatique : c’est l’Okeanos, le Noun : *** ; — '
l’immensité liquide qui va rejoindre à 1 horizon la céleste Nout : ^ et donner par
cet accouplement naissance à l’humanité. Les deux vastes mers :
enserrent l’Egypte à l’est et au nord et que Maspero prétend se confondre sous la
même appellation avec le Nil au maximum de la crue, le Nil lui-même : j
le Fleuve : I T ***** son t parties intégrantes de l’entité Ta-ourt qui embrasse toutes
les étendues d’eau pure descendues du ciel ou sourdant des profondeurs de la terre.
Jusqu’au jour où Winlock trouva à Lischt dans une tombe du Moyen Empire (| )
W Bulletin of the Metropolitan Muséum of Art ? New-York,. 1933-1934, p. 3 o, fig. 29,
I
76
B. BRUYÈRE.
la première représentation en ronde bosse de l'hippopotame debout, on ne connais-
sait que les statuettes néolithiques et les figurines en faïence du temps des Àntef
représentant l’animal en sa station normale reposant sur ses quatre pieds. Comme
certaines statuettes préhistoriques de femmes, ces statuettes d’hippopotames en
faïence bleue avaient le corps couvert de figurations de la flore aquatique traduisant
l’ambiance dans laquelle vivaient ces animaux. On pourrait difficilement leur dé-
cerner une qualité divine tandis que celle qui, de façon anormale, se présentait en
station verticale, ne pouvait pas être une simple image sans signification métaphy-
sique.
Le type de l’hippopotame femelle divinisée était désormais créé et son identité
nettement caractérisée par l’état de grossesse et par une hybridation avec le croco-
dile, qui resteront inséparables jusqu’à la fin des temps. Si le prototype fut d’abord
une réalisation en ronde bosse, on serait tenté de supposer qu’une question d’équi-
libre n’était pas étrangère à l’adjonction d’un appendice caudal volumineux non
conforme à la nature du sujet et qu’une raison de statique exigeait une base tripode
pour compenser le poids du mufle et de l’abdomen. Ta-ourt se présente désormais
avec, tout le long de l’échine, un épais bourrelet, parfois nattillé comme une crinière
dorsale tombant jusqu’à terre, parfois squameux comme une carapace de saurien
et se terminant comme une queue de crocodile. Cet appendice qui joue plastique-
ment le rôle d’une stèle d’adossement de statue et qui contrebalance le porte-à-faux
des détails anatomiques antérieurs, a toute l’apparence d’une stylisation d’un dos
de crocodile. En dehors des exigences de la statuaire, un motif plus puissant de
mythologie, dérivé de l’observation zoologique, imposait probablement l’association
intime et perpétuelle, en une seule expression figurée, des deux bêtes amphibies
qui synthétisent l’ambiance des eaux primordiales, stagnantes dans les marais du
Haut Nil et bouillonnantes dans les remous des cataractes. Consacré par la sculpture,
l’aspect morphologique de Ta-ourt fut admis sans difficulté par le bas-relief et la
peinture, même lorsque, à la Vallée des Reines fit l’hippopotame est représentée
assise et non debout.
Mais le sens originaire de cette colonne vertébrale supplémentaire se perdit peut-
être à la longue car un véritable crocodile, allongé contre le dos de l’hippopotame,
s’ajoute à elle sur les plafonds astronomiques quand une valeur stellaire remplace
celle de la géographie terrestre par une substitution de vocable qui n’entraîne aucune
modification physique ni métaphysique. Le syncrétisme aidant, la fusion corporelle
du pachyderme et du saurien se manifeste sur les stèles prophylactiques comme celle
de Metternich ou celle du Musée d’Ismaïlia l 1 2 L
On pourrait multiplier les exemples de cette dichotomie ; ils se résument à traduire
(1) Tombes n 08 4 o, 42 , 43 , 52 . L’hippopotame y est armée de couteau et s’appelle w
Bruyère, Annales S. A, E v îÿôo. Un ex-voto d’Isis-Toëris au musée d’Ismaïlia, n° 96,
FOUILLES DE DEIR EL MÊDINEH (1935-1940). 77
par l’image la domination de celui des quatre éléments : l’eau, qui a joué le rôle
capital dans le scénario de la création .
Ta-ourt, c’est «l’eau pure du Noun» : +
Elle vient des rapides du fleuve : St.LTUV I V V = T CS*»).
Ces rapides, ce sont les cataractes avec leurs gouffres, leurs courants violents.
Une de ces cataractes, celle de Silsileh, fut jadis considérée comme la source du Nil
Fig. 7. Stèle n 9 36661 de Toëris à Silsileh (Musée du Caire).
car les hautes falaises d’Arabie et de Libye, très rapprochées en cet endroit, étaient
assimilées aux jambages d’une porte gigantesque derrière laquelle le fleuve se cachait
avant de franchir impétueusement le seuil rocheux qui lui barrait la route vers la mer.
Le Musée du Caire possède la stèle n° 3666 1 qui reproduit justement le paysage
de Silsileh. On voit l’hippopotame Ta-ourt debout, tournée vers la droite, cou-
ronnée des cornes de vache d’Hathor et du disque solaire, devant un portique à
(l) Lànzone, Dtzionario , ta vola CCCLXXX.
W J. Vandier, Mémoires, t. LXIX. La tombe de Nefer abou, p. 38 , pl. XI, XVI, XVIII, XIX.
i
78
B. BRUYÈRE.
colonnes hathoriques, surmonté d’un soleil muni d’une seule aile (la droite, selon
la mode du règne de Thotmès IV, assimilation avec l’Oudjat droit de Rè). Deux
chaînes de montagne enserrent le portique; un fdet d’eau coule sur le seuil et un
crocodile s’en éloigne remontant le fleuve vers Kom-Ombo. La légende :
S fl S identifie l’hippopotame au filet d’eau coulant devant elle. Ta-ourt montre
ses dents pour mettre en fuite les ennemis du jeune Nil et elle ne s’appuie pas comme
à l’habitude, sur le manteau roulé Sa : % des bergers de Nubie et d’Ouganda (fig. 7).
Cette stèle, intéressante pour le culte de Toëris, est aussi intéressante par son
style, qui est celui de Deir el Médineh et par les noms du donateur et de sa famille
qui sont également du même endroit.
Le donateur est le chef du Shena d’Amon Pached :
Or à Deir el Médineh, la tombe n° 3 est celle du préposé au Shena d’Amon dans
la ville du sud Pached : J Ô. dont
le fils,était le chef du Shena d’Amon Nefer sekherou : ^ JQ | ™ •
La femme de Pached porte le même nom : Nedjem-behedet : j “ J que
celle du Pached de la tombe n° 3 ; de plus on retrouve dans leurs parentés respectives
les mêmes patronymes : Ouia, Ioui, Ourniro.
Le beau-père de Pached était chef des péniches de transports d’Amon :
et en cette qualité il put, ainsi que son gendre, aller à Sil-
sileh chercher du grès pour les constructions royales de Thèbes.
Enfin la dévotion au culte de Ta-ourt par Pached est encore connue grâce à une
vasque à libations ornée de têtes d’Hathor de la collection Sait, n° 28 au British
Muséum (n° 7 22 du Guide ) qui porte cette inscription : nj ^
laquelle est la formule générale des bassins nombreux trouvés à Deir el Médineh.
On se serait attendu plutôt à lire celle-ci que Lanzone signale ( Diziomrio ,
tav. CGCLXXX) et qui offre un certain rapprochement avec le nom du donateur :
JTV A F— M A J^. \ I
Il y a lieu de penser que ce Pached, chef de l’ergastule d’Amon c’est-à-dire de
l’entrepôt des biens Wa'qf du temple, dont le musée Borelli de Marseille possède
deux oushebtis (n os 171, 2 2 5 ) était, soit le même homme que celui de la tombe
n° 3 , soit son grand-père,- par raison d’homonymie et d’hérédité de fonctions.
Ajoutons que le caveau n° 3 contient un tableau représentant le défunt agenouillé
à l’ombre d’un palmier doum qui puise sa sève dans une nappe d’eau souterraine,
infiltration du Nil ou figuration fictive du Noun et cet homme se penche pour boire
l’eau qui lui donnera la vie éternelle.
Cette scène dont la présence ici n’est sans doute pas fortuite, illustre le chapitre
de se désaltérer sous le doum, dans lequel il est dit que l’eau pure est celle du Nil :
£2, — ^*"11;. D’autres tombes de Deir el Médineh contiennent un tableau iden-
tique. Dans celle d’Ari-nefer (n° 290) letexte qu’illustre cette vignette identifie le
79
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-194 0).
défunt au palmier doum et déclare qu’il s’abreuve auprès de Min dans la terre sacrée
de la nécropole. Plus loin il est fait allusion au haut lieu de la double vérité :
On retrouve cette mention dans Pétosiris (G. Lefebvre, t. II, p. Ai, 1 . 8) :
La tombe n° 218 d’Amennakht s’orne de deux scènes qui se complètent mutuel-
lement. L’une montre le mort buvant le doum, l’autre montre son épouse buvant
sous le palmier dattier. Pour la première il est spécifié que le défunt boit sous le
doum qui est aux pieds de Min tandis que pour la seconde, il est indiqué que la femme
boit sous le dattier aux pieds de Nout.
Les textes d’accompagnement sont les suivants :
Pour l’homme : XP « ! S 2 )^^ ^ ^ 2 T G " ^ J
Pour la femme : ^ £2 2 ) . J 1 - f
Ces quelques exemples suffisent à établir l’importance vitale de l’eau, son étroite
connexion avec un des arbres sacrés affectés à différentes divinités et en particulier
l’affectation du palmier doum à Ta-ourt.
Un fragment d’une de notre stèle n° 289 (fig. 206, fasc. II) représente le sommet
d’un palmier doum devant un édifice dont on ne voit que le couronnement et qui
pourrait être un sanctuaire de Toëris, car on lit cette inscription auprès de lui :
« Ta-ourt des doums » : « ' — 1 ^ ^ 1 1
Daressy ( Temple d’Ouajmès ) signale un fragment aujourd’hui détruit d’une stèle
où l’on voyait les têtes rasées de deux hommes sous les feuilles en éventail d’un
palmier doum. Étant donné la proximité du temple d’Ouajmès et de celui de Deir
el Médineh, étant donné aussi la dispersion maintes fois constatée des fragments
d’un même objet sur de grandes distances dans la nécropole, on peut supposer
que ceux que nous signalons ici peuvent avoir appartenu au même monument.
Par ailleurs une stèle de Dorpat, publiée par Wiedemann, fait encore état de
l’affectation du doum à Ta-ourt.
Quant à la relation qui unit le doum au dieu Min et qui rapproche ce dieu de
Ta-ourt par le truchement de l’arbre, elle se trouve attestée d’une part, pour Min,
par le pays de Pount qui est sa patrie et par sa souveraineté sur les déserts du sud-
est; d’autre part, pour Ta-ourt, par le titre qu’elle porte de régente des déserts :
« | w *3. ^ “ »(') ; Le palmier doum, poétiquement décrit par le Papyrus
(l) G, Daressy, Recueil de Travaux : t, 34 , p. 189 : Thoueris et Meskhemit.
80
D. BRUYÈRE.
Sallier I, est surtout un arbre de Haute-Egypte et de Nubie qui peut vivre en plein
désert car ses racines trouvent dans le sous-sol ces lacs souterrains que les peintures
des tombes n os 3 , 218, 290 montrent et que les textes définissent exactement, tantôt
comme le Grand Nil des pays tropicaux, tantôt, sans remonter si haut, comme le
Nil de la cataracte.
C’est sous ce dernier aspect que dans la tombe n° 335 W l’hippopotame femelle
est intimement associée aux déesses de Syène : Ânoukit : ““ J et Satit :
rü T" f J 0 et se présente sous le sobriquet de : I P I n T > 1 qu’on pour-
rait traduire : «Place du refleurissement ou de la renaissance» en se souvenant
que les gouffres Qerti sont des enceintes dans lesquelles le Nil reprend chaque année
une vie nouvelle.
Le fleuve est censé mourir en hiver et renaître au début de la crue estivale. Cette
double action nécessite une intervention de l’élément féminin car mourir, c’est
retourner dans le sein maternel et revivre, c’est en sortir.
Pour la première action, Toëris, sous le nom de Shepout : ^ ~ s’intitule : «celle
qui réside dans 1$ salle de l’embaumement» : * 2) et nous voyons,
chez Tout-ankh-Amon, par exemple, prendre la forme du premier des trois lits de
momification et de résurrection qui ne sont pas des meubles immobiles, mais des
organes mobiles de transmigration d’Orient en Occident qui transportent le mort
vers le désert de l’ouest, son terme final.
Le premier lit qu.’ emprunte le défunt pour traverser la région marécageuse des
bords du Nil infestée d’hippopotames et de crocodiles s’inspire de la forme hybride
de la Dévorante : ~ZL“^lL T parce que cette synthèse animale est à la fois celle des
hôtes des marais et celle de la justicière du tribunal d’Osiris, première étape de
l’odyssée funèbre.
Le deuxième lit est la vache qui réside dans les pâtures de la berge cultivée et
a la porte des monts de Libye. C’est Hathor, c’est Nout qui accueille l’arrivant aux
portes du ciel et lui fait franchir la zone qui précède le désert. Enfin le troisième
lit est l’Aker, gardien de l’entrée des sables, c’est Shou ou Tefnout, le couple léonin,
qui emporte définitivement le mort dans l’infini occidental. Il marque le dernier
stade de cette évolution qui aboutit à une résurrection et c’est toujours lui que
représentent les scènes funéraires où la momie couchée renaît à la vie éternelle sous
les passes magiques faites par Anubis.
Ces trois couches de formes animales qui personnifient les phases du retour à la
vie divine sont en somme des Meskhent d’enfantement et l’on comprend qu’il y ait
une assimilation de la déesse enceinte au lieu de la naissance et que le rôle pro-
tecteur attribué à l’hippopotame (en compagnie de Bès et de Mahès) sur les lits,
( * 1 Bruyère, Rapport 1924 - 1925 , p. i56, 167 , i58, fig. io4, io 5 , 106,
m Wjlkihsoh, Manners and Customs, III, p. i46.
81
„ FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
les chevets et tous les objets mobiliers du gynécée dérive de cette assimilation.
Le gynécée lui-même : Apet : prend pour s’exprimer symboliquement les
formes alourdies de l’animal en gésine et comme cet asile mystérieux est le point
de départ de nombreuses générations et, par suite, de nombreuses panégyries, anni-
versaires, jubilés et renouvellements des forces vitales, il peut être admis qu’on ait
voulu rendre sensible cette fonction d’heureuse maternité par l’emploi du signe de
la fête et de la joie heb : pour désigner l’hippopotame femelle.
Sur un bloc de pierre sculptée de l’Ancien Empire, remployé dans un escalier de
Bab el Füttüh au Caire W, et sur un bas-relief de Thotmès III à Karnak W l’hippo-
potame est appelée : et lorsque la transposition du plan terrestre au plan
céleste fait d’elle la personnification stellaire de la constellation du Dragon et la
chevauche par le crocodile, assimile les myriades d’étoiles de la voie lactée aux mil-
liards de générations divines et humaines qui ont fait leur temps, c’est encore par
le signe de la salle de fête que son nom de Djamt (Djemé) est déterminé :
Si l’on doit attribuer à l’idéogramme : ^ la valeur : hebit | J | ^ ^ traduisible par
les mots : naos, tabernacle, lit d’accouchement qui sont des contractions de : temple,
gynécée, lieu saint (Iat l*j), on concevra la similitude parfaite qui, à Thèbes, sur les
deux rives du Nil, place en vis-à-vis les sanctuaires d’Apet. de l’est et ceux de Djemé
de l’ouest.
Parce que les uns et les autres sont des hommages rendus à l’hippopotame
Taourt pour la grandeur et la diversité de ses fonctions, on comprendra également
qu’elle ait eu une si grande part dans la vénération populaire, principalement chez
les ouvriers des nécropoles royales thébaines de Deir el Médineh^.
De ce qui précède se déduit le rôle mythologique de Toëris qui peut se résumer
en quatre traits ou quatre missions généralement dévolues à l’élément féminin et
dont trois sont communes à toutes les déesses vouées par nature à la reproduction
de l’espèce.
La première tâche maternelle est le don de la vie. Elle dote chaque nouveau-né
d’un Ka immortel tiré des profondeurs du chaos primordial situé au pays des mânes.
Naître à la vie, renaître à la survie est le destin de ce composant immatériel de l’hu-
manité et, par imitation, de la divinité. A l’hippopotame Taourt, grosse des
(l) Antiquily, September 1935 .
W Prisse cTàvesnes, Monuments égyptiens, pl. XVI, n° 2.
(3) Plafond astronomique du tombeau de Senmout.
{h) Nos magasins à céramique de Deir el Médineh renferment plusieurs exemplaires partiels d amphores
apodes représentant une femme grosse pressant ses seins lesquels sont perforés pour laisser couler le
liquide, eau ou lait, contenu dans le vase. Le Louvre possède également des statuettes creuses en faïence
verdâtre de l’hippopotame Ta-ourt, dont les mamelles sont également percées. On pense que ces buires
servaient à des bénédictions dans les temples. Ce sont là encore deux nouvelles preuves de la consécra-
tion de Peau à la déesse Toëris.
82
B. BRUYÈRE.
générations sans nombre, incombe le devoir d’enfanter tous les êtres et, en cela,
elle s’identifie à la vache Meh-ourt, au nom significatif, en gésine sur l’abîme liquide
des marais du Haut Nil. Donc tout germe de vie vient de l’eau.
La seconde mission est exclusivement attribuée à Toëris en raison du milieu ori-
ginaire auquel elle doit sa morphologie. Qualifiée souvent « Eau de pureté», l’hippo-
potame est chargée de la fonction spéciale de purification du Ka après sa naissance
ou après toute diminution de force vitale et enfin à l’heure de la résurrection glo-
rieuse qui suit la mort. Ce rôle majeur de l’eau baptismale des cataractes donne à
l’enfant, redonne à l’adulte et rend au mort revenu au premier âge toutes les vertus
morales et les qualités physiques qui conditionnent la durée saine et forte du Ka.
En troisième lieu, la mère ayant donné le jour à un rejeton et l’ayant lavé de toute
souillure originelle ou autre, doit assurer sa subsistance par le lait maternel qui est
la synthèse des Kaou alimentaires et qui est assimilé ( Wb ., le lait Irtt parfois écrit
mw ) à l’eau des sources du Nil.
Le rôle nourricier justifie la richesse mammaire de l’hippopotame comme il jus-
tifie ailleurs l’offre du sein par les déesses mères, l’elliptique représentation de
Nout seulement par les bras et les seins, la traite de la vache Hathor par llatshep-
sout, etc. Par son identification à Smat-ourt, la déesse Toëris se voit chargée de la
nutrition du Ka à l’aide des apports du Nil.
Enfin le quatrième rôle vaut à toute déesse mère le surnom d’Ourt-hekaou parce
qu’il est pour elle l’obligation de protéger par les ressources de la magie les défi-
ciences de l’enfance, de la maladie ou du sommeil contre tous les dangers auxquels
le Ka peut être exposé. Toëris affirme ce devoir de protection par l’emblème Sa %
(manteau roulé protecteur des bergers de Haute Nubie) et par l’onde purifiante du
Nil, riche en fluides magiques.
Ainsi en ces quatre fonctions Taourt se manifeste et s’assimile à diverses déesses
dont les aspects successifs : (hippopotame, vache, lion) sont justement ceux donnés
dans le même ordre aux trois lits de transmigration du Ka venant du levant et allant
à l’occident (mobilier de Tout-ankh-Amon).
NOTE 11
À PROPOS DE «STATUES CUBES»
PORTANT LE COLLIER MENAT D’HATHOR
Les fouilles opérées en 1 989-1 gAo dans le temple ptolémaïque d’Hathor à Deir
el Médineh ont donné au moins six fragments de statues d’hommes accroupis qui
appartiennent toutes au Nouvel Empire, de la XVIII e à la XX e dynasties W.
Elles ont devant leurs jambes un masque d’Hathor en haut-relief et les mieux
conservées ont sur l’épaule gauche un collier menât dont le contrepoids est tantôt
en avant, tantôt en arrière de l’épaule.
Elles sont couvertes d’inscriptions en lignes horizontales (environ huit ou neuf
lignes) débutant par la formule 4 e â et divisées en deux invocations symétriques
à la triade thébaine de Karnak : Amon, Maut, Khonsou et à Hathor thébaine.
%
Les textes contiennent des demandes de subsistances alimentaires, en particulier
de pains Sennou d’offrandes sur l’autel de tous les élus, de denrées comes-
tibles et de bouquets et elles mentionnent certaines fêtes comme celle de la Vallée.
Sur deux de ces statues subsistent les noms des personnages dédicateurs. Ce sont
Penmerenab et Àmenemipet, vivant sous la XIX e dynastie et portant le simple titre
de Sdm-ash dans la Place de Vérité. Leur discours commence par ces mots : Je suis
le serviteur (. Bah ) d’Hathor (ou de Noub ) et se termine par la supplique habituelle
pour obtenir longue vie, vieillesse heureuse et bonne sépulture. Aucun document
ne prouve jusqu’ici que ces deux hommes aient rempli une fonction spéciale relative
au culte d’Hathor. Seul le titre de Ouab est parfois décerné à Penmerenab lorsque
le tour de rôle établi dans la confrérie dont il faisait partie l’appelait à jouer une
partie active dans les cérémonies de sa chapelle particulière. Comme par ailleurs
il est appelé Sdm-ash du Maître des deux terres, il est possible que sa confrérie ait ete
affectée au culte royal d’Âménophis I er ou du pharaon vivant^.
La forme particulière des statues accroupies annihilant toute précision vestimen-
taire empêche de caractériser par ce moyen la situation sociale des gens représentés.
W B. Bruyère, Rapport de fouilles à Deir el Médineh 1 g36-i gâo, fig. 101, pl. II et XLIII, fasc. II.
W Statue de Penmerenab n° 3o32 du musée de Turin (Recueil de Travaux , II, i85) ; J. Cernï, Rulletin
de l'Institut français, XXVII. Le culte d’Aménophis I #r chez les ouvriers de la nécropole thébaine,
p. i6o-ûo3.
1 1
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B. BRUYÈRE.
Un insigne distinctif porté sur la tête ou autour du cou peut parfois donner une
indication et, dans le cas actuel, le Menât posé sur l’épaule gauche acquiert peut-
être la valeur d’un indice fonctionnel; mais il serait téméraire d’en conjecturer sans
autre preuve, une position déterminée dans la hiérarchie administrative ou reli-
gieuse. La coiffure trahit la mode d’une époque ou d’une race plutôt qu’elle ne
signale une classe de la société ou une profession; cependant nous devons remar-
quer que si la perruque de Penmerenab (statue n° 2 56 ) tombant sur les épaules
est seulement détaillée par un quadrillage, celle d’Amenemipet (statue n° 219) est
divisée en mèches rayonnantes, dentelées à l’extrémité et ayant pour centre une sorte
de tonsure circulaire creusée au sommet du crâne. L’aspect de cette chevelure rap-
pelle la toison archaïque libyenne et se rapprocherait de celles du porteur de san-
dales ^ de la palette de Narmer b) et du torse de Mit Farès < 2 ) qui, tous deux, sont
parés du Menât ou de ses contrepoids. On a déjà établi que le titre aurait peut-
être quelque rapport avec le nom de la sandale s=J-| tbt; mais serait préférable-
ment la plus ancienne graphie du mot 5 ^.“ tit qui signifie vizir et G. Lefebvre cons-
tate dans l’ Histoire des Grands Prêtres d’Amon de Karnak (p. 3 i) que les vizirs portent
généralement un insigne hathorien. Le vizir Thotmès du Musée de Leyde (n° 1 24 ) W,
par exemple, a un sistre pendu à son cou. Ce qui laisserait supposer que le torse
Mit-Farès est celui d’un haut personnage cumulant les fonctions de vizir avec celles
de prêtre Sam indiquées par la peau de panthère qui le drape.
Tel n’est pas le cas d’Amenemipet qui ne nous est connu que comme Serviteur
dans la place de Vérité et ne saurait se confondre avec son homonyme le scribe royal
dont M lle G. Jourdain a publié la tombe n° 21 5 . Tout au plus pourrait-on tenter
de l’identifier au Mskb ^iilil STU'Mà du même nom, que notre Rapport de
fouilles ig 3 â^ig 35 , dans les ruines du village W, faisait apparaître pour la pre-
mière fois et qui partage avec cinq autres hommes seulement de Deir el Médineh
l’avantage de porter ce titre peu fréquent, relatif à l’administration militaire.
Une particularité de nos deux statues n os 219 et 2 56 qui probablement devait
se retrouver sur les autres (n os 20, 68 a et à) trop fragmentaires pour affirmer une
certitude à cet égard, est la disposition des bras et des mains de ces personnages.
La main gauche est posée à plat en pronation sur le genou droit tandis que la main
gauche, demi ouverte en coupe, est placée devant la bouche comme celle d’un homme
qui boit dans le creux de sa paume ou attend qu’on lui mette des aliments à portée
de ses lèvres. Ce geste quémandeur connu par certains bustes d’Ancien Empire des
mastabas de Gizeh et par les nombreuses scènes funéraires du Nouvel Empire dans
(,) J. E. Quibell, IJicraconpolis, II, pl. XLVI.
A. Mariette, Notice des principaux monuments, p. 5 4 , n” 9 ; J. Capart, Les Monuments dits Hyksos, p. 1 3 ,
fig. 3 .
(3) Lbemans, Musée de Leyde, pl. XV, n° 37. Description raisonnée; V, 1 4 . p. 271.
B. Bruyère, Rapport de fouilles 1 g3 h - 1 g 3 5 (village), p. 345, fig. 123.
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FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
lesquelles le défunt, accueilli par Nout en son sycomore, reçoit dans ses mains l’eau
versée par la déesse et s’apprête a consommer les aliments qu elle lui offre, est ici
en relation directe avec le texte inscrit sur les statues et demandant des offrandes
comestibles à la déesse Hathor, variante de Nout.
Le caractère votif de ces statues dédiées à Hathor dans son temple ^ T I V 1 53
est ainsi mis en évidence; mais le point essentiel et le plus frappant est 1 attitude
accroupie qu’elles ont toutes et les deux objets
significatifs qui les classent, à savoir : le masque
d’ Hathor et le collier Menât.
La pose accroupie si fréquente à l’époque saïte
semble être d’invention du premier empire thébain
et se localiser à la Haute-Egypte en sa période de
début, c’est-à-dire sous la XVIII e dynastie, vers
les règnes de Thotmès III et d’Hatchepsout. On
désigne les statues de ce genre sous le nom de
statues cubes ou de statues blocs M. Comme chaque
attitude en statuaire, en bas-relief ou en peinture
n’est point due à l’arbitraire de l’artiste mais à
un code de conventions utilitaires et que ce code
puise ses inspirations dans le répertoire mytho-
logique, il n’est pas superflu de chercher à dé-
terminer le point de départ et la cause de cette
mode de représentation ( 2 L
Le mythe d’Horus paraît avoir eu sous les
dynasties diospolitaines une faveur très grande
parmi toutes les sphères de la population et c’est
surtout vers le jeune Horus de Khemmis, Harpocrate,
que l’attention et la dévotion générales semblent s’être tournées de préférence. Le fils
adultérin d’Osiris, encore au sein de sa mère et nourrice Isis, dans son rôle d Hathor,
et dans l’attente de son accession au trône paternel, est souvent figuré suçant son
index droit pour exprimer qu’il est encore en lactation, ce qui, soit dit en passant,
s’apparente au geste de porter la main à la bouche qu’affectent nos statues (fig. 8).
Le motif en est le même : c’est la demande de subsistance de l’enfant à sa mere
nourricière. Mais de plus la pose accroupie est celle de l’enfance qui n est pas
affranchie de la tutelle maternelle, et celle de l’attente orientale à la porte qui va
s’ouvrir ( 3) . Si Harpocrate nous est souvent montré debout, nu et le doigt aux lèvres,
W C. Boueux, Catalogue guide du Louvre, I, p. 5 o. w â U J / ' d''
<•> Cette pose n’est pas la posture d’affliction dite «la tête sur les genoux» ^ T / 1 w 1 1 eludiee
par G. Lefebvre, Petosiris, Annales, XXI et par A. Gàrdiner, Rec . Trav XXXII, 1910, p. io.
(*) B, Bruyère, Propos sur quelques nouveaux monuments thébains du dieu Ched, note 16.
Fig. 8. Fragment calcaire.
Jeune roi dans la pose accroupie
îa
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B. BRUYÈRE.
il l’est plus souvent encore, assis sur les genoux de sa mère et pressant le sein qui
le nourrit ou mieux, accroupi sur le sol quand ce n’est pas sur un siège de pierre
incurvé affectant la forme du signe de l’horizon. On ne peut traduire plus clairement
que par cette pose la situation expectante du jeune Horus, à la fois attendant la
provende quotidienne et l’heure de franchir le seuil de l’aurore. Le terme : Pa hemsy
mfer yÇ fréquent dans les inscriptions peut donc, s’appliquant à Har-
pocrate, à la pose qu’il affectionne et au siège qu’il occupe, exprimer ce que les
statues accroupies veulent signifier. Par conséquent, celui qui se fait représenter
dans cette attitude s’identifie au jeune Horus et se recommande ainsi de façon toute
particulière aux soins de la divine mère et nourrice Hathor î*).
A notre avis, la statue cube est donc une image d’Harpocrate de Khemmis.
Vient ensuite le collier Menât placé sur l’épaule gauche des statues accroupies.
Notons qu’il n’est pas employé ici comme collier, c’est-à-dire, porté autour du cou,
le bourrelet de perles tombant sur la poitrine et le contrepoids tombant entre les
omoplates. Ceci différencie nos statues du torse Mit Farès, par exemple, car ce dernier
emploie le Menât dans sa fonction de collier et non pas en guise de parure, mais
d’insigne, tandis que Penmerenab et Amenemipet l’emploient avec son sens sym-
bolique de talisman protecteur. Mit Farès fut probablement un grand fonctionnaire
attaché par sa situation au culte d’Hathor. Nos deux hommes de Deir el Médineh,
sont deux dévots de cette déesse qui, en posant sur leur épaule gauche le signe hatho-
rien, font acte de suppliants à la protection et à l’adoption maternelles. On dira que
le geste de leur main droite empêchait le sculpteur de mettre le collier au col des
statues; et il faut reconnaître que cet argument est très acceptable si l’on se borne
à donner au Menât la seule qualité de parure et pour son unique place sur le corps,
la ceinture scapulaire; mais on sait que cet objet connut plusieurs emplois et diffé-
rentes significations selon son utilisation. De plus on conviendra que le geste de
la main à la bouche exprime la même idée que le collier passé autour du cou, sous
le rapport de la vocation filiale du dédicant.
Le collier Menât ™ | ^ ) a été longuement étudié par divers savants ( 1 2 * * 5 ) et
il résulte de leurs études que sa partie essentielle est le bourrelet de grosses perles
rondes d’or et de turquoises maintenues de place en place par des barettes d’or.
Ce bourrelet épais au centre et effilé aux extrémités avait au début deux attaches
(1) Il y a, on le sait, parallélisme de nature entre Harpocrate, souvent représenté soit assis sur le
siège incurvé analogue à la montagne de l’horizon, soit accroupi dans la pose du fœtus et Ànubis
sur sa montagne, celui de Oui g c’est-à-dire en gestation dans le sein maternel. Les statues
cubes ramènent l’homme à cette attitude contractée qu’il avait avant de naître et que les enterrements
prédynastiques lui rendirent autrefois après sa mort.
(5) Champollion, Notices ; Lefébure, Le Menât et le nom de V eunuque, Le Bucrâne (Proc. S. B. A., i 3 , 333 ,
335 ); A. (jardiner, Recueil de Travaux , 32 , 34 , 36 , Story of Sinuhe, notes 268; Deveria, Bibl. égyptolo-
gique , IV, pl. 2 ; Mémoires et fragments (Noub) ; Jéquier, Frises d f objets des sarcophages du Moyen Empire ,
Menât , p. 73-77; V. Loret, Sphinx , V, 93-96.
POUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940). 87
parfois terminées par deux pendeloques en demi cercle comme celles du torse Mit
Farès et du vizir de la palette de Narmer.
Le Menât étant d’abord propriété exclusive d’Hathor et cette déesse étant la sou-
veraine des mines de cuivre et de turquoise du Sinaï, on conçoit qu’il eut cette raison
suffisante de se composer partiellement de perles bleues ou vertes comme le Mafek.
D’autre part Hathor, sous son nom de Noub, est la déesse de l’or de Nubie, ce qui
explique l’abondance de perles d’or dans le bourrelet. Souvent même ce bourrelet
est entièrement fait de ce métal précieux et sa forme n’est peut-être alors qu’une
variante de celle du linge des laveurs de sables aurifères et des chercheurs de pépites
qui servit d’hiéroglyphe pour écrire le mot or et le nom de Noub W.
Le contrepoids admis par le Nouvel Empire est un objet lourd généralement de
métal, or, cuivre ou bronze, originaire de Nubie ou du Sinaï. (Il n’est pas question
ici des contrepoids votifs ou amulettes faits en toutes matières : faïence, bois, cuir
gauffré [Pinedjem au Caire] etc.). Il comprend une partie longue, rectangulaire ou
trapézoïdale et une partie discoïdale soit parfaitement ronde, soit aplatie aux pôles
comme le soleil à l’horizon. Ces deux parties sont décorées de scènes représentant :
la vache Hathor dans les papyrus du Delta, marchant ou couchée, allaitant parfois
Horus; la déesse Hathor femme, allaitant Horus; le poisson Abdet, forme d’Horus,
dans les papyrus; la barque d’Osiris dans les papyrus h). Ce sont là les scènes les
plus fréquentes et on les retrouve sur les égides qui sont, pour la forme, une variante
du contrepoids; mais on voit aussi figurer des divinités diverses comme Thot, Bast,
Sebek, Anhour, Neferatoum, etc. Les plus simples contrepoids portent une inscrip-
tion sur le manche, comme sur ceux de nos statues cubes, telle que XTZ sur
le disque une rosace qui est souvent un lotus épanoui. Les plus ouvragés s’ornent
sur les côtés du manche de colonnettes Ouadj surmontées d’uraeus et se terminent
à l’extrémité opposée au disque par une tête d’Hathor vue de face, sortant d’un
collier Ousekh et couronnée d’un sistre.
Ces décorations constituent une des preuves que le Menât, malgré ses différences
orthographiques avec le mot : nourrice est en relation directe
avec le rôle qu’Hathor tient d’ailleurs de son nom vis-à-vis d’Harpocrate.
Cette relation est attestée de plus par de nombreux textes appuyés par d’aussi
nombreuses représentations. Les reliefs des temples de Denderah et d’Edfou iden-
tifient le Menât à Hathor elle-même et montrent le contrepoids terminé par un buste
d’Hathor muni de bras sur l’un desquels est accroupi le jeune Horus et dont les
mains tiennent des signes de vie Ankh [Denderah, t. III, pl. 43, crypte 4).
Une stèle de Turin, n° 120 , venant du temple de Deir el Médineh, représente,
sur des pylônes, une tête d’Hathor couronnée du sistre et un Menât à contrepoids
sommé d’une autre tête d’Hathor et appelé du nom même de cette déesse.
(1) D’après les collections çle Menât * et d’égides du musée du Louvre.
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B. BRUYÈRE.
A. Gardiner a d’ailleurs signalé cette identification (*) analogue à celle du Ded
d’Osiris à Osiris lui
en est titulaire.
Toutes les déesses étant, par syncrétisme, semblables à Hathor, qui, elle -même,
est une variante d’Isis, déesse prototype, et toutes les déesses étant épouses des
démiurges de triades et mères du rejeton de chacune de celles-ci, c’est-à-dire des
Horus divers qui y jouent le rôle d’Harpocrates, il s’ensuit que le Menât hathorien
perd son exclusivité et devient un attribut généralisé de maternité.
En sa qualité de collier, il orne donc le cou des déesses mères, tout d’abord celui
d’Hathor sous forme humaine comme sous forme de vache ou de vautour et ensuite
ceux d’Isis, de Nephthys, de Sekhmet, de Bast, d’Ourt-héhaou, etc. W.
Mais on le voit aussi au cou de certains dieux tels que Sokaris, Khonsou, Anubis,
car ces dieux sont des secondes vies de leurs pères, transmises par leurs mères et
le collier est pour eux le signe de cette transmission qui les assimile à l’Horus de
Khemmis. Lorsque la vache Hathor entoure avec le bourrelet de son propre collier
le cou d’un roi (ou d’une reine : Hatshepsout) placé en protection sous son encolure
et marchant du même pas, dans la même direction, elle met ce fils adoptif au rang
d’Horus et celui-ci est ramené à la première enfance qui vit du lait de sa nourrice,
Lorsqu’une déesse approche du visage d’un roi le bourrelet de son collier Menât,
elle lui insuffle sous forme de fluide magique la vie qui a pour véhicule le lait ma-
ternel. Mais déjà ce geste de présenter, aux narines de l’élu, la partie principale
du collier s’éloigne du sens particulier de la lactation nourricière pour s’élargir au
sens de la protection magique et le Menât cesse d’être une parure ou un insigne
pour devenir un organe talismanique.
Rares sont les simples mortels qui portent le Menât au cou. Ceux qui en sont parés
sont voués au culte d’Hathor et attestent cette vocation par le port de l’objet avec sa
qualité d’emblème distinctif, de signe de prêtrise ( a L
Tout collier est une attache, un lien que 1 homme ou la femme ne porte que par
imitation de l’animal et en signe de domestication ou d’affiliation. On prétend que
la forme animale d’Hathor aurait précédé la forme humaine et que le Menât serait
une survivance du collier avec lequel la vache nourricière aurait été attachée au piquet
Menât dans les pâturages occidentaux de l’antique Libye. La chèvre qui,
pour les pâtres bédouins, remplissait plus modestement la même fonction, avait
aussi son collier Sah [)— i|,Ç, qui, emprunté à la bête par l’homme, devint plus
tard un signe de noblesse, c’est-à-dire d’attachement au pouvoir royal.
-même, et généralement de tout emblème divin à la divinité qui
^ A. Gardiner, Story of Sinuhe ; op . cit .
( 2) Nàville, Deir el Bahri IV, pl. CIV ; Mariette, Abydos , I, pl. 25 ; De Rochemonteix, Edfou ; Berend,
Museo Egypt ., Florence; Gauthier- Jéquier, Fouilles de Licht ; Mariette, Denderah.
Musée du Caire :
nommé : * 1
Pyramidion du E~\ ^ homme avec Menât au cou,
1
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FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1 935-1940).
On pense également que le premier usage du Menât n’aurait pas été celui de collier
et qu’il serait devenu parure de cou, comme le sont devenus d’autres objets ayant eu
primitivement un emploi différent, tels que le signe de vie ^ Ankh, le cylindre sceau
jÿ. Hetem, le sistre ^ Sesheshet. Avec ou sans la raison que la boucle formée par la
partie supérieure de ces objets pouvait être utilisée pour leur suspension au cou
et appelait presque fatalement ce second emploi, on verrait dans la forme de l’objet
Menât l’utilisation rationnelle de son bourrelet de grains d’or comme ornement de
col. Ce point de vue est contredit, semble-t-il, par les nombreuses représentations
de colliers Menât des sarcophages antérieurs au Nouvel Empire (A et le torse Mit-
Farès.
Ces exemples ne comportent pas le contrepoids qui ne fut ajouté que sous les
dynasties thébaines, tout au moins dans sa forme définitive J .
Dans celui-ci on a voulu voir un étui et il est vrai que les étuis de miroir ont par-
fois la forme demi-circulaire * des contrepoids visibles sur la palette de Narmer, la
statue D. g 3 de Leyde W et le torse Mit Farès et la forme plus récente rappelle celle
de l’étui de miroir d’Aménophis II au Musée du Caire. On a même vu en lui un
étui phallique et, Lefèbure considère l’objet entier, contrepoids et bourrelet comme
une stylisation de l’appareil génital mâle W.
Sans aller si loin, le collier a été comparé dans son ensemble avec le bucrâne
d’Hathor surmonté du disque solaire entre les cornes, tel qu’il était vénéré à Dios-
polis ffl. On se serait inspiré de ce symbole pour composer un objet de main dont
la destination pratique serait de briller et de bruire en l’honneur de la déesse de
l’amour et de la joie.
Quoi qu’il en soit, le Menât est encore connu sous les qualificatifs ^ ^ j - Ankhit,
la vivante, et ^ H Khakeri : ornement W et ces deux dénominations précisent,
dès l’Ancien Empire, l’emploi comme parure et la valeur symbolique attachée à cet
ornement. Le mot Ankhit apparente le Menât au signe de la vie et les classe tous les
deux dans la catégorie des liens, des attaches, soit -au cou, pour le Menât soit au
front, à la ceinture ou à la sandale, pour Y Ankh.
Dans le même ordre d’idées le collier Sah [1 — ■ | JJ, de la chèvre devenu ensuite
le collier spécial Sah du prêtre Sam de Ptah à Memphis et généralement tous les
colliers ont cette propriété d’être des agents de transmission de fluide vital èt d’avoir
pleine efficacité par leur contact avec la nuque et tout le cou, support de la tête qui
(1) Jéquier, Frises d ’ objets, op. cit.; P. Lacau, Sarcophages antérieurs au Nouvel Empire.
^ Leemans, Leyde. Description raisonnée.
(3) Lefèbure, Le Menât et le nom de l’eunuque, op. cit.
(û) Lefèbure, Le Bucrâne, op. cit.
(5) P. Lacau., Sarcophages. . op. cit.; G. Jéquier, Frises d’objets, op. cit. (Ankhit est en rapport certain
avec le miroir Ankh).
W A. Erman, Aeg. Zeits., XXXIII, p. 2 2-23 . Aus dem Grabe eines Hohenpriester von Memphis. F. Petrie,
Médian, p . 3 1 .
90
B. BRUYÈRE.
est le siège de la vie. Le rapprochement établi par les égyptiens entre le Menât, col-
lier ™ | - (f et la Menât, nourrice : ™ ^ malgré leurs différences .graphiques
se retrouve encore entre le collier Sah p | & et le fluide magique Sa : » exprimé
hiéroglyphiquement par un lacis de cordelette appartenant à la catégorie des attaches
et transmis du dieu à l’homme par apposition de main ou d’objet sur la nuque ou
dans le dos : Sa p^.#. Là justement s’appuie le contrepoids dont la forme, si
elle dérive d’un étui de miroir, donnerait raison à V. Loret qui interprète le signe
de vie Ankh comme la stylisation d’un miroir Ankh : ^ ^ (U.
Au titre de porte-fluide, le Menât est donc porté au cou par les déesses mères car
chacun sait que la femme est douée en Orient de puissance magique par suite de
sa fonction génératrice de vie. Il l’est aussi par les dieux et les élus récepteurs de ce
fluide. C’est pourquoi ceux que la mythologie désigne comme' ayant reçu ce don
divin de la vie éternelle par la résurrection, second enfantement dans le sein d’Hathor
se parent de ce collier. S’ils ne le portent pas eux-mêmes à leur cou, ils en ornent
leurs emblèmes. Ainsi voit-on les enseignes de prêtres d’Horus, de Sokar, d’Anubis,
parés d’un contrepoids de Menât attaché au pavois qui supporte le faucon, la tête
de faucon et le chacal. De même le reliquaire d’Osiris abydénien est souvent repré-
senté muni du collier complet, le Sekhem : p^_|( 2 ) sceptre de consécration qui, par
la magie, anime les offrandes d’un influx surnaturel et les rend propre à la consom-
mation par le Ka, glaive qui ouvre les chemins de la vie et sert de bâton de com-
mandement à Thot et à Anubis, est agrémenté d’un Menât lorsqu’il se dresse emblé-
matiquement sur le sceau d’éternité Shen : q. Ce Sekhem prend au Nouvel Empire
la forme d’un lotus sur son pédoncule surmonté d’une lame à double tranchant qui
ressemble au groupe de plumes de l’emblème de Neferatoum W.
Et, précisément cet emblème est lui aussi composé d’une fleur de nymphéa d’où
sortent et pendent deux contrepoids de Menât * 4 L Le reliquaire d’Abydos, le Sekhem
et l’emblème de Neferatoum contiennent en eux la vie future et c’est en gage de cette
existence divine qu’ils possèdent cet attribut explicatif.
La fleur magique Sennou d’Ilorbeit* 5 ) sur laquelle Marpocrate de Khemmis est
accroupi à son lever auroral est, elle aussi, un symbole de vie car elle sort le matin
aux premiers feux du soleil des profondeurs obscures du chaos liquide.
V. Loret, U emblème hiéroglyphique de la vie.
(2) Musée du Louvre : cercueil d’Amenemipet. Musée du Caire : coffre à Oushabtis de Painedjem.
Bruyère, Rapport de fouilles... 1 ysâ-igsô, tombe n° 335, plafond du couloir, p. i44, fîg. 95 .
W G. Jéquier, Frises d’objets.
W G. Maspero, Histoire des peuples de l’Orient , t. I ; C. Boreux, Catalogue guide du Louvre, t. Il, p. 3 80
(pL LII), p. 4o2. L’enseigne de Neferatoum est toujours représentée couchée et debout auprès de la
barque Hennou de Sokar, exprimant ainsi que Neferatoum existe dans le cadavre d’Osiris et ressuscite
de ses cendres. Le lien qui unit Os iris, Sokar, Neferatoum explique le Menât qui orne leurs emblèmes.
(5) Naville, La plante magique de Neferatoum, Revue d’Egyptologie, t. I ; A. Piankoff, Nefertoum et Mahès,
Egyptian Religion.
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FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
Les textes qui assimilent cette fleur à Neferatoum disent : tu es le lotus à la narine
de Rè, ce qui explique pourquoi dans les banquets funéraires les défunts et leurs
invités approchent une fleur de lotus de leur nez, pourquoi un lotus fleurit toujours
l’autel des dieux. Il ne saurait y avoir en effet de présent plus appréciable que ce
symbole de résurrection puisqu’en respirant le parfum de Hor-Hekenou, c’est la vie
même que l’on aspire et que l’on devient par cette insufflation vitale un Khou parfait
identique à Rè : L
Du coup la fleur de lotus bleu s’identifie au signe Ankh au sistre et au Menât
d’Hathor-Noub, présentés de la même façon aux narines de qui accède à la vie des
dieux =
Mais le Menât a encore un autre usage que celui de collier; il est tenu en main
par des mortels, hommes et femmes et surtout par ces dernières, soit sur la poitrine,
soit en main pendante, soit enfin brandi à bout de bras devant la déessé Hathor
ou quelque autre divinité à moins que ce ne soit devant une personne de ce monde.
Il est souvent alors accompagné du sistre et ce second usage du Menât est celui d’un
instrument bruissant analogue au sistre, aux crotales et aux castagnettes* 2 ). Les
textes ne laissent aucun doute au sujet de cet emploi car on dit : jouer du Menât comme
on dit jouer de la harpe. Il est inutile de répéter ce qui a déjà été démontré rela-
tivement à l’affectation au culte d’Hathor de cet instrument dont on s’explique encore
mal le rendement musical et par suite,- à l’affectation au même culte des personnes
qui s’en servent à la face de la déesse et le tiennent comme insigne de cette vocation.
On présente ou on agite le Menât devant Hathor pour éloigner d’elle la tristesse, le
ehagrin et apaiser tout trouble en son cœur **) et il faut admettre que le bruissement
obtenu par le balancement saccadé de cet objet a pour but magique de chasser les
mauvais esprits qui pourraient assombrir son humeur.
A Denderah le dieu enfant Ahi agite le Menât devant sa mère * 4 >, ce qui a valu à
cet Harpocrate le surnom qu’il porte et que les prêtresses d’Hathor revendiquent
après lui dans leur rôle d’Ahi, batteuses de sistre et de Menât. Si les uns et les autres
essaient ainsi de calmer la déesse par le sistre et de l’apaiser par le Menât, c’est pro-
bablement en raison de l’assimilation d’Hathor à Sekhmet et en souvenir de la fureur
vindicative qui s’empara d’elle au jour de la destruction des hommes, souvenir qui
(1) Devéria, Noub.
(2) Dans la tombe n° 39 à Thèbes, un groupe de femmes présente au défunt Pouyemrè, des sistres,
des menats et des objets composés d’un long manche terminé par une main tenant une sorte de serviette
à franges. La même scène se retrouve chez Amenemhat, tombe n° 48, où un autre tableau montre les
porteurs de coffres de lingerie et bijouterie et sur un des coffres le même objet qui, cette fois est sem-
blable au flagellum Mes. (Cet objet est encore sur une stèle du Louvre, offert avec le Menât par une femme).
Enfin dans cette même tombe, une scène de danse montre deux hommes jouant des castagnettes et portant
le collier Menât au cou. Ils portent les titres de | | //^ * ^ U'AtSTiT-
Lefébure, Le Menât et le nom de l’eunuque.
Mariette, Denderah, t. II, pl. 86,
92 B. BRUYÈRE.
peut remplir de crainte tout aspirant à l’immortalité au moment de l’accueil par la
déesse de l’Occident.
Ceci nous amène au troisième sens du mot Menai, c’est-à-dire le piquet d’amarrage
du bétail et du bateau. Il complète pour ainsi dire le sens « collier» car pour attacher
un animal au pré ou un esquif à la rive, il faut un piquet, un lien et un appareil de
sûreté qui empêche la fuite de ce qui est attaché.
Si le bourrelet du Menât est ce licol, son contrepoids est peut-être l’organe de
sûreté, sorte de cadenas analogue à la serrure talisman que les jeunes enfants chinois
portent au cou jusqu’à la puberté.
Quant au troisième élément, le piquet d’amarrage, que nous voyons dans la
tombe n° 335 de Nakhtamon à Deir el Médineh fi), il marque le terme du voyage
en bateau que le mort accomplit lorsqu’il va à l’Occident funèbre. C’est le poteau
frontière de l’Amentit vers lequel on se dirige, auquel on s’attache, mais dont on
ne peut se détacher pour revenir en arrière. C’est la limite du pays du silence, du
domaine d’Hathor en son rôle de souveraine de l’Occident. Sur la rive des tombes,
Halhor, dame du sycomore du Sud, attend sous le nom de Nout et masquée dans les
feuillages de l’arbre, dont la cime touche le ciel pendant que le pied descend dans
l’empire des morts, que la bari accoste et elle accueille l’arrivant en lui offrant l’eau
et le pain de la vie éternelle.
Le bon abordage ™ ^ ^ J J souhaité au mort de la tombe n° 335 est réalisé
par la peinture murale qui est accompagnée de ces mots et qui représente Nakht-
amon accueilli au seuil de l’Amentit par Toëris ( 2 ) en son nom de Nout : " ==>
alias Hathor qui, remplissant ses fonctions de mère et de nourrice, sort
de son sycomore et lui offre l’eau et le pain. Ici se rejoignent donc les divers sens
du mot Menât puisque la déesse s’identifie au pieu d’amarrage comme elle l’a fait
par ailleurs avec le collier de nourrice.
Les inscriptions des statues accroupies dont nous nous occupons ne demandent
pas autre chose que ce réenfantement dans le sein d’Hathor, synonyme d’adoption
divine, après l’accueil réservé sur la berge d’Occident aux élus ayant été gratifiés ici-
bas d’une existence longue et heureuse. Le Menai posé sur leur épaule gauche et
que Penmerenab et Amenemipet sont censés offrir (mi prend
dans cette action de présentation comme amulette ou d’agitation comme instrument
de musique la signification d’un gage d’admission comme fils (ms (|jp) d’Hathor
ou autrement dit comme Harpocrate de Khemmis. Ils portent aussi cet objet sur
l’épaule car c’est par le geste de mettre la main sur l’épaule gauche de quelqu’un
qu’en Egypte on attache ce quelqu’un à son service et, pour eux, il n’est meilleure
(1) B. Bhuyère, Rapport de fouilles i g 2 4- 1 g 2 5 , tombe n” 335, p. i36, fîg. 92.
(,) La Toëris des plafonds astronomiques (Ramcsscum, Senmout, Sethi I") s’appuie sur le piquet
Menât. Toëris vient avec Bès du pays des grands lacs éthiopiens où la croyance plaçait le « pays des mânes»
et où les morts abordaient et fixaient leur barque au piquet d’amarrage.
93
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
manière d’exprimer leur mise en tutelle d’Hathor que de revêtir sa livrée ou de se
soumettre à son égide. Enfin le Menât est à portée de leur main, placée sous le nez
et la bouche, pour y remplir le même rôle magique que la fleur Sennou P^*^T
ou le signe Ankh, chargés de fluide vital et ce Menai leur assure la subsistance du Ka
en pains Sennou ^ ^ et en toute autre denrée nécessaire à la vie (1) .
(>> Les statues blocs, rares au Moyen Empire (une seule au Musée du Caire), sont très fréquentes à
partir de la XXI* dynastie. Généralement les bras croisés sont cachés et les mains seules apparaissent.
Ou bien elles se posent à plat, en pronation sur les genoux, parallèles au buste et vides de tout objet,
ou bien la gauche restant ainsi, la droite est fermée. Tantôt celle-ci est vide, tantôt elle tient le linge
snb la fleur de lotus ou la laitue de Min. Assez souvent les deux poings tiennent fermement chacun
une laitue ou une laitue à droite et un signe snb à gauche. Ces symboles de santé, de vie et de force
synthétisent la jeunesse et caractérisent explicitement l’enfance horienne.
NOTE 12
CULTE DE THOT À THÈBES
Il semble étrange que les fouilles si nombreuses effectuées à Karnak, à Louxor
et sur la rive gauche du Nil à Thèbes n’aient point encore fait découvrir un temple
du Nouvel Empire consacré à Thot et que parmi les centaines de tombes de la nécro-
pole aucune n’appartienne ou ne fasse allusion à un prêtre du culte de Thot pendant
la même période. On ne peut raisonnablement compter comme un sanctuaire thébain
proprement dit le soi-disant temple de Thot que découvrit 'Schweinfurth dans la
chaîne libyque, très loin à l’ouest de la Vallée des Rois et dont la date est imprécise.
Quant au temple de Thot représenté sur les bas-reliefs de la tombe de Gournah n° 2 3
appartenant au scribe royal qui vécut sous Menephtah, s’il ne cor-
respond pas à celui de Schweinfurth, il ne prouve pas moins l’existence d’un sanc-
tuaire, d’époque au moins ramesside, mais dont l’emplacement est indéterminé.
Cependant les Thotmès, au patronyme théophore dynastique bien significatif, qui
intronisèrent Ptah memphite à Karnak, propagèrent le culte du Sphinx Harmakhis
héliopolitain. accueillirent à Thèbes d’autres divinités provinciales du Delta comme
de la cataracte de Syène, furent de grands bâtisseurs de temples, des protecteurs
des arts, des sciences et des lettres et enfin fondèrent à Deir el Médineh la concession
royale des ateliers de nécropoles, devaient, semble-t-il, à leur gloire de souverains
éclairés, de dédier un lieu saint à Thot en faveur de la corporation des scribes. Les
pharaons de la XIX e dynastie n’étaient pas moins que leurs devanciers portés à
honorer au même titre que d’autres l’ennéade d’Hermopolis. Faut-il donc arriver
jusqu’aux Lagides pour voir cette lacune comblée à Kasr el Agouz W par Evergète
et est-il impossible de supposer que, sous ce sanctuaire ptolémaïque, se trouvent
les vestiges d’un édifice plus ancien, étant donné la politique traditionaliste
plus que novatrice de l’ère gréco-romaine en matière de constructions religieuses
et l’existence plus que problématique d’un certain thaumaturge célèbre nommé
Téphibis (Téos-pa-hibi) W en mémoire de qui aurait été édifié tardivement ce sanc-
tuaire dans le lieu saint par excellence de Médinet Ilabou? Une confrérie de scribes
(1) D. Mallet, Le Kasr el Agouz, Mèm. de l’Inst. franç., t. XI.
L’inscription de Zoser à Sehel, document apocryphe d’époque ptolémaïque, parle du « grand
savant Thot-pa-hibi» de telle façon qu’il ne peut être question que du dieu et non d’un homme. —
V. Loret suppose avec juste raison que le Kasr el Agouz fut bâti par les Lagides sur les ruines d’un
temple de Thot de la XVIII e dynastie (Préface de la Faune momifiée de Lortet et Gaillard, p. iv).
95
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH ( 1935 - 1940 ).
étudiée par Legrain (•*) celle d’Iset-mery-Djouti dont la création remonterait au moins
au règne de Menephtah (XIX e dynastie) et dont l’activité et l’existence sont attestées
sous la XX e dynastie par les inscriptions hiératiques des cercueils royaux de la cachette
de Deir el Bahri ( 1 2 ) et confirmée ensuite par les textes gravés sur des statues de la
XXI e dynastie < 3 * ), offre une présomption sérieuse de l’existence de cette association
religieuse antérieure aux rois prêtres et d’un lieu de réunion de ce groupement, lieu
qui ne pouvait être qu’un sanctuaire, étant donné le titre qu’il portait et la nature
religieuse des intentions de ses membres.
Le nom : Iset-mery-Thot : j ^ j || Jfc est un nom topographique comme j ^
etc - et ^ désigne probablement un quar-
tier de la rive gauche consacré à Thot comme Iset-Mâat était consacré à Mâat. Rien
ne dit qu’il n’était pas précisément le quartier méridional de la nécropole où est
situé le Kasr el Agouz. Ce mot Kasr s’applique parfois à une citadelle, une forteresse
et on sait qu’une caserne de soldats existait en cet endroit. La toponymie arabe
révèle des survivances nombreuses de celle de l’Egypte gréco-romaine et pharao-
nique. Médinet Habou, Deir el Médineh, Deir el Bahri en sont quelques exemples
entre cent autres. Kasr el Agouz, improprement traduit château de la vieille serait
mieux appelé demeure du sage ou du vieillard ou encore maison du grand (grand en
âge et en sagesse) et alors le titre : *=[]/$ qu’on lit : chef des mystères dans la
maison du chef (ht ér) dans la titulature du grand prêtre d’Âmon Amenhotep II sous
le règne de Ramsès IX, inscrite sur les parois du VII e pylône de Karnak W pourrait
aussi bien se lire : maison du grand (ht our ) W et se rapporter à un temple de Thot
qui eut précédé celui des Lagides sur le site de Kasr el Agouz. Cela serait d autant
plus vraisemblable que ce grand prêtre était aussi, entre autres choses, Sotem ou
Sam de l’Horizon d’Eternité : qui, comme on sait, se trouvait sur
la rive gauche de Thèbes. Le dieu Thot était appelé le grand : (Paour)
à Hermopolis tout comme le dieu Atoum à Héliopolis ( 6 b Une petite stèle (n° 4g)
trouvée au temple de Deir el Médineh en ig3g est dédiée à Paour-n-Re : ^ 0 ,
\J(. Peut-être doit-on restituer : car sur une autre stèle (n° 83)
. G. Legrain, Sur la confrérie d ’Asit-mérit kot i, Annales du Service , t. VIII, p. 2 54-2 56 .
G. Daressy, Les cercueils des cachettes royales , Catalogue général du Musée du Caire , p. 27 : ^
G. Legrain, op. cit., statues n 0 ‘ 99 et i 38 . Cette confrérie n’avait pour membres que des scribes.
Kasr el Agouz pourrait provenir de la confusion fréquente de (vieillard) et de (grand), idéo-
grammes exprimant des idées assez voisines.
W G. Lefebvre, Histoire des Grands Prêtres d’ Anton, p. 271. Si le titre U chef des secrets n’est point
quelque chose comme «secrétaire», il pourrait désigner une sorte d’officiant laïque du culte
de Thot.
( 5 > Ht our est aussi le nom du temple d’Atoum à Héliopolis. K. Sethe, Aeg, Zeitsckrift, 55 , 1 9 1 8, p. 65 .
Étude sur les titres commençant par wr
(•> H. Junker, Die Gôtterkhre von Memphis . Abhandlungen Preussischen Akademie Wissenschaften, 1939.
96
B. BRUYÈRE.
trouvée au même endroit, Thot est qualifié : Grand de On ^ j © p ar assi-
milation à Atoum mais avec la détermination sous-entendue : On du Sud (Her-
monthis) contre-partie méridionale de On du Nord (Héliopolis) car le Kasr el Agouz
était situé sur le territoire d’Hermonthis.
La trouvaille de ces deux stèles en un même point du site où s’éleva jadis le temple
ramesside d’Hathor acquiert un certain intérêt du fait que plusieurs autres monu-
ments de Thot que nous allons énumérer furent découverts à cet emplacement.
D’abord cela confirmerait la supposition que la stèle n° 49 est bien dédiée à Thot;
ensuite la réunion de ces monuments d’un même culte semblerait indiquer qu’il
se trouvait là un oratoire de Thot inclus dans celui d’Hathor, ce qui ne serait pas une
rencontre fortuite et exceptionnelle en raison des nombreuses rencontres de même
nature constatées ailleurs entre le dieu d’Hermopolis et la Dame du sycomore du sud.
(Le pronaos du temple d’Hathor à Deir el Médineh est consacré à Thot et à son
ogdoade).
Nous savons que les ouvriers de Deir el Médineh se partageaient en un certain
nombre de confréries vouées à différents cultes de divinités et de rois et qu’elles
avaient chacune sa chapelle particulière. Jusqu’ici, parmi les quelques quarante
petites chapelles de confréries retrouvées, si aucune ne paraît avec certitude devoir
être attribuée à Thot, il n’en est pas moins vrai que nous avons recueilli ici et là
bien des fragments d’objets de culte relatifs à ce dieu et que Baraize, comme Schia-
parelli et Môller, nos prédécesseurs, ont également découvert au cours de leurs
fouilles dans la région du temple de nombreux ex-voto consacrés au babouin ou à
l’ibis d’Eschmoun Ù). Sans doute il n’y a aucun rapport entre les confréries de la
Place de Vérité et celle de la Place aimée de Thot InMU qui devaient former
deux congrégations laïques distinctes dans leur constitution, leur but et aussi leur
résidence. On ne saurait donc rechercher à Deir el Médineh le site du temple de
Thot que nous présumons avoir existé depuis l’époque des Thotmès sur la rive gauche
du Nil. Tout au plus y trouverait-on un petit oratoire de confrérie des Sdm-ash, soit
indépendant comme ceux des autres cultes populaires, soit enclavé dans un sanc-
tuaire comme celui d’Hathor. Encore doit-on dire que parmi tous les f'J, jpH,
J, , c’est-à-dire tous les titres religieux portés par les ouvriers, il
n’en est jusqu’ici qu’un seul qui se rapporte à Thot : c’est le titre de
de notre stèle n° 111. Par conséquent il ne semble pas qu’une confrérie très impor-
tante de Thot ait fonctionné à Deir el Médineh^. Gela n’exclut en rien la possibilité
Le Grand dieu créateur était Atoum à Héliopolis, Ptah à Memphis, Thot à Hermopolis.
A Hermopolis, Thot est le grand des cinq et quand ses quatre acolytes sont des babouins, il est
appelé le grand babouin.
(S) B. Bruyère, Quelques stèles trouvées par M. E. Baraize à Deir el Médineh en 1912, Annales du Service,
t. XXV, p. 76-96, pl. II. Musée de Turin : stèle n° 3 18 de Nefer-renpet à Thot-lune ibiocéphale en
barque avec le babouin présentant l’oudjat gauche (long hymne à Thot). Stèle d’Ameneminet à Thot-
lune avec long texte. Disque dans la barque. Stèle n" 68 de Paï à Khonsou-lune avec long texte. On lit
97
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH ( 1935 - 1940 ).
d’une dévotion même très grande à ce dieu, en dehors de la corporation des scribes
assez nombreux dans la Place de Vérité, dévotion que les peintures des tombes et
les stèles de tous les corps de métiers qu’on y trouve, établissent de façon aussi
indiscutable que significative. Par contre, les professions civiles de nos artisans
comportent des W a “P rès des Ir-H'I; "T" *
Thot ou d’Amon dans la ville du sud. C’est la seule indication professionnelle qui men-
tionne Thot et elle le fait, remarquons-le, en précisant sa situation dans la ville du
sud, ce qu’on a coutume d’interpréter comme la capitale méridionale Thèbes par
opposition à celle du nord Tanis ou Memphis; mais qui pourrait aussi bien désigner
soit Hermonthis, soit le district sud de Thèbes où s’élèvera plus tard le Kasr
el Agouz.
C’est dans les fouilles du temple d’Hathor que furent retrouvées presque toutes
les stèles de Thot, par nos prédécesseurs et par nous. Il n’est pas superflu de rap-
peler ici encore que le pronaos de ce temple ptolémaïque renferme des bas-reliefs
de Philométor consacrés à Thot, à l’ogdoade hermopolitaine et aux deux architectes
héroïsés Imhotep et Amenhotep fils d’Hapou, divinités et héros qu’Evergete II
rassembla au Kasr el Agouz. La consécration du pronaos au grand thérapeute, à
sa cour céleste et aux deux mortels canonisés pour leur science universelle, prend
un sens précis quand on considère qu’elle est le complément naturel de la consé-
cration des chapelles à Hathor, à Mâat et à Sokaris.
Avant d’aborder le chapitre de la relation qui unit ces divinités les unes aux autres,
énumérons les trouvailles relatives à Thot faites au temple.
' En premier lieu, c’est une stèle (n» 111) d’époque ramesside faite en mémoire
du Sdm-ash Pen-Amen par sa fille Merit Amen qui était et dediee a
Thot-Aah dieu lune, sous sa forme de babouin. Un graffito de la tombe de
Ramsès IV est signé du scribe Pen-Amen et la stèle n" 7807 de Berlin est dediee
à Osiris par le — ^ Jl „ : gardien des archives, scribe du palais Pm-Amen.
D’autre part au Filzwillïam Muséum de Cambridge quatre oushebtis appartiennent
au et fl Pen-Amen et le Louvre possède la stèle n° E. 344 7 du
Pe-Amen.
Sans voüïôïFprétendre que ces divers Pen-Amen soient un seul et même individu
car on connaît à Deir el Médineh plusieurs hommes de ce nom, on constate que a
profession de scribe de certains -d’entre eux (incompatible le plus souvent avec e
titre de Sdm-ash) les prédisposait au culte de Thot, eux ou les membres de leur
dans le cintre : g + } “^1 SL + S l ^ ~ ü V non JJ ° V-
Stèle n° 71, d’Ounnefer à Thot-Seped, stèle à oreilles comme le n» 68 ; et texte °“ ™ ie “
P rière P° ur le Ka de la dame Nebet ' Nehit (rapport aV6C
dT sud quel’on constatera dans la suite de cet article). P a ,hed
U) B. Brûïère, Rapport de fouilles à Deir el Médineh 1993-1924, 4 9 3 9 ’ tom es n
n° 357 de Thot-hermaktouf.
98
B. BRUYÈRE.
famille. Ajoutons que d autres stèles de Peu-Amen ont été recueillies au même endroit
par Bara.se et par nous <«. Ce sont : n- A3 564 : stèle à Amon par les Sdm-ash Pen-Amen
et Khaemouast; n- a» 8 à Seth hippopotame par Pen-Amen et Amen-ched; „■ à, ,
a J hot lune par le Sdm-ash Pen-Amen ( 2 ).
La stèle n- . , , représente dam le cintre le Babouin Thot-Aah portant sur la tête
le disque et le croissant de lune, assis face à droite dans sa barque entre deux Oudiat.
Trois oreilles, deux a l avant, une à l’arrière encadrent Thot. Au-dessous, Pen-Amen
a genoux iaC e a gauche suiïi de sa , i||c deI)out et lena „ t un ^ cntourés
par les dix colonnes du texte suivant :
: a - 1 i±! ! 5— & S B TTI jj* K 1 J n * ^ — * m s *k { [3] M ^ s Z J ^ f 2 1 ' '
»='iî=:j^rj>aisvvt;ïa-^ki-Yaiîa+>c¥=^
Hl|i
JS? n °'f m rf * S^ire d, Vennéade des dieux, prosternation (devant) le
dm deux ou, grand parmi la dmvr, grands d’âmes, pacificateur ? qui (ente L pauvres
ÎT-lT , ‘ mmH t T 7* 1 mni iU 'fripai son nom qui entend lesZZZ
TT 'T* “ î" <aim « » honJsiplltJe
ZdonMe d Tl d l t J , “™ , e dam h *"* * s élm »“ A™** Occident de Thcbe s
U double du Sdm-ash dans h Place de Vérité Pen-Amen, justifié. Fait pour lui au nom
de son maître par sa fille aimée, la servante de Aah Merit-Amon.
Ce texte nous remet en présence de l’épithète * 1 ISi-ffl où nous retruu-
a a o, s j X a fi déjà mentionné mais ici avec une sorte de duplication
exprimée par qui traduit le qualificatif trismégisl, (» des Grecs et qui se rencontre
justemen dans 1 inscription que Philométor fit graver an pronaos du temple de
Deir ei Medmeh sous 1 effigie de Thot :
T rtsmégiste, maître de Khmounou, maître de h VéM, 'des paroles 'dlims'ZiLt h mli
(justtee) de l ennéade des dieux, Ouab ou Sotem dans le Iat de Djemé.
<l) B - Bbuïère, Annales, t. XXV, op. eit,
J’ï ?" T BHDïèRE ’ Ra PP° ri & folles, i 9 36-i 9 4o, fasc. II, %. 9 o et 9 6.
Lacau, Sarcophages antérieurs au Nouvel Empire, p. 167. On y relève ce titre de Thot 4TV
1 1 D. Mallet, Kasr el Agouz. On y relève : ^ j | ^ J ^ J p ^
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
99
Ensuite vient l’épithète fréquemment appliquée à Thot, à Ptah, à Shou,
à Horus et que nous rendons ici par le terme approximatif : pacificateur, clément,
c’est-à-dire dispensateur de beau repos, de belle joie, et dont la vraie signification
est à classer dans la catégorie des etc., apposée à certains dieux
bien déterminés.
Enfin l’allusion à l’audition des prières par Thot justifie la présence des trois
oreilles placées auprès du babouin dans le cintre. Le chiffre trois veut-il se rapporter
ici aux implorants, Pen-Amen, son maître et sa fille et solliciter triple attention à
leurs supplications de la part du dieu? C’est possible quoique le nombre n’ait pas
toujours un sens aussi précis dans la multiplication des organes auditifs ou visuels
représentés sur les nombreuses stèles dites «à oreilles». Ce n’est peut-être, comme
le signe trois du pluriel, qu’un indice d’intensité. Toujours est-il que le texte nous
explique clairement que c’est à l’entendement divin qu’il est fait appel et non à
une demande de guérison de surdité comme on l’a cru longtemps pour d’autres
ex-voto de même nature.
Auprès de cette stèle ont été trouvées deux grandes oreilles en calcaire peint en
bleu et traitées en pièces indépendantes, appliquées au mortier de plâtre sur une
muraille et probablement non loin de la stèle décrite ci-dessus.
Ces oreilles (n° 117 ) mesurent om. 18 à 0 m. 20 de hauteur et sont de droite
toute les deux. On sait que Thot, assimilé à Ptah-sdmty " f ^ V I v 2) es ^ souven t
gratifié de ce même qualificatif ; celui qui écoute ou qui entend dans lequel on a voulu
voir pour les Sdm-ash de la Place de Vérité, une étymologie qui faisait d’eux des
sortes de spirites récepteurs des voix de l’au-delà, parce qu’affiliés au culte de Ptah
en raison de leur affectation funéraire et architecturale.
En réalité des stèles à oreilles ont été consacrées à d’autres divinités et mortels
divinisés tels que : Amon, Amon-Min, Khonsou, Amon-bélier, Haroeris, Hathor,
Nebit-hotep, Ahmès-Nefertari. Quant au rapprochement qu’on peut faire entre ces
oreilles, les titres sdmty et sdm-ash et le titre de Sotem ou Sam que portent
les grands prêtres du culte de Ptah memphite, les prêtres de funérailles et spéciale-
ment le dieu Thot au Kasr el Agouz : '"©[niü^F® ^ ne
va pas à l’encontre de ce qu’on sait du rôle des dieux accueillants aux prières
humaines et de leurs prêtres et serviteurs de la Place de Vérité.
Une autre grande stèle portant le disque solaire dans sa barque au milieu du
cintre contient une longue invocation à TIarakté-Toum de On et Thot grand de On
(n° 83). Elle gisait non loin des autres monuments de Thot qu’on vient de décrire
Ce groupement d’objets, avons-nous dit, indiquerait bien l’emplacement d’un
édifice du Nouvel Empire dédié au dieu d’Hemiopolis; mais de plus la stèle n° 83
renferme une assimilation de Thot aux dieux solaires d Hélio polis du nord et du
sud. Cette assimilation n’est pas nouvelle; elle est exprimée en de multiples textes.
i3.
100
B. BRUYÈRE.
Nous n’en citerons que ceux des tombes de Deir el Médineh. Iis montrent ie syncré-
tisme *.de plus en plus agissant qui, à cette époque, entremêle tous les mythes et
confond tous les dieux.
C’est donc d’abord Thot confondu avec Rè et par suite avec Amon-Rè de Thèbes
forme cachée du soleil dans l’Hadès que l’on trouve sous les traits de Thot-ibis sur
les voûtes des caveaux n os 219 , 335 avec cette qualification : ^=^ <= ’ Q
qui présente Thot comme la vie de Rè
mystérieusement inaccessible dans le cercueil du caveau d’éternité (*). Ce soleil mort
réside à l’occident du ciel; point cardinal dont la garde fut dévolue à
Thot selon les doctrines orientales du Delta; aussi le voit-on généralement placé
dans l’angle ouest des plafonds et des voûtes.
Mais il est d’autres tombeaux, par exemple le n° 36o où les quatre angles sont
occupés par des génies à têtes d’ibis et ainsi appelés : (sud-est) ^ J j ^ * = ‘‘ 0 J
ittéYi ©; Thot siège de Rè, dieu grand qui commande à Hermopolis ; (sud-ouest)
ïSi 7Z. $ ' — TH’ ■ • • pacificateur des dieux ; (nord-est) ^ j Çl!
îTï Ÿ *aT sf “ : Thot maître des paroles divines, expert en questions de justice ; (nord-ouest)
même texte, sauf la variante : habile en toutes choses con-
cernant la vie dans la vérité (l’ordre universel )
Ailleurs (tombe n° 211 ) quatre dieux ibiocéphales debout tiennent aux angles
de la voûte l’échelle qui soutient le ciel ^ . Ce sont les quatre membres du conseil
créateur d’Hermopolis 1 j J j qui avec Thot composent la Maison des cinq ^ ^ -
depuis le jour où sur le tertre de Khmounou le ciel fut élevé au-dessus de la terre.
Ainsi assimilé aux dieux solaires Atoum, Harmakhis, Seped, Amon ( 3 ), aux étais du
ciel, Thot est surtout ce soleil mort que les Égyptiens personnifiaient par la lune,
et qu’ils incarnaient dans des divinités des deux sexes comme Khonsou, Rattoui,
Nephthys, Sesheta (Sefket-about). Thot-lune : tantôt ibis, tantôt babouin
ayant sur la tête le disque de lumière cendrée et le croissant de la nouvelle lune
préside ainsi à la néoménie, début de période, commencement de durée qui sym-
bolise l’ouverture d’une ère, une origine des temps. On l’appelle encore le pilier
qui soutient la lune [ ^ 1 1 j W car il la maintient dans les ténèbres du ciel nocturne
et il en règle le cours. Ce pilier que l’on retrouve à Rubaste à la fête Sed d’Osorkon,
offert par Thot au roi, est placé sur le signe des panégyries derrière un cyno-
céphale accroupi. L’ensemble constitue une clepsydre 41 dans laquelle le On d’Hé-
liopolis et d’Hermonthis joue le rôle soit de sablier, soit de gnomon. Dans la tombe
Sur certains cercueils royaux, on lit une variante qui remplace l’oie morte par une tortue ^
J 4V -Ro vit, morte est la tortue.
( *> Au Ka»r el Agouz un des titres de Thot est On connaît l’expression :
jjf généralement traduite : Ka royal vivant selon la Vérité (voir note 9) .
(3) L’assimilation de Thot à Shou part de ce fait J (surnom de Shou et de Thot).
w Kasr el Agouz , p. 82.
’ o
■ 1
101
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
de Nefertari à la vallée des Reines la clepsydre de Thot W est constituée par une
palette de scribe dressée devant une grenouille dans le vase Ousekh posé sur une
sellette. Dans la tombe n° 335 elle est composée du même vase, symbole de l’infini
ou de l’éternité, contenant une grenouille et une gerbe de blé, symboles de durée
illimitée et de prospérité M. Il est inutile de redire après tant de savants qui défi-
nirent le rôle lunaire de Thot, l’importance de celui-ci dans le calcul de l’année, dans
le compte des jubilés royaux inscrits sur la feuille du perséa, dans l’établissement
de l’ordre universel. Tout cela dépendait du cours de la lune et aussi de l’inonda-
tion annuelle. Thot en devient le dispensateur des biens matériels tirés de l’agri-
culture, le régulateur des moissons et des vendanges.
L’ibis SiV.ïa Dhou, Dhr < 3 ), et surtout l’espèce d’ibis nommée V
apparaît sur les bancs de sable et les berges du Nil au moment de la crue et se nourrit
de reptiles fuyant le flot montant. De là le choix de cet échassier pour représenter
par la gravité de son allure, la sagesse opportune de sa venue et l’activité qu’il apporte
à détruire les ennemis rampants de Rè, le dieu bienfaisant entre tous. N’est-ce pas
lui qui, escorté de ses nautoniers Hou et Sia, d’Isis et de Kheper, conduit la barque
Mandjt I V ^ (5 ^ à l’aube du jour et de l’an nouveau quand le Nil sort des
gouffres obscurs d’Eléphanline pour s’épandre sur l’Egypte? N’est-ce pas encore
lui qui, aidé d’Horus, répand sur tout défunt appelé à une vie nouvelle l’eau régé-
nératrice de la cataracte? (6) — ' ! Zl S’
Tout cela finit par l’assimiler au fleuve sacré déjà divinisé à Memphis par cet autre
créateur que fut Ptah sous le vocable Hapi (Apis) f *•
L’échange en apparence arbitraire de l’ibis raj * contre le babouin Asden ^ [) "‘""jj
dans beaucoup de figurations de Thot peut aussi avoir pour explication la connaissance
par les Égyptiens des mœurs du cynocéphale. Sa sagacité, son parfait équilibre statique
dans la pose assise, l’ardeur de ses acclamations matinales et vespérales pour le
soleil Rè et pour la lune Aah, ont fait de lui le sage qui prédit le jour, l’année
et la crue; son habitat préféré sur les hauteurs lui a fait attribuer un socle
élevé précédé de huit marches, dit-on W parfois davantage en souvenir de cet
(l) Tombe de Nefertari, texte de Thot : i"i njî-î w~\J/ srmii-
{î) Tombe n° 335 . Rapport îgâA-igsh, p. 1 3 9 . Thot : J ^ © * 1 \ \ î ! " ® ^ M 1 iQ_ Tïï
reçoit le $jf offert par les défunts à qui il promet la subsistance. Derrière eux se tient Sesheta (Seped-
about) sic, tenant le sceptre des panégyries
(3) Les deux orthographes Dhou, Dhr de l’ibis ont fait donner à la seconde Dhr d’acception Téos fré-
quente à l’époque gréco-romaine, considérée comme un titre laudatif, et ont fait croire qu’au Kasr el Agouz
dieu Thot Sotem de Djemé,
éos Pa-Hibi Jtrl " J était un raorte I héroïsé différent du di
el Agouz, p. 46 : 1 & i \ jÉPÏËË «•
le Thot Téos
W Kasr _ _
Tombe n° 35 g. Rapport ig 3 o, pl. XIX.
w Tombe n° 5 . J. Vandier, La Tombe de Neferabou, Mémoires, t. LXIX; Bruyere, Rapport 1924-1995,
p. 97. Assimilation de Thot au Nil Hapi. Thot loutrophore.
(7) C. Boreux, Antiquités égyptiennes; guide du Louvre , p. k^h.
i4
102 B. BRUYÈRE.
escalier d’Hermopolis qui permit à Thot de faire monter Rè au ciel en grimpant
sur le tertre d’Hesert |
C’est du haut de ce perchoir, qu’armé de sa palette il préside à la pesée du coeur
dans la salle de la double Vérité. Presque toutes les tombes de Deir el Médineh
contiennent la scène de la psychostasie W. Généralement c’est le babouin assis sur
son château qui fait pencher la balance en faveur du défunt; mais parfois aussi c’est
le dieu ibiocéphale qui enregistre le verdict de la pesée. Sous ce dernier aspect il
officie dans la chapelle méridionale du temple d’Hathor en qualité de scribe greffier
du tribunal d’Osiris tandis que dans la tombe n° 3 5g il remplit l’office d’intro-
ducteur du mort auprès de son juge.
Une scène de la tombe n° 2 1 à t 2) nous montre sur un même château la déesse Mâat
accroupie et derrière elle le babouin également accroupi tenant sa palette. La légende
du tableau dit : 7y © ^ : Te seigneur de Khmounou juge selon la Vérité;
texte qu’on retrouve presque semblable dans la scène du jugement de la tombe
n° 356 : y ^ A ^ J | 2 E < 3 ) et qui peut se compléter par celui de la
tombe n° 9 : ^ ^ j j|jp ^ ® ^11 1" - ! 1 r— i ^ -• Thot ne borne pas son
action à entériner les sentences de la cour, il prend une part active aux procès ; son
geste d’appuyer sur le fléau de la balance prouve qu’il se fait le défenseur de la
cause présentée devant le jury parce qu’il la croit ou la sait juste comme il avait jadis
départagé Horus et Seth devant l’aréopage des dieux | J J au nom de la
Loi universelle et de l’Ordre dont il avait fixé les. règles.
Grâce à toutes ces assimilations, Thot est appelé à doubler tous les dieux et à se
parer de toutes leurs prérogatives. Il fut même appelé à remplacer le proscrit Seth
dans la fonction d’unification des deux parts du royaume et le Sam-toui, jadis opéré
par les deux propriétaires légitimes du sol, le fut désormais par Thot et Horus. Les
rites de baptême des élus ou d’introduction vers le saint des saints du roi officiant
dans un temple furent également réservés aux deux mêmes acteurs tandis que Seth
était exclu de ces charges.
Il est vrai que la légitimité de leurs droits, en qualité de successeurs de Rè comme
pharaons divins devait logiquement évincer les prétentions injustes de Seth. Toujours
est-il que Thot ( D(iwtj ) s’est peu à peu substitué à Seth ou Souti (Svotj) au point,
croit-on, de s’attribuer la domination sur les territoires de l’est et du sud où se
trouvaient justement les mines de fer de Seth en même temps que celles de plomb
0 ) entre Bérénice et Kosseir. C’est le pays de la lumière horizonienne d’Orient
P-.+M. des montagnes jadis peuplées de cynocéphales ^ ^ j ou j- ^ ^ \
et l’on sait que Thot est appelé le grand babouin d’Hermopolis et que de ses entrailles
sont censé se nourrir les scribes et tous les défunts qui aspirent à connaître le mystère
{1} Tombes n°* 9, 918, 219, 329 , 335 , 336 , 354 , 356 , 36 o.
(S) Bruyère, Rapport 1927, pl. II.
(3) Bruyère, Rapport 1928, p. 91, fig. 5 i.
103
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
que cache l’inertie de la mort Ù), c’est-à-dire de l’au-delà. Par contamination, ces
montagnes ^ | dw, dont Anubis, souvent identifié à Thot et à Harmakhis, est le
maître : selon l’expression imagée ancienne qui définit par l’idéographie
(la tête sur le chevet) l’apparition du soleil matinal à l’horizon V'^s f ~ . de la
lumière : ^ de l’aurore apparentent au socle élevé précédé d’un haut
escalier sur lequel trône le babouin couronné du disque et du croissant de lune
Une de nos stèles (n° 36 1 ) représente devant un autel massif chargé d’offrandes
une figuration double du dieu Aah ^ J , la première est un taureau la seconde
devait être un cynocéphale. Sous la forme d’Hapi, le dieu Thot fusionne avec Ptah,
spécialement vénéré à Deir el Médineh et surtout avec l’épithète Neb-Mâat que Thot
lui emprunte en sa qualité de scribe et qui lui vaut sur une autre stèle ^n° 120 )
dédiée à Hathor, dame du sycomore du sud, c’est-à-dire compagne de Ptah à Memphis,
cette mention du scribe royal Ramosé donateur de la stèle : ^ ^ Â \ ^ « — q J “ ==>
Unique fidèle loué de son dieu Thot maître des Huit (pu d’ Hermopolis) ( 4 L Ce mo-
nument est une nouvelle confirmation du rapport unissant Thot à Hathor, établi par
les mythes et exprimé depuis l’enfance d’Horus par la présence de Thot en toute oc-
casion auprès de la déesse mère, soit au chevet de la Meskhent des naissances, soit à
la barre du jugement dernier dans le royaume d’Occident dont elle est la maîtresse.
Les scribes et les Sdm-ash de Deir el Médineh, en consacrant tant de monuments ( 5 )
à la gloire du Grand Sotem W, ne font donc que rendre hommage au premier d’entre
eux, au premier serviteur de la Place de Vérité en sa qualité de Neb Mâat ■wA-.
{1) Livre des Morts , chap. v et Boylan, Thoth. Cf. Chronique d’Egypte, n° 3 o, p. 190 ; J. Capart, Quelques
figurines funéraires d’Amenemopet .
w On s’est dçmandé s’il n’y avait pas un rapport entre ce socle élevé, son escalier et le haut plateau
abrupt sur lequel se trouve le temple de Thot découvert par Schweinfurth dans la montagne thébaine.
Malgré la fréquence de cette représentation dans les tombes de Thèbes,ilne semble pas que cette suppo-
sition puisse être retenue. Au Kasr el Agouz, cette situation dominante est mise en évidence par ce texte,
P- 7 6 : Jk ÎÎ = =®f .a — | qui assimilerait le tertre d’Hesert à
la butte de Médinet Habou. •
(3) Au Kasr el Agouz, p. 9/1, Thot Téos Pa-Hibi est appelé Taureau de l’ennéade : * J
Ailleurs il est appelé : Taureau de JJed (Busiris), Taureau de
Mâat, Taureau du ciel. Il est parfois représente sous sa forme de taureau et se confond avec Ptah-Hapi.
Bruyère, Rapport, 1936-1940, fig. 85 . D. Mallet, Kasr el Agouz , p. 48 , Hathor est appelé la Rekit
de Djerué *£ ; j £ ^[©.
(B) Bruyère, Rapport, 1936-1940. Stèles et fragments consacrés à Thot découverts dans le temple en
1939 : n os 4 o, 65 , 83 , 84 , 111, 120, 33 o, 36 i, 4 1 1 ; Rapport 1931-1939, p. 45 , fig. 35 . Stèle
à Thot ibiocéphale avec texte peu lisible :
C 3 U-iL suivi d’un dieu anthropomorphe
avec disque sur la tête et ce nom de lecture incertaine : " p (?) (?).
(8) Kasr el Agouz, p. 45 : P ^ ^ ° ^ ^ fl) . Signalons que dans les fouilles du Tell
d’Edfou, M. Henne, de l’Institut français du Caire, découvrit non loin du Mammisi une vaste construction
ramesside en briques ayant l’aspect d’un sanctuaire et dont les portes étaient ornées de statues de babouins,
ce qui lui laissa penser qu’il se trouvait là un temple de Thot. A El Kab, auprès du temple de Nekliebt,
les fouilles de la Fondation Reine Elisabeth de Belgique ont également mis à jour un sanctuaire de Thot,
B. BRUYÈRE.
Wt
dieu qui paraît avoir été le chef consort de la triade d’Eleithya. Ces adjonctions de sanctuaires du culte
d’Hermopolis à ceux des divinités de différentes grandes cités, de Haute Egypte confirment l’idée que
Thèbes ne pouvait pas n’avoir pas eu, dès le Nouvel Empire, son sanctuaire de Thot et que ce dieu, subs-
titué à Seth par l’aversion générale vouée à ce dernier, s’était yu attribuer en quelque sorte la souveraineté
sur les territoires jadis soumis au dieu banni. Reste à savoir si les premiers rois de la XIX e dynastie, les
Sethi, par exemple, n’auraient pas usé de représailles en supprimant ou en désaffectant le temple thébain
que les Thotmès auraient pu ériger en l’honneur de leur patron divin. La représentation d’un temple
de Thot dans une tombe de scribe du règne de Ménephtah va-t-elle à l’encontre de cette hypothèse et
ne peut-on penser qu’une réaction se produisit sous le successeur de Ramsès II dont le résultat aurait
été, la construction de ce temple, soit pour combler une lacune, soit pour réparer une injustice? En tous
cas ce temple est encore à découvrir.
NOTE 13
UN EX-VOTO DU SCRIBE RAMOSÉ (AUX HIRONDELLES DE SOKAR)
Un curieux ex-voto, malheureusement incomplet, fut trouvé brisé en nombreux
morceaux, éparpillés dans l’intérieur et en dehors du temple d’Hathor à Deir
el Médineh au cours de nos fouilles des campagnes de 1989 et de 1940 W (fig. 9).
• C’est une dalle en calcaire (n° 210) de o m. i 3 de largeur, 0 m. o 32 d’épaisseur,
qui pouvait avoir 0 m. 3 o de longueur environ. Sa tranche de o m. o 32 était
gravée d’une inscription sur un des plus grands côtés. Elle partait du centre et
Fig. 9. Ex-voto de Ramosé aux hirondelles de Sokar.
courait dans les deux sens vers les extrémités. Ce qu’il en reste montre qu’il s’agis-
sait d’un objet symbolique de nom indéterminé offert sous le patronage du roi
régnant Ramsès II représenté par son vizir Paser :
Cette dalle était faite pour reposer horizontalement sur une de ses faces et présenter
en avant la tranche inscrite. La grande face supérieure formait une sorte de plateau
sur lequel s’enlevait en ronde bosse un alignement d’hirondelles dans toute la
longueur de ce plateau. Ces hirondelles, toutes semblables et tournées du même
côté, se touchaient par les ailes. Une dizaine subsistent et leur nombre devait
atteindre au moins le chiffre quatorze. Derrière elles, sur la face supérieure du pla-
teau était gravé le nom du dédicateur de cet ex-voto : un scribe royal : ^
H HH qui ne peut être que Ramosé
La trouvaille de cet objet dans les ruines ramessides du temple d’Hathor et dans
le petit palais Henou de Ramsès II,. adjacent à la paroi méridionale de ce temple,
suscite quelques commentaires.
Que représentent ces hirondelles alignées comme une corniche de faîtage de naos?
<*> B. Bruyère, Rapport defouillesà Deirel Médineh 1936-19/10, fasc. II, p. 5 a, fig. i 4 i et fasc. III, fig. 9*
106
B. BRUYÈRE.
Il ne semble pas à première vue que le plateau ait été engagé dans une maçonnerie
comme élément architectural d’une construction quelconque ; au contraire, il paraît
avoir été une pièce indépendante simplement déposée en un lieu saint en guise
d 'ex-voto. La forme du bec et de la queue bifide de ces oiseaux empêche de les prendre
pour des faucons.
Le culte de l’hirondelle Ment nefer : S -y-Jis à Deir el Médineh, a démontré
Maspero P), faisait partie des dévotions particulières de la plèbe des nécropoles ainsi
qu’en témoigne la stèle n° 1 34 de Turin qu’il publie en son Histoire d’après Lan-
zone( 1 2) 3 . Le court texte de ce monument: ^ Sü y. } ^ SS ] | | suffit à
prouver une fois de plus qu’un jeu de mots a pu donner naissance à l’oiseau par
homophonie avec le verbe par ce besoin égyptien de matérialiser graphiquement
une idée par un signe exprimant une réalité connue, quitte ensuite à forger un rap-
prochement entre une particularité de l’objet ou de l’animal représenté et l’acte
abstrait traduit par le verbe homophone.
«La bonne hirondelle qui reste en face de l’éternité» ou autrement dit, qui est
une image de l’éternité est, sur cette stèle de Turin, une équivalence d’une autre
forme animale figurée au-dessous, celle de la chatte, appelée : « la bonne chatte
image de Rè» terme dont le dernier mot joue avec cet autre :
™ q qui signifie : quotidien, comme le soleil.
Puisqu’il est reconnu que les formes animales gratifiées de l’épithète J : nefer
sont les apparences des âmes des dieux; l’hirondelle (et aussi la chatte), est donc
à considérer comme l’âme de Rè, éternelle et quotidienne ainsi que le soleil, et,
pour l’époque du Nouvel Empire, la fusion de Rè et d’Osiris dans le monde infernal,
permet d’établir une équation entre les deux mythes solaire et osirien.
En effet, d’une part, l’hirondelle est souvent perchée sur le château de proue de
la barque solaire W, en tant que vigie chargée de piloter le navire dans la Douât.
A cette place elle se substitue à l’Horus de Khemmis, parfois accroupi sur le gaillard
d’avant. D’autre part, l’hirondelle est aussi souvent perchée sur un tumulus de
sable ou sur le toit d’un tombeau, telle une âme sortant du sépulcre où gît le corps
du défunt assimilé à celui d’Osiris. Ce cadavre dans l’omphalos funèbre est, on le
sait, appelé Sokar dans la nécropole memphile et il y est identifié à Ptah qui est au
sud de son mur " | J ^ 0 1 — lequel, au fond des couloirs obscurs du Rosta est enfermé
dans la fosse secrète Shetit O - f 1 — n ou dans le catafalque de la bari funèbre
Hennou f ^ m (# ) • Sous la XIX e dynastie et à Thèbes, ce même cadavre
d’Osiris nommé Ptah-Sokar-Osiris, est assimilé à Hapi ou Apis et souvent à Souti,
variante de Seth.
(1) G. Maspero, Etudes égyptiennes, t. II, p. 39 5 . De quelques cultes et de quelques croyances popu-
laires des Egyptiens : l’hirondelle.
(S) Lanzone, Dizionario di mitologia, tav. CXVIII.
(3) Deir el Médineh, tombe n° 1 de Sennedjem, paroi est.
107
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
Les vignettes du Livre des Morts, illustrant le chapitre 86, permettent au mort de
se transformer en hirondelle : ^ ISv-tù aussi bien qu’en faucon et en
lotus, pour être semblable à Rè, ou révèlent que cette hirondelle, identique à l’âme
du défunt, réside dans la Douât : |*V) n? v (2) - Ce défunt dit ailleurs :
Je suis une hirondelle, je suis le Scorpion, fille de Rè, et il établit ainsi une .connexion
entre son âme, l’hirondelle et Selkit. La stèle n° i34 de Turin nous a montré le
Fig. io. Temple de Deir el Médineh : La barque Hennou de Sokar.
rapport étroit qui lie la chatte à l’hirondelle vis-à-vis de Rè. Par la stèle Metternich
on n’ignore pas que la chatte a nourri le poisson Abdou dans le temple de Neith.
Enfin dans les tombes de la Vallée des Rois ou sur les papyrus funéraires ^ souvent
voit-on deux hirondelles perchées sur un haut tertre de sable, l’une s’appelle :
Âme d’Isis; l’autre ver; À me de Nephthys, car il est dit dans Plutarque
qu’Isis, pour pleurer Osiris, prit forme d'hirondelle. Nous avons donc là les quatre
veilleuses des canopes : Isis, Nephthys Neith et Selkit. Ce sont quatre âmes qui
(l) Musée du Caire : Papyrus funéraires de Maherpra. de Djed-Khonsou-aus-ankh.
(*) Musée du Caire : Papyrus funéraire de Djed-Maut-aus-ankh.
W Musée du Caire : Papvrus funéraire de Dja-nefer.
Musée du Caire : Coffre à canopes de la reine Nedjemt : | ^ NN «jf J A J
108
B. BRUYÈRE.
protègent les angles du sarcophage et les urnes contenant les viscères des morts
comme elles le firent pour Osiris réduit à l’état de Sokar, c’est-à-dire accomplissant
les mystères de la résurrection à l’intérieur du tombeau.
Or le bateau funèbre Hennou de Sokar porte sur sa proue, recourbée à la poulaine,
un alignement d’hirondelles et un nombre parfois correspondant de rames ce
qui semble indiquer que ces oiseaux-âmes représentent l’équipage du navire, à la
façon dont les âmes des morts sont admises dans la barque solaire pour faire partie
des compagnons d’Horus, autant dire ses matelots, et faire voguer l’esquif sur le
Nil céleste diurne et nocturne. La quantité des hirondelles a peut-être une impor-
tance, si l’on observe qu’elle est de quatorze sur certaines représentations et que
ce nombre est celui des âmes et des Ka des dieux; mais ce chiffre n’est pas constant,
il est sans doute un effet de hasard sur lequel il serait imprudent de tabler.
En admettant un nombre indéterminé, sans tenir compte qu’une bordée de marins
comporte toujours un effectif exact, on pensera que la troupe des compagnons
d’Horus étant illimitée, il peut en être de même de celle de Sokar (fig. 10 ).
U ex-voto de Ramosé serait donc, d’après ce que nous venons de dire, un monu-
ment du culte de Sokar exprimant l’idée de multiplicité des servants de ce dieu.
Le concept de la pluralité des âmes ou des Ka divins est souvent réalisé sur des stèles
où l’on voit, par exemple, la déesse serpent Mert Seger et une série de cobras plus
petits, ou bien, le dieu Horus et plusieurs rangs de soleils; l’oie Smen et quelques
rangées d’œufs; un autre Horus et des alignements de poissons, etc.
Si véritablement nous avons à faire à un objet se rapportant au culte de Sokar,
pourquoi Ramosé, par l’intermédiaire du vizir Paser, a-t-il fait choix d’un tel sujet
et l’a-t-il offert à Hathor en son temple?
Il faut se souvenir qu’une des trois chapelles du* temple ptolémaïque d’Hathor
à Deir el Médineh, la chapelle du sud, est dédiée à la déesse Mâat et contient en
face de la scène du jugement de l’âme dans la salle des deux Vérités, celle de la résur-
rection où l’on voit Anubis- recevant le soleil mort, l’enseigne de Neferatoum et la
grande barque de Sokar sous laquelle des Ka royaux ou divins font le geste Henou
de lever le bras gauche comme Min et de mettre la main droite sur le cœur comme
les esprits de Routo et de Nekhen.
Il est à présumer que les Ptolémées ont ici perpétué une tradition antique et n’ont
attribué une chapelle à Sokar chez Hathor que parce qu’il en était ainsi dans les
sanctuaires ramessides et autres précédant le leur. Cela répond en effet à une très
vieille tradition libyenne de toute la rive occidentale du Nil, du nord au sud de
l’Egypte, et dont un des premiers témoignages nous est donné dès l’aurore de l’An-
cien Empire, à Memphis-Sakkarah.
Là, Ptah-neb-Mâat, qui est au sud de son mur , et qui, en tant que Sokar, réside
(1 ' Temple de Deir el Médineh, chapelle du sud, paroi nord. Cf. Lanzqne.
109
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
au fond de son gouffre secret Shetit s’adjoint Hathor du sycomore du sud qui est la
souveraine de la berge occidentale funèbre.
A Thèbes, la rive gauche du fleuve est le royaume d’Hathor depuis toujours et,
au Nouvel Empire, sous les Thotmès, le culte de Ptah, importé de Memphis, s’im-
plante dans la ville funèbre en même temps qu’il s’installe à Karnak.
Hathor y conserve parmi ses nombreuses épithètes celle de déesse du sycomore du
sud. La qualité essentiellement funéraire de Sokar voudrait que ce dieu localisât
son culte sur la rive occidentale.
En cette qualité il prend place en effet dans plusieurs salles du temple de Deir
el Bahri et y reçoit les hommages de Thotmès III et d’Hatshepsout W. A l’Ameno-
phiuin le grand roi Aménophis III se déclare aimé de Sokar sur le pilier d adossement
du colosse méridional et la stèle dédicatoire de ce temple porte, dans le fronton
cintré, l’image de Ptah-Sokari. Au Ramesseum c’est Ramsès II, au temple de Gour-
nah ( 2 ), c’est Sethi I er qui assignent au dieu memphite une situation spéciale; enfin
à Médinet llabou, dans la seconde cour, toute la paroi du sud est consacrée au derou-
lement des fêtes de Sokar, à la procession de sa barque et Ramsès III lui donne
encore asile dans une des chapelles occidentales du même temple (*1 .
A ces hommages royaux, décernés dans les grands sanctuaires occidentaux, par
les pharaons du Nouvel Empire, s’ajoutent, a la Vallee des Rois et a la Vallee des
Reines, d’autres marques de dévotion dans presque tous les hypogées.
Que dire des tombes de courtisans et de fonctionnaires de toute 1 immense nécro-
pole thébaine, sinon que la mention de Ptah-Sokar y est pour ainsi dire générale
et il en va de même des tombes plus modestes des ouvriers de Deir el Médineh.
Mais ce qui est remarquable, c’est la fréquence de corrélation entre le culte de Sokar
et celui d’Hathor, car très souvent la salle qui renferme la représentation du Hennou
de Sokar a pour frise un alignement de masques hathoriques et bien souvent aussi
se marque une prédilection pour l’affectation de la paroi méridionale d une piece
à une telle figuration.
Toutes ces pieuses démontrations prouveraient seulement que depuis la XVIII e dy-
nastie la cour royale et la population de Thèbes affichent une dévotion particulière
au dieu de Sakkarah et l’associent dans leur ferveur à leur grande déesse Hathor.
Mais il ne suffit pas de vouer un culte à un dieu dans une tombe ou dans le temple
funéraire d’un roi; il faut que ce dieu ait son sanctuaire personnel et un sacerdoce
attaché à ce monument.
La scène de la fête de Sokar à Médinet Habou est déjà une preuve que 1 un et
l’autre ont existé et que ce temple et son clergé ne peuvent être ceux de Karnak.
Il devait donc y avoir sur la rive gauche un sanctuaire de Sokar.
(l) E. Naville, Deir el Bahri.
W G. Steindorff, Guide Baedeker.
(3) G. Daressy, Notice sur le temple de Médinet Habou .
110
B. BKUYÈRE.
Les fouilles de Gauthier au pied de la colline de Gournet Marei auraient pu donner
une solution à ce problème si elles eussent été orientées vers ce but logique après
les découvertes de tombes qui, par la titulature de leurs propriétaires, indiquaient
clairement la présence d’un lieu cultuel de Sokar dans un proche voisinage. La brève
mention d’une ruine en briques en arrière du temple d’Aménophis III et dont l’axe
principal n’était pas celui de ce temple, est donnée dans le rapport de ces fouilles
comme un détail accessoire sans grand intérêt. Il est visible que la signification de
ces ruines restait étrangère aux préoccupations du moment. Il faut donc regretter
la destruction probable de ces vestiges depuis l’époque des fouilles en question et
aussi l’absence de tout relevé topographique à l’appui de la note succincte du
rapport £').
L’indication «aimé de Sokar» relevée sur le colosse méridional de Memnon était
déjà une présomption que le temple de ce dieu devait se trouver tout proche de
celui d’Aménophis III et avait quelque chance, par analogie avec Sakkarah, où il
jouxte au sud le Mur Blanc de Zoser, d’être accolé à l’enceinte de briques enfermant
l’Aménophium £ 2 L
La représentation de la fête de Sokar sur la paroi sud de Médinet Habou était
encore un autre avertissement d’avoir à le chercher dans la région comprise entre
les sanctuaires d’Aménophis III et de Ramsès III.
En tous cas c’est dans la partie méridionale de la nécropole qu’il serait possible
qu’on découvrît les traces qui doivent en subsister puisque l’Hathor de Deir el Mé-
dineh y porte comme à Memphis l’épithète indicatrice de dame du sycomore du sud.
Nos fouilles de 1926 avaient désensablé sur le sentier allant de Deir el Médineh
à la Vallée des Reines le temple spéos effondré de Ptah et de Mert Seger, déjà fouillé
par Schiaparelli ( 3) .
Ce spéos pouvait à certains points de vue répondre aux conditions voulues puisque
Sokar habite, disent les textes, un puits de carrière ou une grotte; mais nous n’avons
découvert là que des témoignages de la XIX e et de la XX e dynasties et ne mentionnant
que Plah-neb-Mâat de la Vallée des Reines; ai alors que le sanctuaire cherché
doit remonter au moins à Thotinès III et être spécialement dédié à Sokar W.
Les fouilles de 1989 dans le temple d’Hathor de Deir el Médineh ne nous ont
pas donné à penser que l’on doive considérer la chapelle méridionale ptolémaïque
comme une survivance d’un monument plus considérable antérieurement construit
dans ces parages, bien qu’elle soit consacrée à Sokar et à Mâat< 5 L
(,) H. Gauthier, Annales du Service des Antiquités, t. XIX.
J. P. Lauer, La Pyramide à degrés.
(3) B. Bruyère, Mémoires de V Institut français, t. LVIII. Mert Seger à Deir el Médineh.
(4) Musée du Caire : Ostracon n° a 5 o 52 qui mentionne cependant :
(5) B. Bruyère, Rapport de fouilles 0 Deir el Médineh, 1986-1940.
lit
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
Enfin les fouilles du temple funéraire d’Amenhotep fils d’Hapou W, entreprises
sur nos indications, ont bien fait retrouver avec cet édifice, plusieurs ruines d’autres
sanctuaires non identifiés ; mais aucune d’elles ne paraît correspondre pour la data-
tion et l’affectation à l’introuvable temple de Sokar. Et pourtant il ne peut que se
placer dans la plaine qui s’étend au pied de la colline de Gournet Marei et préfé-
rablement vers le sud ( 2 L
Peut-être doit-on justifier cette supposition par la présence dans cette région de
plusieurs tombes ramessides découvertes par H. Gauthier et appartenant a des fonc-
tionnaires religieux et laïques du temple de Sokar W.
Effectivement la tombe n° 270 est celle du Prêtre lecteur de Ptah-Sokar : Ame-
nemouia : La tombe n° 274 est celle d’un Prêtre Sam au Rames-
seum nommé Amenouahsou et elle contient une scène d’adoration à Sokar et à
Hathor. La tombe n° 275 appartient au grand prêtre, divin père au temple d’Ame-
nophis III et de Sokar : Sebekmès — ® J— Enfm
la tombe n® 2 77 a pour propriétaire le prêtre lecteur, divin père au temple de Sokar :
* iJw.
EE3
Ameneminet : fî 5 -A - 1 "| — ^
Non loin de là, Quibell trouva près du Ramesseum des reliefs représentant un
prêtre Sam de Ptah, d’époque ramesside, revêtu du costume spécial à cet office et
qu’il croit devoir attribuer à la tombe d’un nommé Nekht-ef-Mout ' 5 ).
A Deir el Médineh, la tombe n° 2 1 1 de Paneb contient une représentation de la
barque de Sokar, la tombe n° 7 de Ramosé également, ce qui, pour cette dernière,
présente. un certain intérêt en raison de V ex-voto dont nous nous occupons. La
tombe N° 216 du chef de travaux Neferhotep possède sur la paroi nord du couloir
terminal de la chapelle une grande scène montrant une barque dans le dais de la-
quelle sont assis Osiris et Hathor; devant le dais la vache Hathor protège un petit
roi debout sous son encolure et sur le toit du dais est couché le tàucon Sokaris enve-
loppé du linceul rouge osirien et affectant la forme du crocodile Sebek.
La tombe n° 323 est celle du sculpteur d’Amon dans le temple de Sokar; Paclied,
dont le père : Amenemhat fut aussi dans le même emploi : n
Cette tombe contient naturellement une scène d’adoration à Ptah-Sokar hiéraco-
céphale < 6) .
A Gournah la tombe n° 45 usurpée par Thotemheb et la tombe n® 5 o de Nefer-
hotep, entre beaucoup d’autres, contiennent la barque de Sokar; la tombe n® 202
est celle du prophète de Ptah : Nakhtamon.
(’) C. Robicoon et A. Varille, Le temple funêi'aire d’Amenhotep fils d Hapou.
{S) E. Baraize, Plan des nécropoles thébaines, feuille n° 3o.
C 3 ) H. Gauthier, Annales, t. XIX, op . cit.
( 4 ) Porter et Moss, Bibliographie : Theban Necropolis ,
W Quibell, Ramesseum, pl. XXIII, fig. 2 et 3 .
(•> B. Brutère ± Rapport de fouilles à Deir el Médineh . 1928-1924.
112
B. BRUYÈRE.
Ces quelques citations montrent bien l’existence d’un sacerdoce et d’une admi-
nistration affectés à un temple de Sokar ainsi que ia diffusion de son cuite à l’époque
ramesside sur ia rive gauche. r *
Mais ce cuite avec tout son personnel remontait, avons-nous dit, à ia XVIII e dvnastie.
Un monument de Leyde O représentant cinq personnages en haut-relief dans un
cadre surmonté d’une corniche et couvert d’inscriptions, nous montre le vizir
Thotmes ) qui vécut sous Amenophis II et Thotmès IV, son épouse Taoui, et ses
eux fiis Ptahmes et Menptah. Ptahmès est représenté deux fois. Ces trois derniers
sont coiffes de la natte libyenne des prêtres de Ptah, portent le collier de Sam
1 echarpe en baudrier sur i’épaule gauche et la ceinture à pendentif ouvragé des
prophètes de Sokar. La titulaire de Meriptah dit qu’il fut prêtre et majordome du
temple d Amenophis III, ce qui autorise à penser que ce monument de Leyde, pro-
yenant de la collection d’Anastasy, représente des personnages ayant eu des fonctions
a Thebes ainsi qu a Memphis «. Thotmès est d’ailleurs qualifié : V ~ • Préfet
de la Ville,, c’est-à-dire de la Capitale qui était Thèbes à cette époque. '
n pense généralement que Nout : «la ville» désigne en effet Thèbes au Nouvel
mpire et qu’avec cette signification, ce mot est une abréviation de Nout resit U*
la vük du sud par opposition à Nout mehit, la ville du nord qui est l’ancienne capi-
tale Memphis ou Tams. Cela semble résulter de certains titres comme celui-ci, porté
par Ptahmes fils de Thotmès : Jf dans lequel les deux capitales du nord
e du sud sont mentionnées. A. Erman pense à propos de la mention i™A~M ®
sur la stèle n» 2 o3 77 de Nebrè à Berlin que l’on doit traduire ici ^ •'««J !
«dans la Ville victorieuse», surnom donné, croit-on, à Thèbes sous les~RanTsès et
qui se retrouve sur d’autres stèles dédiées à Amon et découvertes à Deir el Médineh
avec celle de Nebrè W.
Ncms croyons qu’on serait tenté de distinguer sous ces appellations diverses des
différences entre une ville religieuse et une ville administrative et même entre des
subdivisions topographiques d’une grande ville comme les londoniens de nos jours
istmguent la Cite, centre des affaires, des autres quartiers de la ville ou les romains
actuels distinguent la cité du Vatican, centre religieux de Rome, du Quirinal, centre
politique et administratif du royaume.
Les capitales Nord et Sud de l’Egypte peuvent être les centres religieux de Basse
et Haute Egypte ou les districts septentrional et méridional de la capitale de
1 <<Vd , G Vlctoneuse>> sembie ^ tous cas restreinte à la désignation de
la ville d Amon, c est-à-dire de Karnak. b
<’> Leemans, Leyde , pl. XV, n» 27; Description raisonnée, V, i4, p. 37
,3) A. Weill, Veziere des pharaonen Reiches.
J G. Lefebvre, Histoire des Grands Prêtres d’Amon, p. 98-99.
J ’ A 6 t p T’ f'TÜ B v iKh u it ad - WÙSenS -’ Berlin ’ 1911 et B - Seger .... p a5
ng. 16 . Stele n 278 de Lenherkhepeshef, British Muséum. ° P ’
113
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
Mais le culte de Ptah ayant été transplanté à Thèbes par la XVIII e dynastie, sans
cesser d’être desservi à Memphis par le prince héritier, il était nécessaire qu’il y eût,
pour la capitale du sud, un autre grand prêtre thébain. Étant donné 1 indiscutable
primauté d’Amon sur les autres dieux nationaux, ce grand prêtre ne pouvait qu’être,
vis-à-vis de celui d’Amon, dans la situation subalterne du fils vis-à-vis de son père,
de l’héritier présomptif vis-à-vis du pontife en exercice. Peut-être faut-il voir là le
motif pour lequel, en majorité, les grands prêtres d’Amon furent auparavant grands
prêtres Sam de Ptah-Sokar.
Il ne fait pas de doute qu’il s’agit ici de Ptah thébain. On sait qu’il avait un. petit
temple dans le grand temple de Karnak. J1 y a lieu de croire qu’il avait également
un sanctuaire sur la rive gauche Û) car en son nom de Sokar, il ne pouvait manquer
d’être vénéré dans la nécropole libyque. Ce sanctuaire n’a pas encore été découvert;
cependant son sacerdoce et son personnel laïque existent et des indices sérieux
offrent des présomptions assez précises sur la localisation de son emplacement entre
Gournet Marei et Médinet Habou.
L’étroite relation en laquelle se trouvent a Memphis comme a Thebes Ptah qui
est au sud de son mur et Hathor dame du sycomore du sud, fait que dans le temple de
Deir el Medineh, consacré en premier lieu à Hathor, la chapelle méridionale est
dédiée à Ptah-neb-Mâat et à Sokar.
Voilà pourquoi le scribe Ramosé, qui était l’archiviste secrétaire du vizir Paser,
lequel, comme tous ses pareils, était voué par ses fonctions au culte d’Hathor, déposa
dans le sanctuaire de la déesse d’Occident un ex-voto représentant une brochette
d’hirondelles car ces oiseaux, considérés tantôt comme les âmes de Rè ou d’Osins,
tantôt comme celles d’Isis et de Nephthys, variantes d’Hathor, sont souvent alignés
sur le plat bord avant du Hennou de Sokar de la même façon que sur le petit monu-
ment en question.
Ces hirondelles du Hennou sont les nautoniers indispensables à la marche du
navire. Ils sont par rapport à Sokar comme les oushebtis sont par rapport au dieu
agriculteur Osiris. Renouveler l’effectif de ces marins est un geste tout semblable
à celui de renouveler l’approvisionnement d’une tombe en oushebtis. Et c est en
même temps un hommage indirect à Hathor, la souveraine de la ville funèbre dont
Sokar est l’hôte et dont Paser, préfet de la capitale, administrait les quartiers méri-
dionaux dont dépendait Deir el Médineh.
W Sur plusieurs fragments sculptés trouvés à Deir el Médineh, on relève ces trois mentions . | — , f " x
Ira HPMïïi'""’XMîî "l~’ A XP x J~'¥ AP» l ui P r W de rexistence d ’ URe c ! u de
plusieurs statues de Ptah situées dans un temple près d’une porte (ce qui rappelle (1*J 1 ' j_A_ : la
porte d’imhotep en Basse Egypte). Il s’agit ici de la rive gauche, mais sur une statue de ^ \ , A ' ^
ce personnage porte le titre de fl ^ 55 J f \ * j £ qui montre que Sokar avait un lieu de culte
sur la rive droite.
NOTE 14
OSIRIS AU PRESSOIR. DED ET MAD ED.
^ L origine du Ded osirien était si peu connue des Egyptiens que déjà sous le Nouvel
Empire, leurs théologiens prétendaient faire admettre qu’il représentait l’épine dor-
sale du dieu civilisateur et la tradition populaire colportait une légende qui, enjolivée
d’époque saïte en époque grecque, parvenait jusqu’à Plutarque complètement déna-
turée- W. D’après cette fable, la version égyptienne voulait que le corps d’Osiris,
précipité au Nil par Seth, eût été arrêté à l’embouchure de la branche tanitique,
par la ramure d un acacia et si bien enfermé en elle que le cadavre fût en quelque
sorte digéré par l’arbre et que Isis, pour recouvrer les restes de son époux, fût forcée
d ébrancher 1 acacia et de lui donner ainsi la forme attribuée au Ded.
La version grecque plaçait à Byblos < 2 > le lieu d’atterrissage et transformait l’acacia
en une éricacée géante ou plus vraisemblablement en un cyprès à branches hori-
zontales. Que ce soit un genet, un genévrier, une bruyère, un cyprès, un pin d’Alep,
un cèdre du Liban, peu importe; le point intéressant du conte est que le roi syrien
Malkandre fit couper 1 arbre et en confectionna un poteau pour supporter la toiture
de son palais. Ainsi élagué et transformé en support, le végétal exotique aurait pris
la foi me Ded que 1 Egypte aurait adoptée pour son symbole osirien.
Sans aller à l’encontre de l’ingénieuse attribution à la Syrie d’un fétiche aussi
représentatif du mythe d’Osiris, appuyée d’ailleurs par des témoignages écrits dont
Moret, Gressmann et d’autres savants ont tiré toute l’essence, ne pense-t-on pas
qu’on puisse remonter plus haut dans le temps, que les textes ayant servi à l’argu-
mentation d’une telle hypothèse W?
Ces textes ont eu au moins l’avantage de détruire les interprétations fantaisistes
qui faisaient du Ded tantôt un nilomètre, tantôt un chevalet de sculpteur et de
ramener le problème de la nature de cet objet énigmatique à une seule acception
logique, celle d un support végétal, simple ou composite, présenté conventionnel-
lement et dote, par un travail humain, de sa forme particulière.
De ce que les Lamentations d’Isis et de Nephthys sur la mort d’Osiris, donnent
P - J - DB Howuck > Bibliothèque Egyptologique, t. XVII, p. 33-53, 83- 9 8 : Les lamentations d’Isis
et de Nephthys.
2 ® ybl ° S de Syrie fut ainsi confondu avec % b]os > «lias Belbeis, sur la branche pélusiaque du Delta.
1 II est plus logique de penser qu’Osiris, dieu pilier, fut un des dieux primitifs des Anou (G. Daressy
Annales, XXII, p. 32 ).
115
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
à celui-ci le nom de dieu On, c’est-à-dire de dieu pilier, il résulte que
le On et le Ded sont choses de même espèce et que la fete de relever le Ded a
Busiris lors des panégyries de Khoiak peut s’échanger avec celle de redresser
le poteau On &>. Cette cérémonie annuelle est très ancienne; elle est propre à Osiris
et elle tend à bien prouver que le Ded, comme le On, peut effectivement avoir
été la forme primitive sous laquelle le dieu de Busiris recevait son culte en sa ville
du Delta ^ .
Il ne fait pas de doute que l’un et l’autre objets appartiennent au règne végétal
et cela, sans qu’il soit besoin d’en appeler à la légende grecque. Ou bien ce sont
des troncs d’arbre équarris, ébranchés plus ou moins complètement, ou bien ce
sont des faisceaux de tiges liées près du sommet et probablement enrobées dans une
gangue de limon comme le sont de nos jours les piliers de chadouf et de sakieh de
la campagne thébaine faits de hautes cannes assemblées au mortier de terre crue et
ligaturées à peu de distance de leurs tètes par une cordelette roulée en tours
nombreux .
L’évasement qui donne au pied de l’appareil plus de largeur que le reste du corps
est commandé par des raisons de solidité et de stabilité rendues indispensables
à cause du travail de fatigue imposé au support par le mouvement et le poids
mis en jeu.
Le lien de six ou sept tours qui serre les tiges est généralement exprimé sur les
représentations détaillées du Ded. De même, au-dessus de ce lien, le relâchement
des têtes de tiges produit un épanouissement qui se traduit par une courbe rappelant
celle d’une ombelle de papvriis et il se pourrait, en effet, qu il s agisse de ce \egetal
deltaïque, abondant au royaume d’Osiris, car souvent cette ombelle du Ded, ouverte
sous chacune des abaques horizontales, est striée de traits rayonnants comme il est
accoutumé de figurer celle du papyrus.
Il est possible que par une adaptation au milieu osirien la nature du Ded ait varié
et soit passée d’un tronc d’arbre à un faisceau de papyrus puisque ce dernier végétal
est plus représentatif qu’aucun autre de la région deltaïque où la légende égyp-
tienne placerait primitivement l’abordage du cercueil d’Osiris. On sait d’ailleurs
que VAtef porté parfois par ce dieu est une haute tiare de joncs aquatiques en sou-
venir de son immersion dans le Nil et que les danseurs Mouaou des mystères osiriens
se coiffent d’un même haut bonnet d’espèce identique ( 3 L Enfin le symbole Kaker
O J. Capart, Le temple de Sethi I «■ à Abydos, pl. XXIX. Sethi redresse le Ded. Les légendes de la scène
de «redresser» le Ded attestent que ce pilier n’est autre que le dieu mort Sokar-Osins. On redresse
de même le On d’Héliopolis, l’emblème de Neferatoum, le béthyle de Min à Coptos.
m Certaines représentations très anciennes du piquet On le montrent comme un faisceau de tiges
autour d’un piquet central terminé par un tenon. #
l»î G. Jéquier, Revue de l'Egypte ancienne , t. I, p. i hh sqq. A propos de la danse des Mouaou ; A'. Moret,
Mystères égyptiens > Rois de carnaval.
116 B. BRUYÈRE.
| J est aussi constitué par de semblables spécimens de la flore nilotique et pour
des raisons analogues.
Mais pour en revenir à la version grecque invoquée par Plutarque, si le Ded doit
être considéré comme un tronc d’arbre, il est naturel que sa base soit plus large au
niveau du sol à la naissance des racines et c’est pourquoi le pied de l’emblème peut
avoir acquis cette forme évasée sans que la stylisation la lui ait donnée postérieurement.
Quant à l’abaque horizontale qui constitue le chapiteau de la colonne, elle peut
aussi être un souvenir des branches horizontales d’un certain conifère syrien et
attester de la sorte l’origine giblite que lui donnerait la fable hellénique.
S’il n’était question que d’un seul chapiteau et d’une seule abaque, le problème
de la signification du Ded serait simple. Ce qui le rend complexe, c’est que le cha-
piteau est parfois triple comme à l’époque des Hyksos et plus généralement qua-
druple, tant aux âges les plus récents qu’aux temps reculés où Zoser en décorait
les parois de la grande tombe méridionale de son mausolée de Saqqarah *').
Ici doit donc intervenir l’interprétation du signe selon les données des conven-
tions égyptiennes de la perspective et de l’idéographie. Le nombre des abaques
possède une valeur idéographique que sa constance rend indiscutable. Le règne des
Pasteurs fit peut-être prévaloir momentanément le nombre trois par suite des rela-
tions d’alors avec la Syrie qui ont pu imposer à l’Egypte le fétiche à triple couron-
nement du dieu Khay-Taou de Byblos par un rapprochement intentionnel de ce
mythe étranger et du mythe autochtone busirite * 2 L Cependant le nombre quatre
était égyptien dès l’origine et le redeviendra après la chute des usurpateurs, si toute-
fois il a pu cesser de l’être pendant leur séjour en Qémit * 3 L
L’équidistance et la parité des abaques ressortissent évidemment à la stylisation
du prototype; leur superposition pourrait signifier qu’il s’agit d’un objet unique
à quadruple étage puisque le tronc est unique; mais étant connues les règles de la
perspective égyptienne et les lois du symbolisme qui ont dû présider à la création
du Ded, il est rationnel de voir en cet agencement une raison d’être déterminante
conforme aux unes et aux autres.
L’hypothèse la plus plausible et celle qu’on admet avec davantage de motifs est
que le Ded veut représenter un alignement de quatre piliers semblables vus en pers-
pective plongeante ne laissant apercevoir que la pile antérieure depuis sa base jus-
qu’au chapiteau et découvrant en arrière de celui-ci les sommets des trôis autres
supports. L’alignement est encore ici une convention permettant de condenser
■ en une seule image quatre éléments distincts disposés d’une toute autre façon
en réalité.
(l> J. P. Laver, La Pyramide à degrés. Le sceptre composite de Ptah est fait d’un Ded et son naos a deux
Ded comme supports antérieurs du toit.
<*> P. Mom et, Byblos et l’Egypte, p. 288-390.
(3) K. Sethe voit dans le Ded un emblème séthien.
117
FOUILLES DE DE1R EL MÉDINEH (1 935-1 9A0).
Souvent l’abaque supérieure est surmontée d’un tenon central qu’on pourrait
prendre à la rigueur pour l’amorce d un organe de suspension
dont l’adjonction proviendrait de l’utilisation ultérieure de l’em-
blème comme amulette, si les exemples les plus anciens ne
détruisaient par avance ce point de vue utilitaire pour affirmer
au contraire la nécessité de cette petite pièce supplétive pour
le rôle de support réservé originairement au Ded.
La qualité essentielle du nombre quatre dans l’ordonnance
de l’appareil de support est d’avoir pour but de soutenir un
objet lourd de forme carrée ou rectangulaire par le placement de
quatre étais angulaires aux points d’appuis de la surface à sur-
élever. Un toit, un plafond, une treille, un dais, le baldaquin
d’un trône, le poutrage d’un pressoir ou la couverture d’un
kiosque nécessitent quatre piliers d’angles pour leur sustentation.
Le ciel égyptien est un lourd plafond de fer qui repose par
quatre pointes angulaires sur la terre* 1 ). Par une adaptation
mythologique, ce ciel emprunte aux usages de la vie courante
quatre piliers qui, dans les constructions urbaines et rurales,
servent à porter les plafonnages et les toitures terrestres.
Un grand nombre de vignettes de papyrus funéraires et de
décorations pariétales de temples et de tombes montrent cette
dérivation du sens réel au sens figuré du Ded lorsque la déesse Mu J’ g du c aire :
du ciel Nout ou seulement son hiéroglyphe, le plafond céleste, un Ded composite,
est hissé à bout de bras par un Ded muni à cet effet de membres
humains ( 2 >. Shou qui le premier éleva le firmament au-dessus de la terre est de
cette façon assimilé à Osiris dans le Ded en ce rôle de soutien, qu’il remplit envers
sa mère Nout. Dans le même ordre d’idées, le prêtre Sam des fêtes jubilaires et des
enterrements, jouant le rôle d’Horus vis-à-vis d’Isis, substituée par syncrétisme à
Nout, unit par la vertu du rite Sma-Tô J & le ciel à la terre et devient de cette
manière le « pilier qui supporte sa mère» c’est-à-dire 1 On-maut-f ^
Le Ded surmonté d’un masque d’Hathor, d’un faucon symbolisant à la fois le ciel
_ et le soleil, d’un disque solaire ou enfin des deux hautes plumes droites de
Neferatoum rentrent dans cette même catégorie symbolique de soutien du plafond
céleste par le pilier osirien* 3 ) (fig. 11).
(>) L’idéogramme du ciel : — * avec deux pointes angulaires seulement au lieu de quatre, mont * e
bien, comme pour le tronc du Ded, l’intervention des règles de perspective égyptienne, mais ici le
nombre a moins de valeur significative que pour les abaques du Ded.
o) Perrot et Chipiez, Histoire de l’Art, 1 . 1, p. 563, fig. 343 ; Bulletin de l’Institut français du Caire, t. VI,
1908 , pl. VI. , j j.
(») Cf. également : Wiumnson, III, p. 82 . IJed à forme humaine appelé Seped, pere des dieux.
16
wwwwir
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■mmn
118
B. BRUYÈRE.
L'idéographie des débuts de l’écriture a d’ailleurs exprimé par le signe yYYY que
l’on regardait le ciel comme un plafond soutenu par quatre troncs fourchus pareils
à ceux qui portaient le toit de la maison primitive, plantés aux points cardinaux.
Il résulte de tout cela que le Ded, identique par sa fonction à ces quatre pieux four-
chus, ne peut être autre chose que la réunion des quatre étais du firmament suspendu
au-dessus du royaume d’Osiris.
Quand ce royaume se limitait jadis aux provinces du Delta, le ciel qui le couvrait
reposait par ses quatre pointes angulaires Hehou, Naou, Kakou et Amanou aux
quatre points cardinaux de ce territoire personnifiés ou gardés par Seth, Seped,
Thot et Anubis. Plus tard, quand la diffusion du culte d’Osiris eut réduit l’impor-
tance de ces dieux étais et les eut fait descendre au rang de simples génies, ils per-
mutèrent avec les quatre fils d’Osiris et le nord fut confié au babouin Hapi, rem-
plaçant de Thot, protégé par Nephthys; le sud à l’homme Amset, substitué à Seth,
protégé par Isis; l’est au chacal Dumautef, -successeur de Seped gardé par Neith et
l’ouest au faucon Qebsenef répondant d’Anubis sous la tutelle de Selket. Ces quatre
génies devinrent par contaminations théologiques les enfants d’IIarsiesis puis les
préposés à la garde des viscères d’Osiris lorsque celui-ci, identifié à Khentamenti
de Thinis, fut reconnu comme dieu de la mort en raison de sa destinée tragique W.
On verra que l’affectation ultérieure des quatre génies des points cardinaux origi-
naires aux quatre canopes funéraires relève d’un même principe et doit correspondre
à une spéculation mythologique plus ancienne que la VI e dynastie, époque à laquelle
on fait remonter la première apparition des récipients canopiques osiriens.
L’adaptation théologique du Ded, pour si antique qu’elle soit, dérivait pourtant
d’une utilisation pratique, probablement antérieure, de l’objet avant sa stylisation
pour des fins de symbolisme religieux. Par définition il est, comme le On d’Hélio-
polis, un agent architectonique de soutien réalisé dès le début de la civilisation dans
le but utilitaire strictement matériel de porter la couverture d’un édifice. Un de ses
premiers emplois, hormis celui d’étayer le toit de la maison de l’homme, appartient
certainement au domaine de l’agriculture car le royaume d’Osiris dans le Delta était
un pays de culture et d’élevage.
Le dieu civilisateur laissait en héritage à son peuple, en plus des lois morales,
un code de règles agricoles et de méthodes applicables aux ressources naturelles du
sol. Or les céréales, la vigne et l’olivier constituaient les plus marquantes richesses
qu’il convenait d’exploiter pour le bonheur de l’humanité et elles se trouvaient en
abondance dans le domaine de Busiris, de Canope et de Mendès. Le traitement
des céréales et en particulier le rapport de celui du blé et de ce qu’on a appelé la
Passion d’Osiris a été savamment et copieusement étudié par de nombreux saVants
G. Maspero, Histoire ancienne des peuples de V Orient classique, t. I, p. 1128, i43 ? — Guide du Visiteur
au Musée du Caire , p. 279, 297, 3 o 5 , '
FOUILLES DE DE1R EL MÉDINEH (1935-1940). 119
et .ne semble plus attendre de compléments. Celui de la vigne et de l’olivier peuvent
encore espérer des éclaircissements, spécialement dans sa relation avec le rôle rédemp-
teur du dieu, sa souffrance et sa mort. Si le blé, par son séjour en terre, où il subit
la putréfaction; par sa germination, sa croissance, par la souffrance du fauchage, la
torture du mouturage, rappelle les affres de la passion osirienne, il apparaît qu’on
en peut dire autant du grain de raisin et de l’olive par leur écrasement sous la meule
ou sous le pied du fouleur, par le pressurage du moût ou du marc, par la fermen-
tation et la mise en cruches.
Toutes les religions ont pour fonds commun de symbolisme des emprunts faits
aux grands cycles solaire et agricole. Le pain de vie et le vin de la nouvelle alliance
pour le christianisme, pour ne citer que ces exemples les plus frappants, ont des
parallèles significatifs dans la théologie égyptienne. Le terme de «Passion dou-
loureuse» appliqué avec juste raison au drame osirien, a trouvé chez certains histo-
riens de telles analogies avec celle du Christ qu’ils ont cru pouvoir, sans irrespect,
comparer l’infamant et glorieux gibet du Golgotah en forme de T et taille, dit-on,
dans un tronc de pin provenant d’un vieux pressoir à raisin, au Ded osirien, taillé
lui aussi en forme de Tau et, selon quelque légende plus ou moins véridique, dans
un conifère d’Asie Mineure.
La similitude de l’instrument du supplice judaïque et du symbole busirite peut
en effet se légitimer dans une certaine mesure par l’examen des conditions d exis-
tence de ce dernier.
La fabrication du vin et de l’huile nécessite des appareils presque identiques de
foulage et de pressurage dont la constitution rudimentaire primitive comprend de
simples piquets fourchus au sommet, tels que les représentent les hiéroglyphes du
ciel yŸŸ7 ou de la tonnelle ff\ ou mieux encore du bâtis idéographique du pres-
soir y. Pour le foulage, une poutrelle horizontale s’appuie sur les fourches des
piquets et porte les cordes pendantes auxquelles s’accrochent les fouleurs dans leur
danse bachique W ; pour le pressurage, la poutrelle est remplacée par l’outre con-
tenant le marc. Une cuve destinée à recueillir le jus se trouve entre les pieds des
deux piquets. C’est ainsi que schématiquement les scènes de vendanges réalisent
l’agencement sommaire du pressoir en Basse Egypte sous l’Ancien Empire. D ailleurs,
dans le Delta, la vigne est disposée en treille pergola et plafonne au-dessus de piquets
fourchus ( 2 >. Il en va tout autrement en Haute Egypte au Nouvel Empire où la vigne
s’arrondit en tonnelle ou s’étend horizontalement au-dessus de colonnes plus ou
(O W. Budge, The Mummy, p. a4o. Canopic Jars.
P) F. Hartmann, L’agriculture dans l’ancienne Egypte. Répertoire, p. 3 o 4 . La danse du pressoir qui ex j sl ‘*‘|
en Grèce devait certainement avoir aussi existé précédemment en Egypte. Le « Jeu de la .treille» j f
S du mastaba de Mera est une figure de danse acrobatique comme celle des Mouaou de
Béni Hassan. Elle semble moins vouloir imiter la courbure d’une treille en berceau que rappeler le tré-
pignement et le pivotement sur place des fouleurs sous la treille du pressoir.
120
B. BRUYÈRE.
Fig. 12. Pressoir thébain avec piquets, fourchus et rigole d’écoulement.
Fig. ij. Tombe n° 217 : Pressoir thébain.
121
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
moins ouvragées et où le pressoir affecte une construction plus ornementale. Répon-
dant à des usages locaux peut-être aussi anciens que ceux de Basse Egypte et, en
tous cas, concordant avec ceux du moment, l’appareil thébain, représenté dans les
nombreuses scènes viticoles des tombeaux, se compose d’une cuve circulaire ou
rectangulaire surélevée pour permettre l’écoulement du liquide; couverte par un
système de poutrelles que soutiennent des colonnes papyriformes et d’où pendent
les cordes tenues par les fouleurs ù). La cuve et le canal d’écoulement en plan incliné
qui la précède donnent en profil une silhouette semblable au signe Mâat sur
lequel reposent habituellement les trônes divins et royaux sous le dais qui les sur-
plombe, comme pour exprimer leur stabilité dans la Vérité. Un socle de même espèce
avec son double escalier encadrant une glissière centrale sert de base à certaines
statues de Ptah, au kiosque de la fête Sed, à l’autel des holocaustes dans les temples,
(I) F. Hartmann, op. cit.
122 B. BRUYÈRE.
à la Meskhent des naissances et en somme à tous les dieux et lieux sacrés de sacrifice
et de renouveau. .
Les colonnes supportant le poutrage sont au nombre de deux, soit parce que, en
réalité, il en suffit de deux pour maintenir une seule poutrelle et ses cordes de sus-
pension, soit parce que les conventions du dessin en projection ne permettent pas
d’en voir quatre lorsqu’elles soutiennent un poutrage à claire-voie comme celui
d’une treille ou un plafond reposant sur ses quatre angles.
Dans ce second cas, les conditions de stabilité et de solidité de l’ensemble sont
résolues avec plus de perfection, étant donné le poids à porter du poutrage ou du
toit ajouté aux secousses imprimées à l’édifice tout entier par les chorégraphies
effrénées des fouleurs suspendus aux cordes. De plus on a vu que le nombre quatre
possède en pareil cas une signification que n’a pas au même degré le nombre deux
dans la question du Ded osirien considéré dans son rôle sustentateur d’un ciel quel-
conque. ,
Si dans certains cantons du Delta la viticulture l’a emporté sur les autres cultures
au point d’y faire prédominer en Osiris la fonction civilisatrice de vigneron divin
pendant qu 'ailleurs on exaltait davantage les vertus des céréales et de l’olive, cela
pourrait expliquer pourquoi en Haute-Egypte et au Nouvel Empire la diffusion des
procédés de la vinification a donné tant de ressemblance au pressoir à colonnes
dont la poutre maîtresse s’orne de pampres et de grappes comme aux tombeaux
de Nakht à Gournah et d’Àpouy à Deir el Médineh et au dais sous lequel trône Osiris
comme au tombeau de Sen-nedjem à Deir el Médineh (fig. 1 5 ) .
Le pressoir est l’échafaud du supplice osirien, à la fois gibet de torture où se
déroulent les phases de la passion et pavois de triomphe où se manifeste la gloire
de la résurrection.
Le dais triomphal d’Osiris est en effet conçu à l’image du pressoir. Son socle
Mâat rappelle la cuve du foulage, sa toiture est ornée de grappes de raisin formant
frise sous sa corniche de faîtage; souvent la nébride attachée au poteau de fête Sed
au-dessus du récipient Ousekh rappelle l’outre ched de pressurage du marc tandis
que les quatre génies mumiformes des canopes remplacent les cruches destinées à
recueillir le jus de la treille, sang d’Osiris.
Enfin et surtout, le toit du dais est soutenu par des colonnes que les conventions
du dessin réduisent au nombre deux, mais que la raison commande impérieusement
de porter au chiffre quatre. Elles ont fréquemment des chapiteaux papyriformes
comme chacune des piles du Ded sans toutefois présenter la disposition à quadruple
étage du primitif emblème osirien. Elles font mieux : elles expriment par la diversité
de leurs chapiteaux les quatre régions angulaires du royaume antique d’Osiris d’une
façon plus parlante que les quatre abaques semblables du Ded.
Ces chapiteaux composites qui n’ont certainement pas adopté une telle forme dans
un but purement décoratif, tout à fait contraire aux préceptes symboliques autant
123
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
qu’utilitaires de l’Egypte, comprennent en superposition, analogues à la superposi-
tion des chapiteaux du Ded, quatre fleurs qui sont chez Sen-nedjem, de haut en bas,
le papyrus, le lis, le lotus bleu et le lotus rose. Assez rarement les fleurs sont au
nombre de trois, ce qui peut être en mémoire des trois abaques du Ded à l’époque
Fig. 15. Tombe n° 1 : Dais triomphal d’Osiris.
des Pasteurs. Elles symboliseraient alors dans leur ordre de succession normal les
trois saisons de l’année.
Un rapprochement logique s’impose entre ces quatre fleurs du dais, symboles
géographiques et les quatre angles du ciel, les quatre points cardinaux, les quatre
fils d’Osiris et les quatre grands crus des vignobles d’Osiris mentionnés à Àbydos
et en d’autres sanctuaires Ù). Le pavois triomphal d’Osiris, parfois usurpe par
Horus comme au tombeau de Qaha à Deir el Médineh ^ ou par le Pharaon dans
O) ]\(. de Garris Davies, Tomb of Nakht , pl. IX, XXII, XXVI; Tomb of ISebamun, pl. XXX, of Puiemre,
pl . VIII : Tomb of Piiiemrè : I _ e,<: ^ , | g | g J== 1 | g C2 •
<»> Tombes n” 1 (Sen-nedjem), n° 1 0 (Kasa et Penboui), n” 36o (Qaha). B. Bruyère. Rapport de fouilles
Deir el Médineh 1 9 3oj pl. XXVIII et XXIX.
124
B. BRUYÈRE.
plusieurs tombes thébaines, ne laisse donc pas oublier sa primitive qualité d’instru-
ment de torture et la véritable destination de pressoir qui fut la sienne aux temps
reculés de la fortune viticole du Delta.
Entre ces colonnes du dais se drape un grand linceul rouge sang brodé d’une
résille de perles vertes et bleues et ce suaire a pour mission de voiler les affres de
1 agonie du dieu et les transformations secrètes qui préludent à sa résurrection.
Ces métamorphoses mystérieuses de la passion divine à l’abri du voile funèbre,
entre les colonnes du dais, évoquent le souvenir de celles qui se dissimulaient
aux regards profanes dans le secret du cercueil, lorsque celui-ci était enkisté
à 1 intérieur de 1 arbre fourchu qui l’avait recueilli sur les rives du Nil ou sur
la côte de Syrie.
Ainsi enfermé dans l’édifice de gloire, construit à l’image du pressoir, comme
il le fut jadis à l’aurore des siècles dans le végétal qui donna naissance au Ded; Osiris
occupe une position, se trouve dans une situation qui se pourrait traduire par une
expression condensée telle que : «celui qui est dans le Ded » f c’est-
à-dire entre les piliers du Ded.
C est ce que veulent rendre sensible les représentations du Ded dans lesquelles
deux yeux apparaissent sous 1 abaque supérieure du symbole et mieux encore dans
celles où le Ded se surmonte d’un visage bouffi de noyé ou de génie des eaux coiffé
de YAtef busirite tandis que deux bras sortent du tronc de l’arbre et tiennent en
mains soit deux ampoules sphériques de vin, soit deux vases Hès ou Qeb d’eau
du Nil, soit deux croix de vie, soit enfin le Heq et le Mes . , crosse pastorale
libyenne et fouet de berger, quand ce ne sont pas les signes Ouaz de la puis-
sance divine.
Les yeux qui s’ouvrent, première manifestation du retour à la vie, affirmation
horienne de la résurrection d’Osiris, font état de la présence réelle du cadavre à
l’intérieur du Ded aussi expressément que le chef couronné de YAtef et du diadème
Seshed, que les bras ornés de bracelets phylactères et que le corps vêtu de la robe
rouge à ceinture chtonienne et paré du collier Ousekh. Mais ces yeux se montrent
également sur la panse de l’urne funéraire Abedj d’Àbydos, reliquaire de la tête
divine car les restes sacrés ont été scellés comme un corps dans son tombeau ou comme
le Nil mort dans l’Abaton de Bigeh, dans un vase canopique de la même façon que
le vin nouveau sorti du pressoir est mis dans une amphore cordiforme fermée par
un bouchon d’argile. On en pourrait dire autant de l’huile Medjet des oliveraies
de Ganope, utilisée autrefois pour l’alimentation comme pour les onctions capillaires
et les rites d’embaumement W.
, 0) . Le ™ us ’ Venkmaler, t. II, pl. XLIX. Pressoir à huile et amphores à huile (Ancien Empire). L’huile
d olive surtout celle de Tehenou fabriquée de la sorte est comme celle de Canope, utilisée
a la fête osirienne de l’Ouaga.
125
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
Les procédés employés pour le traitement de l’olive étant à peu de chose près
les mêmes que pour celui du raisin, il n’est pas extraordinaire de constater
en bien des détails une fusion des deux industries dans leurs exploitations
mythologiques.
C’est ainsi qu’une relation hellénique de la légende du pilote Ménélas qu’on a
quelque raison de supposer transmise par une tradition de vieille date, confond
Osiris avec le dieu Canope W et le représente sous la forme d’une jarre ovoïde munie
de deux yeux, de deux jambes humaines et couronnée de YAtef.
Cet aspect particulier du dieu du pressoir aurait probablement entraîné l’aspect
donné à ses quatre fils transformés eux-mêmes en amphores de vin ou d’huile
bouchées par les têtes de babouin, d’homme, de faucon et de chacal.
Or le pressoir à raisin et à olive se complète toujours par un cellier, c’est-à-dire
une réunion de vaisseaux de terre cuite ou de pierre dure destinés à recueillir le
jus exprimé par le foulage et le pressurage. Les récipients du cellier seraient au
nombre fatidique de quatre pour avoir une valeur expressive et figurer ainsi les quatre
points cardinaux et leurs génies et de cette manière les quatre sortes de vins d’Anit,
de Mehit, d’IIamit et de Sin que les menus d’offrandes inscrits dans les tombes
et les temples comprennent de toute antiquité et qui, à l’époque thinite, portent
tous des noms d’Horus en rapport certain avec les quatre génies dans les listes des
crus pharaoniques.
Le cellier ou l’ensemble des cruches qui le composent s’appelle le Nemou : ^
nom générique de l’agencement, contenant et contenu, dans lequel la pluralité des
amphores n’a pas plus de sens que l’unité et peut se résumer à un seul vase symbole
qui en l’espèce désigne plus spécialement le récipient osirien que le total de ceux
des quatre fils du dieu.
Par ailleurs le nom de Nemou M i 3 - qui s’apparente à celui du nain Nemou
' — 'SA à la stature ramassée et contrefaite et aux jambes courtes et torses parti-
culières au Patèque memphite est en même temps l’appellation secondaire donnée
au Nouvel Empire à un personnage singulier qui apparaît dans les recensions thé-
baines du Livre des Morts et qui porte généralement le nom de Maded attribué au
pressoir : AfilMJ 1 * 1 -
A vrai dire, cet étrange personnage aurait fait une première apparition au temps
(1) W. Budge, Gods of Egyptians, 1. 1, p. 5o8 : Ptah-Tenen. Ce dieu est souvent représenté assis devant
un tour à potier façonnant l’œuf de la création. La forme ovoïde du vase Canope pourrait dériver de celle
de l’œuf qui renferme les êtres en formation.
(a) F. Hartmann, op. cit p. 172.
(3) Mariette, Denderah , IV, 33. Nemou encore appelé Seshemou serait le dieu des parfums (généralement
composés d’huile comme excipient ; il est mentionné dans les Textes des Pyramides sous lé nom de Seshe-
mou comme dieu du pressoir).
(4) Brugsch, Dictionnaire : Medched. W. Budge, Book of the Dead . — Papyrus d’Ani. — Papyrus de Neb-
seni. Hermann Grapow, Religiose Urkunden. Erste Heft n° note 5.
126
B. BRUYÈRE.
des Pyramides dans les textes de ces tombes royales car on voudrait le reconnaître
dans la divinité Maded dont le père serait Osiris et qui, à l’instar
de Kamoutef, se signale par cette épithète « Celle qui violente son père » mais avec
inversion des acteurs et de leurs rôles.
Si Osiris joue le rôle passif de souffrir par le Maded, on ne peut que voir là un
rappel de la torture du patient par le pressoir Maded.
Le Maded du Nouvel Empire est connu par cette définition : C’est un dieu invi-
sible dans la demeure d’ Osiris, allusion qui peut clairement indiquer une partie essen-
tielle de cette demeure rurale telle que le pressoir soutenu par les Ded dans lequel
le corps du dieu se dissimule.
Invisible, il darde son regard de flamme sur les ennemis de son hôte pour les anéantir
image que réalise parfois le Ded pourvu de deux yeux et qui attribue un rôle défen-
seur et vengeur à Horus, seconde vie d’Osiris.
Il erre dans le ciel, crachant le feu et, sans se dévoiler, annonce en son temps la crue du
Nil, assimilation à Sirius, messager avant-coureur du soleil brûlant du solstice d’été,
signal du réveil annuel du Nil à l’inondation, époque des vendanges en Basse-
EgypteW.
Il vit sur les bords d’un lac de feu, s’y repaît des cadavres et des cœurs des humains, phrase
un peu énigmatique qui pourrait se rapporter au pays originaire des nains Nemou
au bord des lacs du Nil blanc habité par des peuplades anthropophages. Son sens
mythologique reste incertain.
Il est le dévoreur des millions d’années ÏSbï'k Il vit dans le Iat qui est dans Anroutef,
gardé par la chambre secrète Shenit, son nom est Mades ^ \ ou Beba, il garde la porte
de V Amentit W.
Ce dernier paragraphe tiré du papyrus de Nebseni transforme légèrement le nom
du personnage, mais permet cependant de voir en lui le Maded qui, dévorant les
millénaires, s’identifie à Ptah-Tanen calculateur des panégyries sans nombre des
rois et j « grand des jubilés». En cela il est semblable à Osiris, maître des deux
éternités d’avant et d’après la vie présente.
Le Iat ^ lieu sacré c’est la tombe, l’omphalos abydénien, l’Abaton, le cellier
qui recèle l’urne funéraire. Anroutef et Shenit ^ sont des divi-
sions souterraines dans lesquelles s’opèrent les métamorphoses de la résurrection
comme dans les cavités utérines de Nout. Mades ou Maded est un surnom d’Elé-
phantine et Beba est le tourbillon de la cataracte.
f,) Les vendanges commençaient à la veille de l’inondation au mois d’Epiphi (juillet) et la fête de dresser
le Ded avait lieu en Basse Egypte au mois de Khoiak (novembre-décembre) époque à laquelle on disposait
les ceps en pergola.
(*) Cf. B. Bruyère, Rapport de fouilles à Deir el Médineh, 1934-1935. Remarques sur VAtef d’Aménophis I er ,
p. 183-189.
W A. Piànkoff, Egyptian Religion , vol. II, July 1934, n° 3 : La déesse CheniU
127
F 0 U 1 LEES DE DEIR EL MÉDINEH ( 1935 - 1940 ).
Les portes d’Amentit sont situées à l’entrée de la terre des mânes que la croyance
plaçait aux marches de Nubie. Tout cela donne tin ensemble de localisations assez
précises qui situent la patrie du Maded aux confins des territoires habités par les
nains Nemou ou Danga dont le personnage en question a l’aspect (1) .
Cet aspect curieux est celui d’une amphore ovoïde ou d’un omphalos en dôme,
cravaté ou ceinturé d’un lien d’étoffe rouge et muni de deux yeux et d’une paire
de jambes courtes.
Budge l’appelle le « Headsman of Osiris» ce qui atteste la présence de la tète
d’Osiris dans la jarre canopique, forme busirite du reliquaire, ou dans le Taour aby-
dénien. Maded est donc le réceptacle précieux des cendres d’Osiris W.
Sur les vignettes des papyrus funéraires le Maded voisine avec tout un aréopage
de dieux mumiformes assis sur la natte Hotep qui sont : Àpopi à tête de serpent,
Harmakhis bicéphale, Horus de Létopolis, Thot, Neferatoum, Seped; ces dieux
armés de couteaux résument les ennéades qui sont dans l Amenli, les dieux de la Douât
dans la terre de la double Vérité Manou.
D’autres vignettes et d’autres textes remplacent ces divinités par les suivants
d’Horus et plus souvent, ce qui présente pour ce sujet une grande importance, par
les quatre génies fils d’Osiris, génies des canopes, gardes des points cardinaux et
représentants des quatre crus du cellier.
Quant au Maded, il prend parfois la tête d’un lion, d’un taureau, d’un faucon
Hor-khent-irti et se prétend Horus ou Anubis, toutes transformations et désigna-
tions qui précisent en syncrétisme, des assimilations relatives à la résurrection
d’Osiris.
Il est possible que l’étrange personnage soit comme beaucoup de ses pareils né
d’un jeu de mots signifiant, avons-nous dit, celui qui est dans le Ded. Imy-Ded f
ou en d’autres termes, celui qui est dans le pressoir et encore dans le cellier.
i» A. Moret, Mystères égyptiens, p. 1-102. Rois et dieux d’Egypte; Im passion d’Osiris, p. 77-106. Le
Maded s’apparente au Tikenou, au Khonsou aniconique par l'aspect et la nature comme l’outre out ou
ched s’apparente à l’amnyos. D . . ,
<«> W. Budge, Gods of Egy plions. Medchet. G. Daressï (Annales, 1917, p. 100, colonne) Rituel des
offrandes à Amenhotep /", chapitre de la salutation avec le vase nemset redonne au roi
sa tête (£=!•■). Ce vase est une amphore canopique analogue à celle qui renferme la tête d Osiris
à Abydos. Le rapprochement de ce rite avec le Maded s’impose logiquement comme aussi avec le nemes
, — ■ÿp’T , claft abritant la tête d’Osiris. „
Dans ce même rituel (p. 109, 8 col., 1 . 3 , 4 ) on lit : • • J. JUu e 1 1 iïl ' ‘ ’ < r * S
sant ton pilier?» (en suggérant la lecture : I \\ * \ pilier, colonne où le corp_sjI’Osms£embrancha
à Byblos). Gardiner (. Papyrus Chester Beatty , IX, p. 88, pl. 5 a) donne : ^ J, u» e 1 î 1/^
P Pour la liste des dons de Noun, 1 eau Medet (forme tardive de mntU) est
accompagnée de l’eau Mensa et de l’eau rouge. Te
Enfin le chapitre î est celui de la présentation du vin provenant d’une vigne d Aménhotep e î
célèbre le Nil Hapi. On peut y voir un rapprochement entre le Nil : Osiris-Hapi et le pressoir.
128
B. BRUYÈRE.
En résumé, qu’il s’agisse de la fabrication du pain, du vin, de l’huile (*) ou même
de la bière, le culte osirien, base des autres cultes, comporte une série d’opérations
subies par la matière première produite par l’agriculture et s’inspire en définitive
du sacrifice agraire des débuts de la civilisation.
C’est pourquoi le dais triomphal d’Osiris au Nouvel Empire peut être considéré
comme la survivance de l’antique pressoir soutenu par les piliers Ded tandis que le
bizarre dieu Maded, autre manifestation de la vie rurale, rappelle l’amphore du cellier
busirite ou canopique de Basse Egypte aux temps les plus reculés de l’histoire ( 2 L
ll) Pour les rapports d’.Osiris et de la culture de l’olivier, comme de la fabrication de l’huile, il est bon
de rappeler qu’en Àbydos, Osiris Khentainenti est appelé «celui qui est sous son olivier». L’olivier :
P se ^ auss i : 2 Z\ e J ce qui favoriserait encore le jeu de mots Imy-Ded Dans la
tombe n° 9 de Ramsès IV à la Vallée des Rois, la déesse' Mert Seger porte cette épithète : J
. Cf. B. Bruyère, Mert Seger à Deir el Médineh, t. II, p. 2 56 et fig. 128.
Enfin à Médinet Habou-Temple de Ramsès III, 2 e chapelle du Nord. Ptah et Hathor sont appelés
(!) Ph. Virey, Recueil de Travaux, t. XX, p. ai 6, La tombe des vignes. — La Religion dans l’ancienne
Egypte* P- 166,
NOTE 15
MANTEAU MACÉDONIEN
Le long himation athénien et le court tribonion dorien qui sont les deux variantes
du manteau dit «macédonien» habillent un certain nombre de statues de rois et
de particuliers de l’époque gréco-romaine rassemblées dans les musées du Caire et
d’Alexandrie. Au Louvre, C. Boreux signale ce vêtement sur les statues de Psimonth
et d’un prêtre du dieu Mahès W e t ajoute qu’on ne le rencontre dans la statuaire
égyptienne qu’à partir de l’époque ptolémaïque. Comme pour confirmer cette opi-
nion, on trouve à Deir el Médineh, sur la paroi nord de la chapelle méridionale du
temple ptolémaïque, paroi consacrée au mythe de Sokaris, le dieu Anubis, revêtu
d’un manteau à bords crénelés et frangés, recevant à l’occident le soleil mort sous
forme d’un disque rouge (fig. 16).
Le dieu psychopompe qui personnifie le mystère du retour à la vie par la magie
de l’embaumement osirien et de la résurrection horienne porte cet étrange costume
qu’on n’a point accoutumé de lui voir en aucun temps de la civilisation égyptienne.
Derrière lui, symbolisant les phases miraculeuses du mythe, la barque Hennou
de Sokaris et l’enseigne de Neferatoum d’Horbeit complètent et ferment, avec le
geste d’ Anubis, le cycle des transformations solaires.
Or, qu est cet himation soi-disant «macédonien» dont se pare le dieu loup et
pourquoi justement Anubis endosse-t-il, peut-être pour la première fois dans l’his-
toire de la religion, cet habillement insolite et en apparence hors de propos avec
le rôle joué par lui dans le scénario de la résurrection?
Est-ce seulement par une concession aux modes vestimentaires du moment que
1 acteur principal du grand drame a pris ce déguisement emprunté aux figurants
des Lupercales d’Alexandrie?
Ce serait méconnaître le traditionalisme égyptien plus fort que les courants oppor-
tunistes d’hellénisation et oublier que rien n’est arbitraire dans les expressions
artistiques de la pensée; mais qu’au contraire l’asservissement au but utilitaire
est une loi constante ne souffrant aucune exception. Il importe donc de savoir pour
quel motif d’ordre religieux apparaît ce manteau sur Anubis et dans une action
bien déterminée par les rites.
(l> C. Boreux, Antiquités égyptiennes; Catalogue guide du Musée du Louvre 9 t. II, p. 397, 462, pl. LIII.
*7
130
B. BRUYÈRE.
Fig. 16 . Temple de Deir el Médineh : Anubis vêtu du manteau macédonien.
En un mot, il faut remonter le cours des âges pour constater si un semblable vête-
ment ne se montre pas avec un caractère nettement égyptien sur le dos d’autres
personnages soit divins soit humains et en quelles circonstances particulières cette
pièce capitale du trousseau est sortie de la garde-robe.
Et d’abord cet himation grec n’est à tout prendre qu’un grand voile rectangulaire
dont deux ou quatre bords sont ornés d’une frange ou de créneaux. C’est le châle
chaldéen des statues sumériennes de Goudéa, de Tello et d’autres lieux, celui des
131
POUILLES DE DEIR EL MÉDlNEH (1935-1940).
bas-reliefs hittites de Iasili-Kaia, d’Euyuck, etc., celui qu’on remarque en Syrie,
en Phénicie, en somme dans toute la partie orientale du bassin méditerranéen 0).
Il change seulement de nom mais conserve sa forme générale et son mode d’emploi.
Il serait donc surprenant que l’Egypte n’ait point adopté un genre de vêture si
pratiquement adapté aux conditions de climat qui sont sensiblement les mêmes dans
tout l’Orient.
Maspero nous apprend que l’Égyptien se sert d’une grande couverture unie ou
velue, drapée transversalement sur l’épaule gauche, quand il veut sortir et qu’il la
dépouille quand en cesse le besoin, pour la rouler autour des hanches, ou en ban-
doulière ou enfin au bout de son bâton de marche é 2 ). Chacun, homme ou femme
possède cette pièce essentielle de lingerie et si elle n’est pas souvent figurée en sta-
tuaire, en bas-relief et en peinture, c’est, dit-il, que les artistes égyptiens ont éprouvé
des difficultés à rendre son drapé et que d’autre part son usage n’était pas indiqué
dans les scènes religieuses, civiles et militaires qu’ils avaient à exprimer. Il appuie
son opinion en citant quelques figurations sculpturales et pariétales, ces dernières
moins rares que les premières, surtout à l’époque des mastabas et celles-ci, très peu
nombreuses, se bornant, sauf la statuette en bois d’un homme debout de la IV e dy-
nastie, à deux ou trois exemples de particuliers assis sur un siège cubique ou, à
l’orientale, sur le sol comme le Khiti de la XII e dynastie.
G. JéquierW donne d’après les Pyramidentexte de K. Sethe et les Sarcophages
antérieurs au Nouvel Empire le nom du manteau égyptien et sa forme idéographique
dans l’écriture.
Le mot Souh p ^ |, qui le désigne dès la plus haute antiquité, caractérise son rôle
d’enveloppe sans donner par son déterminatif ou son sens spécial une précision de
forme ou de matière. Le mot Sindôn qui, au dire d’Hérodote, servait aux Grecs
d’Egypte à désigner le châle de lin ou de laine utilisé comme manteau, serait dérivé
du mot Shendout cro V /^\ °u Shendit qui s’appliquait aussi bien au pagne qu’à
toute pièce de lingerie, y compris le voile, le linceul et le manteau Eé.
La question de longueur de l’étoffe n’entre donc pas en jeu et a priori, il ne doit
pas exister de différence d’appellation ou d’affectation entre le long himation et le
(1) Maspero, Histoire des peuples de V Orient, t. I, p. 56, 6i3 ; Heuzey, Découvertes en Chaldée ; Clercq,
Catalogue méthodique et raisonné ; Cari. Franck, Künstgeschickte in Bildem, Heft II, p. U 1 , 44, 45 ; Ed. Pottier,
Douris et les peintres de vases grecs.
(2) Maspero, Histoire, t. I, p. 55, 56.
G. Jequier, Frises d’ Objets. ..,p. 2 4, 26 . Le manteau P^fip^jj^^Pf : Matériaux pour servir
à Rétablissement d’un dictionnaire d’archéologie égyptienne, p. 5. Mariette, Abydos, I, pl. XLIV. Sethi revêt
Amon du manteau - — >.
(4) Maspero, Histoire , t. I, p. 56, figure. Le Musée du Caire possède deux petites statuettes en bois
peint de o m. 2 5 environ de hauteur provenant de Meir et représentant deux hommes enveloppés dans
un manteau à bords frangés qui ne laisse apparaître que la tête ; le reste du corps est emmailloté comme
un enfant dans ses langes.
* 7 -
132
B. BRUYÈRE.
court tribonion, c’est-à-dire entre le manteau égyptien arrêté au genou et celui qui
descend à la chevdle, quoique le qualificatif^ ^ — ou J— appliqué à un
ensemble de vêtements puisse être rapproché du manteau long ^ que Sethi I»
drape sur la statue d’Amon-Min à Abydos (Abydos : Mariette, I, pl. XLIV).
Les fouilles du cimetière de l’est à Deir el Médineh ont fait retrouver en i 9 33-
i 9 34 dans les tombes inviolées d’une quinzaines d’hommes et de femmes de classe
laborieuse une série de grands châles de lin à
bords frangés qui avaient pu généralement être
employés en guise de manteaux et une curieuse
pièce de lingerie en lin dont une face était toute
feutree de touffes de longs poils comme un
châle de Kaunakès sumérien (B.
Presque à la même époque fut trouvée dé-
capitée et très mutilée dans une autre tombe
de la XVIII e dynastie une petite statuette en
calcaire d’un homme anonyme assis habillé d’un
manteau à bords frangés cachant f épaule et
le bras gauches et lombant jusqu’aux chevilles
(fig. 17).
Ce particulier qui certainement devait ap-
partenir à la troupe des ouvriers travaillant
dans les nécropoles royales, avait une per-
ruque crépue réalisée par cinq zones concen-
triques d’imbrications en forme de tuiles, détail
de valeur ethnographique plus que mytholo-
gique. La datation de cette modeste statuette
n offrait aucun doute et devait être fixée au
Statuette XVIII ' 7 dynastie : début du Nouvel Empire bien que la similitude
homme vêtu d’un manteau. de vêture entre elle et l’Anubis du temple ptolé-
maïque s’ajoutant au fait que Deir el Médineh
fut reoccupé à la période gréco-romaine par le personnel religieux et laïque du
temple d Hathor pouvaient jusqu’à un certain point faire pencher la balance en faveur
de l’âge le plus récent.
En dehors des questions de facture, de matière et de site, il existait assez
d exemples de statues à manteau dans l’art égyptien pour que l’attribution à la
XVIII e dynastie ne présentât aucune invraisemblance.
Sans parler des monuments d’époque ptolémqïque dont le caractère purement
égyptien se trouve surpassé par 1 influence hellénisante du moment et qui, dans ce
<‘> B. Bruyère, Rapport de fouilles à Deir el Médineh t 9 33-ig3â, a* partie, Cimetière de l’est,
fig. 3 1 , n° 5 .
133
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
cas, auraient pu servir d’arguments pour la thèse contraire, on connaît un certain
nombre de rondes bosses d’époques antérieures habillées de la sorte et elles appar-
tiennent surtout à l’Ancien et au Moyen Empires.
Entre autres statues, on peut citer celles de plusieurs particuliers du Moyen Empire
et de l’époque intermédiaire qui, sauf Khiti assis à l’orientale, siègent sur des
tabourets à court dossier analogues aux trônes des fêtes Sed. Ces hommes ont l’épaule
et le bras gauches cachés par le manteau qui leur couvre aussi les jambes. Les mains
vides se posent à plat sur la poitrine et la cuisse ou tiennent le bord du manteau.
Les perruques sont très variées.
De l’Ancien Empire on ne mentionne que deux statues royales, celle de Khasekhem
trouvée par Quibell A e t celle de Zoser découverte par Firth
Khasekhem dissimule son bras gauche et il se coiffe de la Tiare blanche de Haute-
Egypte. Zoser, par une exception qui vaut d’être signalée, cache au contraire son
bras droit et il ne sort que le poing appuyé sur le cœur; sa main gauche s’allonge
ouverte sur le genou. Sa coiffure est aussi très significative. Elle se compose de la
perruque osirienne à deux lourdes mèches demi cylindriques encadrant le visage,
couverte par le Claft ou Nemes d’Horus qui, en sa forme non parvenue au stade défi-
nitif de stylisation, est la première manifestation connue de ce genre de coiffure.
Malgré la différence très marquée qui la sépare de ces deux effigies royales, il faut
citer au Moyen Empire la statue de Menthouhotep en costume d apothéose ainsi
que le désigne Maspero ( 3) . Assis sur un dé cubique, ce roi, dont les chairs sont
colorées en noir, est coiffé de la couronne rouge de Basse-Egypte et habillé d un
manteau court arrêté au genou cachant ses bras croisés sur la poitrine et ne laissant
voir que les deux poings fermés et vides.
Si l’on insiste sur le chapitre des coiffures et des attitudes, c est que ces détails
importants sont en relation directe comme on le verra par la suite avec 1 habillement
du sujet.
Il appert de l’incomplète énumération d’exemples significatifs ci-dessus que toutes
les époques de l’histoire et toutes les classes de la société ont connu en statuaire
l’usage du manteau^. Une constatation identique peut aisément etre faite dans le
bas-relief et la peinture depuis les palettes archaïques, les décorations des mastabas
jusqu’aux fresques des tombes du Nouvel Empire et de la Basse Époque. Les pan-
neaux de bois de Hesi, les reliefs de Tetinankh, pris entre cent autres, montrent
le manteau attaché sur l’épaule gauche par deux liens noues ensemble. Mais ces
Quibell, Hieraconpolis ; Schaefer, Künstgeschichie in Bildern, T, p. 2 3 , n ü 10 ; Maspero, Ars Una, p. 77’
fig. 1 35 . TT TV
<*) J. P. Lauer, La Pyramide à degrés, pl. XXIV; Firth et Quibell, Annales du Serv. de* Antiq.,^AS , pl. III, IV.
Maspero, Ars Una , p. 116, fig. 208.
( 4 ) Maspero, Histoire , t. I, p. â5o, kok ; C. Boreux, Catalogue- Guide, II, p. 619 , pl. LXXX, statuette
de femme debout drapée dans un manteau (époque predynastique).
18
134
B. BRUYÈRE.
scenes memphites encore restreintes à des expressions réalistes de la vie matérielle
ne mettent pas en évidence la signification ésotérique du port rituel du châle enve-
loppeur.
C est dans les tableaux religieux gravés sur les parois des temples, sur les têtes
de massue d Ilieraconpolis et aussi dans les vignettes d-e papyrus funéraires et les
peintures murales des sépultures, quand la spiritualité des. préoccupations de la
survie l’emporte sur la primitive matérialité de ces soucis, qu’il convient de chercher
le véritable sens mythologique d’un costume et les raisons qui le font porter plutôt
qu’un autre. Peut-être alors se rendra-t-on-compte que l’avis de Maspero sur la
rareté de cet accoutrement, motivée par une incapacité artistique d’expression, était
au moins péjoratif puisque les artistes égyptiens ont su vaincre les difficultés bien
plus considérables dans le rendu du plissé des étoffes. De même adméttra-t-on sans
doute qu’il se trompait en affirmant que l’usage du manteau n’étant pas indiqué
dans les scènes religieuses, civiles et militaires, n’avait pas de raison de tenter le
ciseau ou le pinceau.
Le but utilitaire et l'immixtion de la religion dans toute manifestation d’art s’im-
posent, quoi qu’on fasse, lorsqu’on examine de près chacune des réalisations égyp-
tiennes, même celles qui se limitent à une destination usuelle de la vie domestique.
A f ortum s affirment-ils quand il s’agit d’objets relatifs aux conceptions funéraires
comme les statues de doubles et les ameublements et décorations de sanctuaires
et de tombeaux.
Parce que le manteau aurait pu masquer les caractères signalétiques de classe
ou de fonction d’un individu, lui assigner dans la ronde bosse ou le bas-relief une
part inférieure aux autres pièces du trousseau ou encore supposer que ses rares
apparitions relèvent uniquement de la fantaisie du lapicide et de la préférence
indiquée par le modèle, ne sauraient en aucune façon concorder avec la mentalité
bien connue des Égyptiens. Les conventions sociales et les contingences mytholo-
giques dictent leurs lois intransgressibles par une tradition immuable.
Que voyons -nous sur la tête de massue d’Hiéraconpolis, sur les bas reliefs du
temple de Sahourè, sur ceux du temple d’Osorkon à Bubastis? Le pharaon en sa
fête jubilaire, revêtu d’un manteau d’intronisation qui l’enveloppe soit jusqu’aux
genoux comme sur la statue de Menthouhotep, soit jusqu’à la cheville comme sur les
statues de Khasekhem et de Zoser.
Monté sur 1 estrade du kiosque de Heb-Sed à deux escaliers, celui du Nord et celui
du Sud, semblable à celle qui à Saqqarah précède à l’est la pyramide à degrés, le
roi siège sur le dé cubique ou le trône à court dossier que le signe hiéroglyphique
des panégyries jjf interprète en rendant le côte à côte par le dos à dos. Suivant
1 ordre de la cérémonie, il ceint tour à tour la couronne rouge de Basse-Egypte comme
Menthouhotep lorsqu’il prend place sur le trône du Nord et la tiare blanche de
Haute-Egypte, comme Khasekhem lorsqu’il occupe celui du sud. Ainsi les deux pôles
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEIt (1935-1940). 135
d’unification du royaume d’Osiris : Memphis et Abydos se trouvent associés figura-
tivement.
Aucun détail de la scène de couronnement ou d’anniversaire n’étant laissé à l’ar-
bitraire, le manteau prend ici une valeur significative indiscutable. Mais ce rite du
renouvellement de la vie du Ka est en même temps un rite funéraire que la démo-
cratisation des privilèges royaux étendra par la suite en descendant de classe en
classe à tous les échelons de la population. C’est pourquoi au Nouvel Empire les
tombes thébaines nous font assister à ce mystère de rénovation du fluide vital chez
les simples particuliers par l’entremise du Tikenou drapé dans un manteau et souvent
assis à l’orientale comme la statue de Khiti.
A. Moret pense avec juste raison que si le Tikenou ne se révèle que tardive-
ment dans les coutumes de l’aristocratie et de la plèbe, il n’en existe pas moins
depuis les temps les plus reculés et les exemples royaux de la fête Sed en sont la
preuve f ') .
Dans quelques tombes de Deir el Médineh, les ouvriers des nécropoles pharao-
niques accordent une place importante de la décoration à ce tableau dü Tikenou
jouant son rôle capital dans le scénario des funérailles. Habillé du manteau, il pré-
cède la Bari funèbre analogue par définition à la barque Hennou de Sokar et il est
escorté du Kher-heb et du Sam qui se partagent dans les obsèques les fonctions
d’Anubis dans le mythe osirien.
Dans ces tombes, les caveaux voûtés ornés de peintures admettent généralement
une division des parois qui destine la paroi nord à ce mythe osirien, la paroi ouest,
un des deux murs de têtes et phase de transition , est souvent consacrée à la résur-
rection de la momie par Anubis quand elle ne représente pas Osiris et Ptah assis
dos à dos comme sur l’estrade de Heb-Sed; la paroi sud appartient à Ptah, créateur
de la seconde vie, ou à Horus, récipiendaire de cette seconde existence d’Osiris.
Parfois le fronton des stèles funéraires reproduit ce même dualisme Osiris-Ptah
trônant sous le kiosque des jubilés. Or ces dieux sont enveloppés l’un et l’autre
dans un suaire qui, en somme, n’est pas autre chose qu’un châle comme l’himation
et qui copie exactement l’enroulement de bandelettes et de linceuls alterné des
momies.
Sokar, participant à la fois du cadavre d’Osiris et du corps ressuscité d’Horus
(à tête de faucon), est la personnification de ce stade de transition et pour ce
motif Ptah-Sokar-Osiris prend souvent figure d’un faucon couché enveloppé
O) À. Moret, Mystères égyptiens, p. 53, fig. î 7 . On n’en peut voir de meilleur exemple que le magnifique
linteau de Senouserl trouvé à Médamoud par F. Bisson de la Roque (Musée du Caire, n° 56497 ) où
le roi vêtu du manteau et coiffé tour à tour des couronnes rouges et blanches reçoit les crosses jubilaires
des mains d’Horus et de Seth. F. Bisson de la Roque, Rapport de fouilles à Médamoud, 19 , figure.
Linteau de fête Sed de Senousret II; Maspero, Àrs Una, p. 3, fig. 5; H. Schaefer, Künstgeschichte in
Bildern, I, p. 16 , n° 1 ; Musée Egyptien, II, p. 77 , 84, 90 . Bas-relief de Zanefer.
136 B. BRUYÈRE.
dans un suaire, identique par fonction au manteau du Tikenou et des fêtes
jubilaires.
La statue de Zoser trouvée dans le Hat-Ka-Ptah de Saqqarah symbolise par son
vêtement et surtout par sa double coiffure cet état intermédiaire entre Osiris et
Ilorus auquel on donne le nom de Sokar.
Et l’on trouve dans le collier symbolique des prêtres Sam de Memphis la même
expression idéographique par la réunion des deux silhouettes de faucon et de chacal
(ou de loup) car le Sam n’est que le substitut d’Anubis dans l’opération magique
de la transmutation Osiris-Sokar-Ptah.
C’est précisément en sa qualité de Sam ou d’Ioun-mout-ef qu’Anubis, déguisé
en Tikenou, avec le manteau dit « macédonien» reçoit dans la chapelle méridionale
du temple de Deir el Médineh, le corps, c’est-à-dire le disque solaire assimilé au
cadavre d’Osiris, eh avant du Hennou de Sokar.
Anubis, enveloppé dans ce manteau, accomplit de ses mains les passes de magie
qui redonneront la vie au soleil de demain et transformeront Osiris-Rè en Rè-Har-
makhis.
Par son truchement, la mort traverse la nébride Shed dans le mystère de cette
« renaissance par la peau » où Anubis personnifie l’enveloppe Out ou le voile Daout
fait par Horus pour son père Osiris, dont celui-ci et tous les morts avec lui sont
revêtus.
Pour conclure, le soi-disant manteau macédonien d’Anubis au temple de Deir
el Médineh ne doit pas être considéré comme une variante vestimentaire inspirée
par la mode hellénique pas plus que le manteau frangé égyptien porté par certaines
statues antérieures à l’époque gréco-romaine ne doit l’être comme un arbitraire
habillement civil sans signification.
De l’ère ptolémaïque W jusqu’aux temps des premières dynasties, c’est un cos-
tume rituel précisant un état métaphysique comme la toga praetexta des jeunes ro-
mains prénubiles cachait la proche éclosion de la virilité. Il s'identifie à la chappe
du Tikenou, à la nébride anubienne, à la robe de Heb-Sed et à la gaine d’Osiris
et de Ptah. Sous des formes et des noms différents, c’est toujours un châle, un voile,
un suaire, un linceul à l’abri duquel s’élabore le miracle du réenfantement à la nou-
velle vie. Quelles qu’en soient les dimensions, puisque la couffieh Nemes est elle-
même définie par les textes comme semblable à la nébride pour son rôle, cette
enveloppe donne à la statue de Ka ou à l’effigie qui en est revêtue une spécification
religieuse d’espoir de résurrection.
(,) Cf. Bruyère, Rapport îgBô-igào, fragment de stèle ptolémaïque (21 3 ), fig. 91, fasc. II.
Stèle à Osiris Khentamenti par Ankh-Hor vêtu d’un manteau macédonien. Maspero, An Una,
p. 2 56 - 257 ., %• 483, 484, 486; p. 123 , fig. 2 2 5 ; p. 177, fig. 209 ; p. 116, fig. 208, p. 77 ;
fig. i35.
137
POUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
Et le bas-relief du temple de Deir el Médineh, tout en rappelant la part primordiale
dévolue à Anubis dès l’aube de la civilisation dans les mystères de la vie et de la mort,
nous donne l’explication du port du manteau par les rois et les particuliers dans la
statuaire de toutes les époques.
Nous lui devons aussi de pouvoir établir un rapport mythologique direct entre
ce manteau et le dogme de Sokaris qui dut avoir à l’origine une influence détermi-
nante sur les usages et coutumes en ce qui concerne le cérémonial jubilaire et funé-
raire.
NOTE 16
SUR LE DIEU CHED, À PROPOS DE QUELQUES MONUMENTS NOUVEAUX
TROUVÉS À DEIR EL MÉDINEH EN 1939
Jusqu’à la communication sur le dieu Ched et sur l’évolution de son culte dans
l’ancienne Egypte faite par le Professeur G. Loukianolf le 9 mars 1981 à l’Institut
d’Egypte U), peu de savants avaient eu l’occasion d’émettre une opinion sur ce sujet.
Les monuments représentant ou mentionnant cette divinité de second plan étaient
rares; l’identification de Ched comme personnalité propre restait incertaine malgré
les travaux de Maspero, de Moret, d Erman et de Daressy Les avis diffèrent encore
sur l’origine raciale qu’il convient de lui attribuer en tenant compte de sa morpho-
logie, de la structure philologique de son nom, de la parenté divine dont il se réclame,
du temps et du lieu de son apparition. Quatre hypothèses principales ont été
proposées qui peuvent se résumer ainsi :
Fabretti, Rossi et Lanzone, dans le Catalogue du Musée de Turin, font de lui un
prince éthiopien^. En l’absence d’autres monuments connus de Ched, ils n’ont
pu voir en lui un dieu et leur confusion s’explique; mais il reste qu’ils lui donnaient
une extraction étrangère,^ sud-africaine ou plutôt le faisaient compatriote de Bès
dans le pays de Pount.
- Lanzone, dans son Dizionario di Mitologia W, ne lui reconnaît pas non plus la qualité
divine et voit en lui un prince asiatique, sans doute en raison des caractères morpho-
logiques de la représentation de l’amulette n° 1A72 de Turin et des lacunes de son
texte d’accompagnement.
Maspero, dans son Histoire des peuples de l’Orient (t. I, p. 85 ), cite parmi les dieux
(,) G- Loukianoff, Bulletin de l'Institut d’Egypte, t. XIII, p. 67. Stèle du dieu Ched. Evolution 'de son culte
dans l ancienne Egypte, t. XXI, p. 2 5 g. Grande stèle magique du dieu Hor-Ched au Musée national
d’Athènes.
(S ' G. Maspf.ro, Etudes de mythologie et d’archéologie égyptiennes, t. I, II; Histoire des peuples de l’Orient
classique, t. I, p. 85 ; Recueil de Travaux, t. XV, p. 85 ; A. Moret, Revue de l’Histoire des Religions : Horus
sauveur (LXXTI, »g 25 , p..ai 3 ); W. Golenischeff, Die Mettemich Stele, pi. IV, 1 . 100-125, i 6 5 - 1 66 ;
A. Erman, La Religion égyptienne, p. 297; Denksteine aus der thebanischen Graberstadt, p. 1091-1105 (le
mot Ched) ; G. Daressy, Textes et dessins magiques du musée du Caire (Amulette 9427),; Annales du Service
des Antiquités, t. X\I, p. 175; Stele du dieu Ched, t. X\ III , p. 1 1 3 - 1 5 8 . Statue de Zedher le sauveur.
Fabretti,. R»ssi, Lanzone, Catalogo del regio museo di Torino, p. 127.
Lanzone, Dizionario di mitologia egiziana, vol. I, p. 287, tav. CXIV (n° 1472). •
FOUILLES DE DE lit EL MÉDINEH (1935-194*0). 139
importés en Egypte, le libyen Shehahidi, dans lequel il faut reconnaître, sous ce
nom vocalisé, le petit dieu Ched; mais il ne donne aucun motif permettant d’accré-
diter une telle nationalité.
Erman, dans Religion égyptienne et Moret, dans Horus sauveur (U, assimilent
Ched au dieu égyptien Shou et le considèrent comme une variante autochtone
d’Onouris.
Enfin, Loukianolf, dans ses deux communications à l’Institut d’Egypte, reprend
la thèse de Lanzone au point de vue ethnique et, l’appuyant de considérations éty-
mologiques, ethnographiques et morphologiques, en arrive à conclure que Ched est
un dieu d’importation sémitique. Au point de vue de l’évolution de son culte en
Egypte, il admet quatre principales divisions chronologiques allant du début du
Nouvel Empire thébain jusqu’à l’époque des premiers siècles de notre ère, passant
de l’Horus de Chemmis «sauveur» au Christ charmeur de bêtes nuisibles. Son
argumentation peut se résumer en ces quelques traits :
«Pour l’aspect extérieur, Ched, doté d’un faciès sémitique sur la stèle donnée
par Loukianolf au musée de Berlin (n° 22986), porte au front, en place de l’uraeus
frontal des dieux égyptiens, la tête de gazelle des dieux asiatiques Reshep, Makal,
Soutekh et se revêt parfois de bandelettes entre-croisées autour du torse à l’instar
des naturels d’Asie Mineure. Il est souvent accompagné par une gazelle.
«Pour l’onomastique, le mot ched ne prend le sens de «sauveur, protecteur»
qu’à partir du Moyen Empire et, dans ce sens, s’apparente et même dérive du qua-
lificatif sémitique chadai appliqué au dieu El des nomades préisraélites et aux puis-
sants dieux des Phéniciens.
« Enfin, dès son apparition, Ched affirme sa. filiation avec Ptah et Isis et son assi-
milation à Shou, Horus et Rè; caractères d’égyptianisation progressive ou spontanée
annihilant par lente évolution ou d’un seul coup ses signes d’exotisme».
Telles sont les apparences de preuves invoquées en faveur de la théorie qui clas-
serait Ched parmi les membres étrangers du panthéon égyptien ayant acquis leur
naturalisation à une date historique relativement récente par rapport à l’élaboration
des mythes fondamentaux de la religion.
Cet exposé aurait pu avantageusement tirer argument de l’importante identifica-
tion établie dès la XVIII e dynastie de Ched à Harsiesis, puis de celui-ci à Harmakhis
et enfin de ce dernier à Hourouna, qui, en définitive, se traduisit par l’équation :
Ched-Hourouna, sur laquelle nous reviendrons plus loin et qui témoignerait indu-
bitablement pour la provenance asiatique de Ched.
Considérant d’une part que le mot ched existait avant le Moyen Empire avec des
acceptions diverses et admettant qu’il ait pris la signification «sauveur» seulement
{l) A.. Moret, Horus sauveur , p t 2 85.
140
B. BRUYÈRE.
à cette époque; d’autre part que les premières manifestations du culte de ce dieu
nouveau se soient produites au début du Nouvel Empire et par conséquent dans
une ambiance essentiellement thébaine et toute proche, dans le temps, de celie-où
le mot « ched » acquit le sens qui nous occupe, l’idée d’une concordance historique
possible s imposerait à l’esprit, semble-t-il, entre ces deux faits attestant, par l’appli-
cation d’une innovation linguistique à un sujet récemment créé, l’apparition d’une
entité divine, jusqu’alors inconnue.
Le milieu originaire du néologisme se confondant avec celui du premier témoignage
cultuel et apportant l’appui effectif de sa coïncidence avec l’indice de datation, pré-
sente par ailleurs un intérêt qui peut avoir pour la question de la nationalité de
Ched une valeur déterminante.
Puisqu’il est notoire que Ched, personnalité divine, indépendante du parrainage
de Shou, de Thot ou de tout autre dieu ayant porté avant lui le surnom de «sauveur»
ne prend pas rang parmi les puissances célestes primordiales et doit son élévation
à une époque relativement récente, il paraît logique de supposer a priori que ce
n’est pas sans motif qu’il a surgi à un moment déterminé de l’histoire et en un point
précis du territoire égyptien.
t Cest dautant plus nécessaire de rechercher la localisation dans le temps et dans
1 espace, que de cette condition d’existence peuvent découler la constitution phy-
sique et le complexe moral de son individualité.
Trois sources d’accroissement du personnel divin peuvent séparément ou par
conjugaison, de façon simultanée ou consécutive, entrer en action pour provoquer
la naissance d’un nouveau personnage de la cour céleste. Tantôt l’exégèse des mythes
fondamentaux conduit une école théologique à combler une lacune ou à marquer
un stade d évolution opportuniste dans un système philosophique toujours suscep-
tible de perfectionnement. Tantôt la ferveur ou la superstition populaire éprouve
le besoin de matérialiser une aspiration née d’un besoin purement accidentel et
restreint à une collectivité particulière. Tantôt enfin une invasion étrangère ou une
excursion territoriale pacifique ou guerrière hors d’Egypte introduit un membre
d une mythologie exotique et lui octroie un brevet de naturalisation.
II s ensuit que la naissance, l’existence, la nature, le rôle et la durée de toute
acquisition nouvelle dans le domaine religieux, se trouvent conditionnés par des
raisons d’opportunité qui peuvent se borner à satisfaire l’intérêt occasionnel d’un
élément de la population ou au contraire s’étendre à répondre à une nécessité vitale
de la nation tout entière.
A. Moret constate à propos de la multiplication des stèles magiques d’Horus sur
les crocodiles à l’époque saïte et au moment des invasions d’Ethiopie et de Perse,
que toute innovation mythologique est beaucoup moins le fruit des savantes médi-
tations des collèges sacerdotaux que le résultat, parfois subit, d’une convulsion
politique affectant la totalité du pays et suscitant dans la plèbe un courant de dévo-
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940). 141
tion vers une puissance divine ancienne ou plus souvent, spontanément créée pour
les obligations de la cause actuelle (*).
Cela est d’autant plus vrai quand le persônnage issu de cet élan dévot est
doté par principe de causalité du qualificatif de «sauveur» comme c’est le cas
pour l’Harpocrate sur les crocodiles et comme ce pourrait être le cas pour le
petit dieu Ched.
Il y aura donc intérêt historique à préciser dans la mesure de notre documenta-
tion présente les relations possibles entre les caractères ethnographiques donnés par
les représentations et leurs légendes d’accompagnement, entre les sites originaires
des monuments cultuels et les lieux consacrés à ces cultes, entre les dates d’appa-
rition, d’apogée, de déclin et de disparition du dieu, les milieux de propagation de
son culte et les événements politiques ou belliqueux, les troubles sociaux, les « plaies
d’Egypte» offrant des concordances significatives.
Notre documentation sur Ched s’est heureusement enrichie au cours des fouilles
exécutées à Deir el Médineh depuis quelques années et nous pensons que les mo-
numents nouveaux ci-après apporteront des éclaircissements sur plusieurs points
encore obscurs de la question. Ce sont :
1 . Stèle n° 118 (fasc. II, pl. XXXIX). Calcaire gravé et peint à sommet arrondi
(hauteur o m. 3 o, largeur o m. 21) trouvée en 1989 dans le temple de Deir
el Médineh, XIX e dynastie, règne de Ramsès II. Dédiée à Ched par le scribe royal
Ramosé. Deux registres (fig. 18).
Registre supérieur : Ched debout sur une ligne noire sous laquelle deux croco-
diles sont opposés par la queue, marche vers la droite tenant en main gauche
trois scorpions, trois serpents, un arc et des flèches, et en main droite un lion qui
redresse la tête vers lui, conduit également de la main gauche deux gazelles bon-
dissantes tenues en laisse, dont la première semble brouter les folioles d’un lis de
Haute-Egypte ( 2 h Ched porte au front une tête de gazelle; un ruban à longs bouts
pendants en arrière ceint son crâne d’où tombe la tresse de cheveux de" l’enfance
roulée en volute. Son torse est en partie couvert par deux bandes larges entrecroisées ;
un carquois est attaché sur son dos; un pagne long maintenu par une ceinture à
bouts flottants pend sur ses mollets mais se retrousse au-dessus de ses genoux.
(1) Ched sur les crocodiles opposés peut devoir l’inspiration de cette image à son assimila ion, en tant
que sauveur, à Thot séparant les deux frères ennemis Horus et Seth ( | * | ) dieu du
XV e nome de Basse Egypte (Hermopolis Parva). En cette œuvre de salut national tout pharaon est le suc-
cesseur de Thot et d’Harpocrate et son titre royal de UHI peut, comme le suggérait Daressy,
constituer un calembour avec par l’entremise de (crocodile).
(2) La stèle étant thébaine, le lis de Haute Egypte remplace ici probablement la fleur Sennout d’Horbeit
qui «met en fuite les pays étrangers et se place devant le nez de Rè pour arrêter Seth en sa fureur»;
c’est-à-dire à la pointe de l’Orient.
142
B. BRUYERE.
Texte : J7!kî IT-lJSÎ-LÎSfflî J^ÎÎSÎ-L* A ïV^Pjl
ffO'tn i V|©(i)
< ^T l A ni i i a~*a «=» in* f
Au registre inférieur, Ramosé, à genoux, face à gauche, est en pose d’adoration,
mains levées. Texte : i J)HH W^^îTldPjl!^
"~1EK
h *
I in ^
Fig. 18. Stèle n° 118 : au dieu Ched.
Fig. 19. Fragment de Stèle n° 238
à la triade Harsiesis, Isis Ourt, Ched.
2. Stèle n° 11g (fasc. II, pl. XXXIX). Calcaire, gravé et peint, à sommet arrondi
(hauteur o m. 3 s, largeur o m. 22) trouvée en 1989 dans le temple de Deir el
Médineh. XIX e dynastie, règne de Ramsès II. Dédiée à une triade composée d’Har-
siésis, d’Isis et de Ched par le scribe royal Ramosé. Deux registres.
Registre supérieur : assis, face à droite, l’un devant l’autre, sur trois trônes sem-
blables, Horus, maître du désert W, hiéracocéphale, coiffé de la double couronne, tient
le sceptre et la croix ansée. Isis, portant les signes de son nom sur la tête, étreint
Horus de son bras gauche et fait de la main droite le geste de protection magique.
(1) A Héliopolis la demeure de Rè s’appelait Hat-our Q ^ ou Pcr-Our ^ ^
(2) L’Horus maître du désert, couronné du Pschent n’est autre que Harsiesis ; l’Isis régente de la maison
des livres de magie est l’Isis Ourt-hekaou ; le Ched aux nombreuses transformations, vêtu ici d’une longue
jupe, n’a pas son attirail cynégétique et ses trophées habituels de chasse.
163
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1960).
Ched, sans diadème ni tête de gazelle, mais avec la tresse de cheveux en volute,
cachant l’oreille, porte le grand collier Ousekh sur son torse nu jusqu’à la ceinture
et une longue jupe descendant jusqu’aux chevilles. Il fait les mêmes gestes qu’Isis.
Texte :
Fig. 20. Deux amulettes au dieu Ched-Hourouna.
Registre inférieur : Ramosé en prière est à genoux face à gauche devant le texte
suivant : ]
3 . Fragment de stèle n° s S 8 (fasc. II, fig. 1 5 a). Calcaire gravé et peint, à sommet
arrondi, moitié gauche (hauteur o m. 20, largeur 0 m. 095) trouvée en 1939 dans
144
B. BRUÏÈRE.
u . . P . ?! D “ e , Medlneh ' XIX ' dynastie, règne de Ramsès II. Dédiée à la triade
. lests, Isis, Ched par un donateur dont le nom a disparu. Deux registres (fier , „)
Registre supeneur : d’Harsiésis ü ne reste que l'épaule. D'Isis il mangue un
ras les jambes et le symbole nommai sur la tête. Ce couple était assis face k droite
sur es roues. Ched, debout derrière lui, marche sur deux crocodiles opposés par la
11 “ C 7 ne , rasé If h tressc e " volute et ne porte ni ruban serre-tête, ni
tete de gazelle frontale. Un collier Ousekh, deux bandes d’étoffe en croix sur la
podnne et un grand pagne avec ceinture à longs bouts llottants composent son
habillement. Sa main gauche tient un boomerang, un arc et un lion suspendu par
a queue et qui se redresse pour mordre. Sa main droite tient deux serpents et deux
orpions. Texte + J, ,
(texte entre parenthèses détruit). J
Registre inférieur : Il reste ce texte : î pj V J L! i ~ 1 I i * r", d - \ w i
t 1 r Am 3i ~ 35 {RaPr ° r ‘ ‘» 3i -‘' SS ’ ”8' 9 *. P- «S). Calcaire
grave sur les deux faces, a sommet arrondi (hauteur o ni. 08, largeur o m o5
épaisseur om.oo 5 ) trouvée dans les décombres recouvrant le cimetière de l’est à
Deir el Medineh. Epoque ramesside (fig. 20) W.
Reçu, : Profil droit de jeune garçon portant la natte roulée de l’enfance et une
tete de gazelle frontale avec bandeau serre-tête à bouts longs et llottants. Une boucle
d oreille et un collier Ousekh complètent l’habillement. Pas de texte.
s V ^ lagellum et couronn e double qui surmontait la tête d’un faucon. Texte :
. A W I \ J*
5 . Amulette A. , »• Am. 33 - 3 A (Happer , t 9 3 A-, 9 3 S, fig. v p. , g). Bois gravé à
la pointe sur ses deux faces avec traces de couleurs dans les creux; sommet arrondi
(hauteur o m. ,o 5 , largeur o m, o 55 , épaisseur o m. „„ 3 ). Il ne reste que les
eux ,ers d une petite stèle avec appendice de suspension. Trouvée dans les ruines
du vdlage a Deir el Medmeh en i 9 34 -i 9 35 . Epoque ramesside <*).
Heclo : Ched, debout, face à droite devant un autel supportant un vase porte
la natte et la tête de gazelle au front. Il tient ses armes : arc, (lèches et ses trophées
de chasse : serpents et scorpions. Texte : ^ J jj ^ ^ 1
; U " fa ’ 1C °, n Couronné du P **«“ apportant le'flageüum dans le dos, est
perc e, ace a gauche, sur un haut socle gardé par trois uraeus Texte • I
1 *
„.i»l d’alcrd été ZdécûSTÏrt d! P„y,j’a toL'ïta! IZ’T
”'n « ’ 'T''" 0 '' T. 16 J est seulement ujonlé à Ched.
B. Bruyere, Rapport de fouilles à Deir el Medineh, Village, i 9 34-i 9 35, p. ao 3, fig. 99 .
145
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEII (1935-1940).
6. Stèle J. C. I. (*) (fig. 2 1 ). Calcaire finement gravé sur ses deux faces, à sommet
arrondi (hauteur o m. 265, largeur o m. 2 2 5 , épaisseur o m. 09). Stele dont il
ne reste que la portion supérieure très usée par un long emploi dans une maison
indigène de Gournah. Achetée par le Docteur J. Cerny a un habitant de Gournah et
Fig. 21 . Stèle J. C. I. : Stèle à Ched, Harsiesis, Isis Ourt.
provenant de ce village (1939)- Époque saïte. Dediée a la triade Ched, Isis, Har
siésis.
Recto : Registre supérieur : L’un derrière l’autre, debout, face à gauche, Ched,
nu, avec un carquois dans le dos, piétine deux crocodiles enfermés dans un rectangle
(’) Cf. J. Leiuovitch, Bulletin de l’Institut d’Egypte , XXV, i 9 4a-i 9 43, p. 1 8 3 - 2 o 3 . Le Griffon. La
figure 16 de cet article est un dessin de notre stèle J. C. I. La figure 1 7 est une représentation identique
copiée sur une stèle magique d’Horus sur les crocodiles, stele en calcaire de la XXI dynastie( atatio
par J. Cerny de la stèle J, C, I.) récemment entree au Musee du Caire.
i 9
146
B. BRUYÈRE.
et tient en mains une gazelle, un serpent, un scorpion et ses armes. Harsiésis
hiéracocéphale, couronné du Pschent, tient le sceptre et la croix de vie. Isis la grande,
couronne 3 du diadème Seshed et du modius surmonté des cornes de vache enserrant
le disque solaire, tient les mêmes insignes.
Registre inférieur M : Ghed chassant au désert (scène habituellement figurée au
quatrième registre des stèles magiques sur le recto). Monté dans un char traîné par
deux griffons ailés, Ghed tourné vers la droite, tire à l’arc sur sept serpents traversés
par ses flèches. Un scorpion, une gazelle, un lion (à moins que ce ne soit un gué-
pard dressé à poursuivre les gazelles), un crocodile pris au lasso composent le gibier
traque par le chasseur. Chacun des serpents est accompagné de son nom W. Sous
ce second registre commence un texte magique écrit en lignes horizontales, dont il
reste peu de chose et que l’usure rend presque indéchiffrable.
Verso : Une frise de personnages divins dans lequels on reconnaît : Harmakhis,
Harsiésis, Nephthys, Anhour-Shou, le nain patèque Kheper sous un scarabée sur-
monte d un œil Oudja, un bennou; tous, sauf Anhour font face à droite. En dessous
un texte magique en lignes horizontales est presque effacé. La tranche de la stèle
est également couverte d’inscriptions magiques.
*
* *
Tels sont les nouveaux monuments de Ched découverts récemment à Deir el Mé-
dineh et a Gournah, c'est-à-dire dans la région thébaine et qui s’ajoutent à la stèle
n ° 43569 trouvée par Baraize en 1 9 1 2 au temple de Deir el Médineh W et à la stèle
de Strasbourg acquise par Davies en 1909 à Gournah.
(1) Le tltre P orté P ar les deux personnages ne figure pas dans la liste du personnel amonien donnée
par G. Lefebvre dans V Histoire des Grands Prêtres d’Amon de Karnak. Leurs noms ne sont pas mentionnés
par Weigall-Gardiner dans le Topographical catalogue of privâtes Tombs of Thebes ni par Porter et Moss dans
la Btbhography of the Theban Necropolis .
(2 > Les deux registres sont orientés en sens contraire. Sur Je premier, Ched, bien que vu par son profil
gauche, porte la tresse qui devrait pendre sur le côté droit de la tête.
<3i Nous cr °y° ns devoir cependant donner les résultats de nos essais de déchiffrement. Voici les noms
1 — ’ 1 ^ ï, • Une colonne de texte à droite de la chasse débute par ces mots : , i ,-a.
(Voir G. Daressy, Textes et dessins magiques').
(1) G. Daressy, Annales du Service des Antiquités, t. XVI. Une stèle du dieu Ched. B. Bruyère, Mémoires
I. F. A. O., t. LXIII, p. 166, fig. 90. Mert Seger à Deir el Médineh. Le registre supérieur de la stèle
montre Ptah, Sebek, Isis et Mert Seger assis. Le registre inférieur montre le donateur et sa famille adorant
Ched. La présence de Ptah est justifiée par le texte de l’amulette n" 9/137 disant que Ched fut formé
par Ptah. Celle de Sebek, père de tous les dieux, souvent confondu avec Geb (alias Seb) aurait peut-être
147
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
A l’aide de ces documents et de ceux déjà publiés par Loukianoff, on peut essayer
de voir si la thèse proposant l’origine asiatique de Ghed se trouve confirmée ou
infirmée par la reprise et la critique des arguments sur lesquels elle s appuie.
L’argument étymologique du nom de Ched s impose en premier lieu.
On remarque d’abord que le mot Ched est écrit ^ sans déterminatif sur les mo-
numents rassemblés par Loukianoff, que ce mot soit pris isolément comme un patro-
nyme ou ajouté comme un qualificatif au nom d’Horus dans Hor-Ched et Ilor-Ched-
Rè. Il en est de même pour notre stèle n° 2 38 et pour le texte du registre supérieur
de la stèle n° 119.
Par ailleurs, pour les autres monuments nouveaux, on rencontre l’écriture : ^ ,
avec le déterminatif employé pour spécifier une activité manuelle comme dans v — 1
«creuser» (autres graphies : m , Mil ^ et aussi, dans le texte du re-
gistre inférieur de la stèle n° 119 l’écriture : | qui est une vocalisation fréquente
des noms propres signalée au Nouvel Empire à Thèbes. Elle peut dans une certaine
mesure se rapprocher de la forme «Shehahidi» préconisée par Maspero et rappeler
le qualificatif sémitique chadai suggéré comme origine étrangère de l’égyptien «ched»
pris dans le sens de sauveur.
Dans l’onomastique des particuliers nous relevons à Deir el Médineh et par con-
séquent au Nouvel Empire et à la Basse Epoque des vocables theophores composes
avec Ched et orthographiés avec et sans le déterminatif. Ainsi voit-on de nombreux :
Ces témoignages de dévotion qui se manifestent pour 1 un et 1 autre sexes, n ont
aucune répercussion en dehors des dénominations de personnes ; ils ne donnent
pas lieu à des représentations du dieu Ched dans les tombes, les maisons et les cha-
pelles votives, sauf bien entendu les stèles ex-voto et les amulettes qui n impliquent
pas la consécration exclusive d’un lieu à un dieu déterminé.
Mais le mot «ched», s’il a pris un nouveau sens au Moyen Empire, n avait pas
attendu cette époque pour se présenter avec d’autres acceptions telles que : ^ >
v : nébride ; w allaiter, élever, nourrir ; rsa lire, proférer, proclamer;
prendre, enlever, saisir. Dans certains de ces sens divers applicables au jeune
Harpôcrate issu de la nébride osirienne et allaité par Isis dans les marais de Chemmis
avant d’être proclamé héritier légitime du trône, la facilite égyptienne de jouer
sur les mots et surtout dans le domaine mythologique, d affectionner les doubles
sens et les rébus, n’avait-elle pas l’occasion de donner libre cours à sa verve
inventive sans aller emprunter à une lexicographie exotique ou à un panthéon
pour motif que Sebek est le dieu de Chedet (Crocodilopolis) nom offrant une certaine homophonie avec
Chedenou (Horbeit), Mert Seger étant la compagne habituelle de Ptah à Deif el Médineh, double ici
Isis la grande dans son rôle maternel vis-à-vis de Ched. Toutefois le dieu crocodile et la deesse serpent
pourraient être placé? là en vertu du principe prophylactique qui juxtapose 1 antidote au poison et le
remède au mal provenant des deux animaux dont ces divinités ont pris 1 aspect.
148
B. BRUYÈRE.
étranger les éléments d’une création nécessitée par des circonstances particulières?
L’argument étymologique seul pourrait donc n’avoir de valeur qu’une de ces
nombreuses similitudes apparentes constatées dans les langues de pays voisins dont
les peuples ont des origines ethniques communes ou dont les rapports amènent
des échanges réciproques. Il en est autrement si cet argument se lie à un autre,
d’un ordre différent comme l’aspect morphologique.
Le qualificatif « ched : ^ v— •» pris dans le sens de sauveur aurait été, par priorité,
appliqué précédemment au dieu Shou dans les cercles d’influence héliopolitaine,
à l’époque lointaine où la constitution du mythe de Rè-Atoum avait dévolu à ce
premier pharaon divin la mission de mettre de l’ordre dans le chaos universel, de
protéger son père contre tout danger et finalement de l’aider à remonter au ciel
sur le dos de la vache Nout. C’est là une des raisons pour lesquelles l’assimilation
de Ched au dieu Shou et, plus tard à Shou-Onouris était si facile à réaliser et pouvait
induire A. Erman à ne voir en Ched qu’une simple variante de Shou-Onouris, une
simple personnification d’une épithète qui lui fut longtemps personnelle. Par ailleurs
le dieu Thot qui avait joué vis-à-vis de l’Horus fils d’Isis un rôle tutélaire de défen-
seur devant la cour divine assemblée pour juger le différend Horus-Seth et qui pouvait
ainsi se prévaloir d’avoir sauvé son protégé, s’arrogeait le droit de porterie titre
de ched comme il appert du Papyrus magique Harris où il est dit en toutes lettres que
Thot est le sauveur d’Horus : fÜ ^ 1 JL - P ar une formule semblable, Ched
deviendra dans le cours de sa carrière le sauveur de Rè et s’intitulera Hor-Ched-Rè.
Mais avant de parvenir à ce stade d’évolution de son titre ou de son nom, Ched
aurait, selon Loukianoff, arboré seulement d’abord le qualificatif pris nominative-
ment, puis aurait ensuite fait précéder ce vocable d’une spécification de personne
en s’appelant Hor-Ched, patronyme composite que laissaient prévoir les représen-
tations des premières stèles où la confrontation d’Horus et de Ched 'équivalait à une
véritable identification. Dans ce nom double, Loukianoff voit le début d’une seconde
période évolutive du culte, une assimilation de plus en plus marquée de Ched (asia-
tique) à Horus (égyptien) alors que cette construction binaire eut aussi bien pu
éveiller une idée de parallélisme avec des structures analogues dans les mythologies
d’Asie Mineure et renforcer encore l’hypothèse d’origine exotique de Ched b). Des
noms composés comme Reshep-Shalman, Baal-Mardouk, Eshmoun-Astart, Attar-
Gatis, etc, dans lesquels l’élément capital est le plus souvent l’épithète employée
comme second terme du groupe, sont fréquents en Syrie, en Palestine et ils auraient
pu justifier une attribution d’Hor-Ched à ces contrées orientales. Toutefois la mytho-
logie égyptienne utilise la constitution binaire dans certaines appellations divines
telles que Amon-Rè, Anhour-Shou, etc, mais en général par amalgame de deux noms
(l) G. Goossens, Chronique d’Egypte, n" 29, janvier 1 9 io , p. 65 . Une stèle d’Aberdeen dédiée à Reshep-
Sulman (Rsp-Sa-ra-ma-na).
149
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1900).
propres beaucoup plus que par adjonction d’un qualificatif à un nom. On trouve
aussi des compositions à trois et même à quatre termes comme Rè-Harmakhis-
Atoum-Kheper auxquelles on ne peut rattacher la forme Hor-Ched-Re qui prend
tournure d’une véritable phrase où Ched peut s’entendre soit comme verbe : Horus
qui sauve Rè, soit comme adjectif pris substantivement : Horus sauveur de Re.
La forme double Hourouna-Ched ou Ched-Hourouna rentre dans la catégorie déjà
énoncée : Hor-Ched; mais s’apparente davantage à celle de deux noms propres
accolés du modèle : Amon-Rè.
L’ensemble de détails signalétiques qui compose l’identité d’un personnage et
permet de différencier à première vue un dieu autochtone d un dieu étranger pré-
sente des garanties de véracité pour les représentations les plus proches de 1 origine
mais perd peu à peu de sa valeur probante à mesure qu on s éloigné, aussi bien dans
le temps que dans l’espace, de l’époque et du milieu originaires.
La chance d’un retour en arrière ressuscitant les formes du passé, comme ce
fut le cas pour le mouvement de renaissance saïte, a produit en Egypte le résultat
inespéré de remettre en vigueur des formules dénaturées par les siècles et de
faire revivre des conceptions oubliées dans le domaine artistique comme dans le
domaine religieux.
C’est ainsi que Ched se présente sur les stèles présumées les premières en date
(stèles Davies et Loukianoff) entièrement nu et sans tête de gazelle au front et qu il
reprend le même aspect sur les stèles magiques de la période saïte. A Tell el Amarna
seulement, il commence à couvrir ses reins d’un pagne (stèle de VËgypt Exploration
Fund et stèle du Caire). L’amulette n° 8020 de Berlin de la XIX e dynastie et celle
du Caire n° 9A27 trouvée à Tanis par Mariette font apparaître pour la première
fois la tête de gazelle au front de Ched et c’est à Thèbes sous les règnes ramessides
que les stèles découvertes par Baraize D) et par nous-mêmes donnent du petit dieu
sauveur un aspect complet avec la tête de gazelle, le bandeau serre-tête à longs bouts
pendants, le collier Ousekh et la shenti maintenue par la ceinture aux extrémités
flottantes. Quant aux bandes entrecroisées autour du torse, elles ne se montrent
aussi que sous la XIX e dynastie lorsque la cour résidait à Tanis.
Il n’est pas inutile de souligner les étapes de l’évolution morphologique et
d’établir leur concordance avec les fastes calendriques de l’histoire, car la question
de l’origine ethnique leur subordonne sa solution. Encore faut-il analyser chacun
des détails d’équipement et d’habillement du nouveau dieu et tenter de discerner
leur appartenance à une civilisation determinee.
Dans l’art égyptien, la nudité qui, en statuaire, avait eu quelque raison de se
manifester aux âges préhistoriques, se raréfie dans les mastabas de l’Ancien Empire
et ne s’affiche ensuite pas avant le Moyen Empire quand surgissent les statuettes
(l) E. Baraize, Annales du Service ,- 19 i 3 . Rapport de travaux a Deir el Médineh.
150
B. BRUYÈRE.
de femmes nues appelées « concubines», la déesse Qadesh, la déesse Nout des plafonds
et des sarcophages, les figurines de Bès trouvées à Sedment, à Thèbes et au Fayoum,
les statues de serdab de Sedment, la statue en bois du roi Aouibrè provenant de
Dachour, etc.
Cette coïncidence d’époque avec l’invasion pacifique puis guerrière des sémites
peut avoir eu une influence déterminante sur les goûts et les mœurs des Egyptiens
par l’apport d’un réalisme que des préjugés modernes traiteraient de dissolvant.
La nudité de l’enfance était cependant chose courante dans la vie et celle d’Har-
pocrate n’offrait aucune nouveauté d’expression; mais elle pouvait jusqu’à un certain
point témoigner d’une liberté, non réprouvée par l’Egypte, pourtant plus parti-
culière à une race asiatique.
La tresse pariétale droite de cheveux roulés en volute qu’Isis fit porter à l’Horus
de Chemmis en signe de deuil d’Osiris, appartient à un mythe essentiellement libyen.
Elle est, au point de vue de sa forme, de même nature que les mèches roulées de la
statue de la reine Nefert au Caire, qui est du Moyen Empire et que celles des masques
hathoriques de la même période. Différente de la floche large et droite que portent
les enfants au Nouvel Empire, elle peut, elle aussi, présenter un intérêt chrono-
logique pour la constitution du type racial de Ched.
Le bandeau serre-tête à longs bouts, retombant en arrière, est une variante du
diadème libyen Seshed arboré par les Timihou et les Tehenou et en général par les
habitants de la rive gauche du Nil, d’un bout à l’autre de l’Egypte. Son emploi n’est
pas restreint à une caste militaire; il s’étend à des personnes des deux sexes et se
signale en particulier chez les chasseurs et coureurs des sables, c’est-à-dire chez
les gens qu’un sport violent oblige à serrer leur chevelure pour n’en être pas gênés
dans leurs mouvements.
Conservant dans l’armée du pharaon les signes distinctifs de leur race, les archers
libyens, habiles chasseurs du désert, n’offrent par conséquent aucune différence
vestimentaire ou autre entre un nemrod et un militaire, qu’il soit de carrière ou
levé temporairement pour une action guerrière.
Aussi les stèles de la XI e dynastie provenant de Gebelein et de Nagada que
J. Vandier Q) attribue à des soldats plutôt qu’à des chasseurs peuvent-elles repré-
senter à la fois les uns et les autres et constituer par leur ensemble et leur similitude
1 indice d’une convulsion politique et belliqueuse en même temps qu’une sorte de
prototype du futur Ched, archer au front ceint d’un bandeau à longs bouts (stèles
n os 118, 119). Ces habitants de Gebelein et de Nagada, escortés généralement de
leurs lévriers du désert, sont pour la plupart les fils aînés de leurs familles tombés
sans doute au champ d honneur pour sauver leur patrie en danger, si on les con-
(1) J. Vandier, Chronique d’Egypte, n. 35, janvier 1 9 43 , p. 21 - 29 . Quelques stèles. de soldats de la
première période intermédiaire. La région thébaine encadrée entre Gebelein et INagada fut le point de
départ de ta révolte contre Héracléopolis et plus tard contre Avaris,
151
FOUILLES DE DEIR EL MÊD1NEH (1935-1940).
sidère comme mobilisés pour le service armé, ou victimes d’une expédition cyné-
gétique périlleuse si l’on ne voit en eux que des civils adonnés à la poursuite du
gros gibier des ouadi. Et l’on ne peut oublier que Ched est le propre fils d’Osiris,
dressé par sa mère et Thot au maniement des armes de jet comme à la chasse à courre
aux bêtes féroces.
La tradition qui dévolue au fils aîné l’honneur de défendre son père et de le sauver
quand il est en péril semble avoir été le mobile qui fit consacrer ces stèles dans cette
région toujours agitée de Haute-Egypte dont Thèbes fut plus tard le centre vital.
Avait-elle la mythologie pour inspiratrice ou au contraire celle-ci n’avait-elle pas
transposé sur le plan divin une coutume familiale humaine? Toujours est-il que
dès le début du Nouvel Empire, cette tradition se révèle plus qu’à tout autre moment,
dans la famille royale où l’on voit le jeune prince héritier s’exercer dans les sables
memphites entourant le grand Sphinx Rè-Harmakhis de Gizeh, au tir à l’arc, à la
chasse aux bêtes nuisibles et en général à tous les sports préparatoires au rôle guer-
rier de pharaon fils de Rè G) . En cela ce jeune prince s’assimile à Horus fils d’Isis
autrement dit à Ched mais ce n’est plus, comme au début, en qualité d’héritier
d’Osiris que l’Harpocrate venu de Chemmis se lève comme défenseur et vengeur
éventuel ; désormais c’est en qualité de fils de Rè qu’il va intervenir et ce change-
ment opéré par le truchement d’une identification d’Harsiésis à Harmakhis se trahit
aussi bien dans l’aspect morphologique de Ched que dans les textes qui accom-
pagnent ses figurations.
Revenant aux détails de son habillement, on remarque qu’il porte au cou, tantôt
le grand collier Ousekh, insigne considéré comme osirien par définition et par con-
séquent comme d’origine libyenne, tantôt une bulla double, cordiforme et jumelée,
autre usage libyen dans lequel on doit voir, paraît-il, la marque distinctive du fils
premier né ou du véritable héritier dans une famille ( 1 2 L
Un fils aîné d’un dieu égyptien peut parfois porter au front l’uraeus royal tout
comme un prince héritier du pharaon d’Egypte peut s’en parer avant son couron-
nement. Ched, héritier d’Osiris, puis de Rè, s’abstient de tout emblème frontal
ou bien porte en place du cobra de Basse-Egypte une tête de gazelle.
Nous avons déjà signalé qu’il ne la porte pas avant la seconde moitié de la
XVIII e dynastie au plus tôt et que c’est surtout depuis que Tanis est devenue la
résidence de la XIX e dynastie qu’il en fait étalage. Vers la même époque, les dieux
cananéens ét syriens Soutekh, Reshep-shalman, Makal, probablement importés au
temps des Hyksos, connaissent une faveur inaccoutumée auprès de certains éléments
de la population égyptienne et ils ont au front une tête de gazelle comme un cachet
ethnique apporté de leur patrie et non imposé par leur pays d’adoption, frappant
(l} B. Bruyèhe, Le sphinx de Gizeh et les épreuves sportives du sacre , Chronique d’Egypte, n° 38, janvier 1 9 44,
p. 194-206.
(*) E. Drioton, Rapport de fouilles à Medamoud , textes, 1926.
90 .
152 B. BRUYÈRE.
tout dieu venu d’Asie d’une marque indélébile excluant toute confusion avec les
dieux autochtones.
Ched doit-il être rangé parmi ces transfuges palestiniens et babyloniens du fait
qu’il arbore le même insigne? Les mythologies asiatiques ne le revendiquent nulle
part comme faisant partie de leur personnel céleste et la tête de gazelle qu’il porte
à son front et que portent les autres dieux importés de l’est semble n’exister dans
aucun répertoire d’attributs divins chez les peuples d’Asie Mineure. Si elle constitue
une marque d’origine orientale, elle serait plutôt acquise au passage de la frontière
pour distinguer les étrangers ou, préférablement, serait apposée à une certaine caté-
gorie belliqueuse de dieux armés enrôlés dans une cohorte nantie d’un uniforme
et d’un équipement pseudo-militaires. Ce serait en somme le signe d’une affiliation
à un parti comme le clan séthien et d’une localisation territoriale de ce groupe plus
racial que politique. Une véritable compagnie de piquiers, d’archers et d’amazones
armées a fait irruption dans les marches de l’est, conduite par les Pasteurs d’Ibrim
et s’est installée dans les sanctuaires officiels et privés de toute l’Egypte. On voudrait
que Ched fît partie de cette unité parce qu’il se pare entre autres choses d’une tête
de gazelle sur le front; mais ne trouve-t-on pas dans le symbolisme égyptien un
emblème identique au front du dieu Anhour-Shou, dieu de Thinis et de Sebennytos,
à l’acrostole de la barque ^ de Sokar, dieu memphite qui jadis fut une forme
de Seth et qui sous la XIX e dynastie reprit parfois le nom de Souti, à l’acrostole de la
barque qui amène Nekhebt d’El Kab à la fête Sed de Ramsès III; aux côtés
des images de Bès sur les chapiteaux de Mammisi en souvenir probable de son pri-
mitif enrôlement dans la troupe éthiopienne de Seth? Anoukit, des marches méri-
dionales, possède la gazelle comme animal fétiche et sa sœur Satit orne sa tiare de
deux cornes d’oryx. Harsiésis commémore la victoire remportée à Hebenou par le
faucon sur la gazelle en prenant pour enseigne totémique du XVI e nome l’oiseau
d’IIorus sur le dos de l’animal séthien Û).
Et tous ces exemples les têtes, protomes et corps entiers de gazelle ne signifient
pas une provenance syro-chaldéenne et par conséquent une souche raciale asiatique
mais au contraire une sorte d’appartenance géographique au domaine de Seth indé-
pendante dans la plupart des cas du rôle d'inimitié horienne dévolu à ce dieu par
le mythe de la grande querelle.
Seth est le grand maître de la terre rouge, c’est-à-dire des sables désertiques qui
entourent de toutes parts la terre noire d’Horus. Que ce soit en Nubie, pour Anoukit
et Satit, en Ethiopie pour Bès, en Libye pour Sokar et Anhouri, aux confins des
frontières orientales pour Harsiésis, c’est partout le grand désert où pullule la gazelle
qui, de ce fait, en devient le vivant symbole
(1) Cf. Naville, Mythe d’Horus : victoire d’ Hebenou.
(,) Dans la montagne thébaine de l’ouest on relève de nombreux dessins de gazelles parmi les graffiti
préhistoriques. Voir pour cela notre Rapport 1945 - 1949 .
153
FOUILLES DE DE1R EL MÉD1NEH (1935-1940).
Mais là ne se borne pas l’apparence sémitique de Ched. Sans nous étendre sur
la ressemblance, peut-être fortuite, du profil de son visage avec les traits conven-
tionnels des sémites, constatée sur une seule stèle, nous voulons parler du corselet
de rubans entrecroisés qui entoure le torse de Ched à partir de l’installation du roi
à Tanis.
II est vrai que l’habillement des Asiatiques comporte généralement ces bandes
en croix sur la poitrine; mais il faut ajouter que ces bandes sont presque toujours
brodées ou historiées de dessins en couleurs variées. Celles de Ched sont dépourvues
de toute ornementation. Par contre nous connaissons des stèles sur lesquelles
Anhour, vêtu d’un corselet de cette espèce et d’une robe ornementee, montre des
broderies sur les rubans, bien qu’il ne soit en aucune façon d extraction asiatique.
A la Vallée des Reines le dieu Shou (tombe n° 4a) aux chairs noires comme celles
du dieu Atoum de la tombe n° 5 1 , est vêtu d’une robe rouge brodée et coiffé du
diadème à quatre plumes d’Anhour. Les tombes des petits princes Khaemouast et
Amenherkhepeshef montrent ces princes dont le torse est entoure de bandes brodees.
Lorsque Ched porte un carquois dans son dos, il est possible qu une des deux bandes
qui se croisent soit le baudrier de ce carquois. Par ailleurs on peut suggérer que
l’autre bande est l’écharpe en sautoir qu’au Nouvel Empire le pharaon, quand il
officie au temple, le prêtre dans l’exercice du culte et le laïc temporairement préposé
à l’accomplissement de certains rites dans les chapelles de confréries, se passent
autour du torse pour indiquer que dans ces fonctions religieuses, ils sont Ouab, c est-
à-dire purs et aptes au commerce divin. Les uns et les autres sont alors assimiles a
Horus enfant déclaré pur de toute souillure par l’aréopage des dieux après le juge-
ment du litige à propos des droits d’héritage du royaume osirien. Pour ce motif
il serait admissible que Ched, alias Harpocrate, astreint à une pureté obligatoire
pour la pratique des opérations de magie afférentes à ses fonctions de mage et pour
le rôle de sauveur qu’il assume, employât ce moyen d attester son innocence.
Dans ce cas, le corselet de rubans serait simplement la réunion de deux pièces
d’équipement et non un vêtement étranger. Toutefois, puisque cet harnachement
n’apparaît pas avant le séjour de la cour à Tanis et que simultanément la tête de
gazelle frontale s’y révèle aussi, on ne peut rejeter de parti pris l’idée qu’une
influence exotique orientale ait pu agir à ce moment pour modifier l’aspect extérieur
de Ched et l’accommoder au goût d’asiatisme qui prévalait dans toutes les spheres
de la population. A dire vrai, on n’en saisit guère les causes déterminantes et l’on
concevrait mal qu’un dieu, créé en vue d’une rédemption nationale, si telle fut sa
raison d’être initiale, reniât ses origines patriotiques et se convertît à une religion
étrangère par opportunisme.
On prétendra que justement c’est 1 instant où il établissait 1 équivalence entre
son nom de Ched et le nom sémitique, ou réputé tel, d’Hourouna et où le collège
théologique d’Héliopotis acceptait officieusement le même surnom hébraïque pour le
154
B. BRUVÈRE.
Sphinx de Gizeh, ce qui avait pour résultat d’assimiler Ched au Sphinx par l’entre-
mise de l’assimilation préliminaire d’Harsiésis à Rè-Harmakhis-Atoum-Kheper.
Ce passage de Ched du mythe osirien au mythe solaire héliopolitain pourrait alors
avoir eu pour conséquence un changement de costume et si l’on en vient à admettre
a raison majeure d’une salvation nationale comme cause créatrice du nouveau dieu,
on pourrait penser que la cause première ayant cessé d’être, il ne lui restait pour
continuer d exister qu’une raison mineure de prophylaxie pour toute justification
et la réduction de 1 epithète « sauveur» à l’échelle d’interventions médicales et
magiques en faveur de collectivités restreintes.
Pour le complément de la vêture de Ched, on peut simplement constater que la
Shenti couvrant ses reins est taillée suivant le modèle adopté vers la fin de la
e dynastie, date à laquelle il renonce à la nudité de ses débuts et que ce genre
de pagne largement ouvert en avant pour faciliter la marche et la course devient
1 uniforme de 1 armée sous les ramessides, le costume des gens du peuple au com-
mencement de la XIX e dynastie et l’habillement rituel du roi à la même époque
lorsqu il remplit au temple ou à la guerre ses différents devoirs de souverain et de
/
L armement de Ched n’offre rien de spécifiquement asiatique. Il possède en pre-
mier heu un arc et des flèches sans être pour cela un Setiou. La pique, le lasso, la
massue et même le boomerang, signe déterminatif asiatique, appartiennent à l’ar-
senal de tout l’Orient.
Un détail présentant plus d’intérêt est le char dans lequel il poursuit le gibier
au desert car le char est d’importation asiatique et ne date que du Moyen Empire
en Egypte. Il est traîné tantôt par deux chevaux, autre importation orientale, tantôt
par deux griffons ailés Sefer dont Maspero localise l’existence dans les déserts
de la région thébaine U).
Or, quand Ched se présente sur les stèles, monté dans un char traîné par deux
chevaux, ce n’est pas au début de sa carrière et c’est déjà très loin de la date d’in-
troduction de la charrerie dans les usages égyptiens. On ne peut donc pas tirer
argument de ce detail pour prétendre que ce véhicule a amené d’Asie le dieu sauveur.
es 8 nffons sont nombreux dans les mythologies asiatiques et ceux qui figurent
a Bem Hassan sont du Moyen Empire, époque où l’Egypte fut envahie par les ennemis
venus de Est. Pourtant on n’attribue pas tous les monstres imaginaires du désert
figurés dans les tombes de Moyenne Egypte à une inspiration étrangère et le Sha :
levner aux oreilles droites et coupées, à la queue en forme de flèche est, on le sait,
‘"Cf. J. Leibovitch, Bull. Inst. Eg., XXV, i 9 43, p. i 83- 90 3 : Quelques éléments de la décoration
égyptienne sur le IWel Empire : Le griffon. Le mot [1^ n’est pas égyptien. D’après Spiegelberg
un papyrus démotique de Leyde transforme ce mot en P ^ mais Ies noms généri du
griffon seraient plutôt ^ ^ tstê et ^ fa (^ _l e ^ )_
155
FOUILLES DE DE1R EL MÉDINEH (1935-1940).
un animal séthien (iiH ^ Le Sefer à tête d’aigle et corps de félin pourvu d’ailes
est aussi un animal typhonien. La terreur qu’inspire le mystère des immensités
désertiques ceinturant la vallée du Nil, pouvait donc suffire à créer des êtres fabuleux
sans avoir à faire appel au goût du monstrueux et du fantastique des peuples limi-
trophes.
Quant aux trophées cynégétiques de. Ched, lions, gazelles, crocodiles, serpents et
scorpions, ils infestent tout l’Orient. Ce sont les hôtes du sable ou de l’eau et comme
ils sont tous plus ou moins affiliés au parti de Seth, son domaine est leur habitat.
Si le lion est étouffé par Gilgamès et si les cobras que. Ched transperce de ses dards
se dénombrent souvent par le chiffre fatidique sept affectionné par la démonologie
sémitique, cela ne peut forcément signifier l’exclusive propriété asiatique et la
provenance orientale de toute la faune dangereuse traquée par le dieu sauveur.
De même si les formules d’incantation employées pour conjurer les divers périls
provoqués par ces bêtes nuisibles sont composées de mots intraduisibles en égyptien
et tirés en grande partie d’une lexicographie d’Asie Mineure, on serait mal fondé
de prétendre que l’utilisation de ce vocabulaire cabalistique implique autre chose
que l’emprunt fait à un voisin de l’est, très versé en science magique, de termes
obscurs jugés efficaces par le secret de leur signification. Il est possible que les magi-
ciens d’Egypte, réputés pour leur habileté, comme en témoignent les récits de la
Bible au temps de Moïse et les contes populaires du papyrus Westcar , aient subi
l’influence des mages chaldéens et leur aient pris certaines pratiques d’occultisme
en même temps qu’une terminologie appropriée; puisque le conte de Kheops et des
sorciers ou le papyrus magique Harris ne datent que de la XVIII e et de la XX e dy-
nasties, époques postérieures au séjour des Israélites en Egypte; mais il n’en résulte
pas pour Ched, initié de bonne heure par sa mère la Grande de Magie, qu’il soit
issu d’un collège de théurgie asiatique.
Nous verrons qu’il avait au contraire de bonnes raisons de se réclamer de la thau-
maturgie purement égyptienne sans avoir de dettes aux enchanteurs et nécromants
étrangers.
En résumé les données morphologiques et étymologiques apportent autant d’ar-
guments en faveur de l’hypothèse asiatique que de l’hypothèse libyenne de la natio-
nalité originaire de Ched.
L’examen des textes et légendes qui accompagnent les représentations du dieu
sur les monuments déjà publiés et sur les nouvelles stèles de Deir el Médineh pourra
sans doute apporter d’autres éléments de preuves décidant par la parenté, la locali-
sation des trouvailles, l’indication des centres cultuels, quelle opinion présente le
plus de chances de correspondre à la vérité.
Les lieux de provenance des monuments de Ched sont, en Basse-Egypte : Tanis,
Memphis; en Moyenne Egypte : Tell el Amarna et le Fayoum; en Haute-Egypte :
Thèbes et peut-être Esneh (amulette de Turin). Leur plus grande fréquence est
156
B. BRUYÈRE.
signalée à Thèbes occidentale : Deir el Medineh et Gournah; elle s’y étage entre
le début de la XVIII e dynastie et l’époque saïte. Ensuite vient Tell el Àmarna qui
est de la seconde moitié de la XVIII e dynastie ; Esneh attribuée un peu arbitraire-
ment à la XXVI e dynastie ; Tanis de la XIX e dynastie ; Memphis et le Fayoum de la
XXII e dynastie et de l’époque saïte. Ici n’interviennent pas les stèles magiques
d’Harpocrate sur les crocodiles; leur date plus tardive en général les place hors du
sujet qui nous occupe et A. Moret, dans Horus sauveur , en a tiré toutes les conclusions
relatives à leur concordance avec les événements historiques du moment. Certains
écrits comme le Papyrus magique Harris doivent toutefois entrer en ligne de compte
puisque celui-ci fut écrit à Hermonthis par un scribe de la XX e dynastie.
La première constatation qui s’impose, c’est que les monuments de Ched
proviennent en majorité de sites où vécurent des agglomérations populaires,
généralement adonnées aux travaux funéraires et composées de groupes cosmopolites
parmi lesquels les sémites n’étaient pas rares, surtout à Tanis.
En second lieu ces monuments appartiennent à trois époques principales : le
début de la XVIII e dynastie (Thèbes, stèles Davies et Loukianoff) temps encore
assez voisin de l’expulsion des Hyksos ; la seconde partie de la XVIII e dynastie (Tell
el Amarna) période d’influence asiatique; la XIX e dynastie (Tanis), époque de rela-
tions pacifiques avec l’Asie et aussi de conquêtes en Syrie. Si Ched est un dieu asia-
tique, il a eu là trois occasions importantes de s’introduire en Egypte. Si, par contre,
il est égyptien, son apparition coïncidant avec l’insurrection nationale partie de la
Thébaïde et refoulant les envahisseurs sémites au delà d’Avaris, fait de lui un Messie,
annoncé à mots couverts par les contes prophétiques clandestinement propagés
pendant l’occupation étrangère. Son rôle de rédemption patriotique achevé sans
que la reconnaissance populaire autochtone ait épuisé à son égard toutes ses réserves
de dévotion, il conserve dans Tanis reconquise assez de prestige pour personnifier
la résistance de la plèbe à l’influence sémitisante qui est de mode à la cour ou sinon
il sait se plier aux circonstances avec la même souplesse que le collège d’Héliopolis
et troquer sa livrée osirienne contre celle de Rè-Harmakhis. Rien ne dit que sa con-
version ne s’est pas accomplie à Tell el Amarna car c’est à partir de la réforme théo-
logique d’Akhenaten que Ched se manifeste sur les stèles, non plus comme l’enfant
prénubile entièrement nu qu’il était à son apparition, mais comme un jeune garçon,
toujours coiffé de la tresse libyenne du jeune âge et vêtu désormais d’un pagne qu’il
n’enlèvera qu’à l’époque saïte en redevenant Harpocrate. Peu après le schisme, à
l’aurore de la XIX e dynastie, il arbore à son front la tête de gazelle et ensuite il entoure
son thorax de ces deux bandes entrecroisées qui rappellent les bandelettes rouges
de momie que Ptah porte sur sa poitrine lorsqu’il accuse son rôle de Sokar, alias
Souti. C’est le moment où Tanis conquiert le rang de capitale septentrionale et où,
par osmose pacifique ou emprise guerrière, se signalent des changements d’orien-
tation politique, des tendances et des adoptions religieuses étrangères, des acquisi-
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
157
tions néologiques du langage et des formules artistiques nouvelles. On s’accorde
généralement à dénier au collège d’Héliopolis une immixion quelconque dans le
régime temporel de la monarchie malgré les exemples nombreux dans lesquels l’in-
fluence occulte de cette formidable puissance spirituelle se trahit au cours de l’his-
toire. Comment alors expliquer l’attirance subie par toute la XVIII e dynastie vers
le Sphinx de Gizeh, symbole éloquent de la doctrine héliopolitaine ; sa progression
constante vers un monothéisme très ancien en théorie philosophique qui devait
aboutir en pratique au cube exclusif du disque solaire; le prestige croissant d’Har-
makhis contrebalaçant celui d’Amon à Thèbes? Que sait-on de l’attitude du haut
clergé d’Onou du nord et d’Onou du sud pendant l’occupation des Pasteurs et de
son rôle dans la résistance à l’oppression et dans la rébellion libératrice? On ne
peut attribuer à une servilité opportuniste et à une soumission sans réflexe à l’en-
gouement asiatique le fait que l’école théologique d’Héliopolis ait laissé débaptiser
le Sphinx pour changer son nom officiel égyptien de Ra-Harmakhis-Atoum-Kheper
sous lequel on le vénéra jusqu’à Thotmès IV environ, contre le patronyme d’abord
populaire de f ^ en l’appellation d’apparente structure sémitique Hourouna
Par un linteau de porte trouvé par Baraize à Gizeh, il est démontré que sous Tout-
ankh-Amon cette nouvelle dénomination du Sphinx était déjà officiellement re-
connue. Le grand faucon de granit rose découvert par Montet et Bûcher à Tanis
et qui porte ce texte : 1iO»1lf£Î^O;Ï!i(IiP+3IY“JSI>gaiJW+3
^ témoigne à son tour de cette admission officielle du
nouveau surnom d’Harmakhis par Ramsès II. Horemheb aurait précédé dans cette
voie ses successeurs en prenant pour nom de couronnement le vocable Houroun-
em-heb et le peuple, suivant l’exemple venu de si haut et de si loin,
écrivait à Thèbes au temps des Ramsès, dans la tombe n° 2 de Khabekhnet à Deir
el Medineh ce proscynùme original :
VnV Tf *3! V 'T* etc., dans lequel Atoum-our-n synonyme de
Ra-Harmakhis-Atoum-Kheper ressemblerait étrangement, malgré la différence gra-
phique, à Hor-n du cartouche d’Horemheb et rappellerait l’ancestrale dénomination
Our du dieu primordial héliopolitain.
De plus, la plèbe des nécropoles thébaines gravait sur ses amulettes (voir les amu-
lettes Am. 33-34 et Am. 34-35) cette double identification : Harmakhis ou Har-
siésis faucon égale Hourouna et Ilourouna égale Ched f*L
(l) P. Montet et P. Bûcher, Ketni, t. V, p. 1 a et Revue Biblique, t. XLIV, 1 9 3 5 , p. 1 3 5 - 1 65 . « Un dieu
cananéen à Tanis : Houroun de Ramsès». R. Weill, Revue d’Egyptologie, t. III, p. 1 67 ; Albright, American
Journal qf semitic Languages, 53 , 1936, p. 1-1 a ; G. Posener, Journal of near Eastern Studies, vol. IV, n° 4 ,
octobre ig 45 , p. a 4 o : Houroun, nouvelles mentions de cette divinité.
Autres mentions d’Hourouua : W. Spiegelrerg, Recueil de Travatt-r, 1895, p. i 58 ; Geschaftsjoyrnal
eines aegypdschen Beamten (Papyrus de Turin 19 /a) xyurivsiA* (sphinx de Gizeh) ;
158
B. BRUYÈRE.
Cette dernière égalité serait pour l’hypothèse asiatique de l’origine de Ched un.
argument sur lequel il n’avait pas été tablé et qui présenterait pour elle une adjonc-
tion de vraisemblance importante a 'priori.
Cependant il importe de se rappeler que le Sphinx, gardien de l’horizon occi-
dental, n’est pas seulement Hor-em Iakhouti mais encore un des deux lions
Aker, le lion Sliou souvent appelé Hou | ^ J W, tantôt déterminé par le signe géné-
rique divin : J , tantôt par le signe précisant son aspect coutumier : m ^ (qui le
classe parmi les batailleurs : | ^ v— < ■ et les dispensateurs de pro vende alimentaire :
l> re-
cette identification de Hou, l’un des deux Rourouti au Sphinx de
Gizeh, c’est-à-dire de Shou à Harmakhis était d’assez ancienne date pour que l’idéo-
gramme léonin ait pu, à la longue, acquérir une valeur phonétique dans la langue
parlée populaire et se prononcer suivant les temps ou les régions Rou ou Lou. Quant
à la terminaison nu ^ ou » ^ ajoutée seulement, semble-t-il, vers la fin de
la XVIII e dynastie, elle proviendrait, pourrait-on penser, du rappel de cet Horus
solaire des premiers âges de la civilisation égyptienne qui avait émigré chez les
troglodytes palestiniens de Beth-Hourroun ® et serait revenu à son point de
départ avec un indice de naturalisation chaldéenne à la faveur de l’immigration
pastorale.
La graphie Hourouna ( Hou : |^, Rou :■ Na : attestée par le linteau
de Tout-ankh-Amon, par des stèles découvertes autour du Sphinx en 1982, par les
amulettes de Deir el Médineh et par le Papyrus magique Harris, appartient à une
époque allant de la XVIII e dynastie à la XX e dynastie, c’est-à-dire pendant toute
la durée de la vogue de l’asiatisme. Il est admis aujourd’hui que la prononciation
courante de ce nom était Hou-l-n et nous avons déjà fait remarquer que de nos jours
Mariette, Monuments divers, t. 53, | ^ 7** * Tmî. î D. Mallet, Le Kasr el Agouz, p. 45,
Chabas, Papyrus magique Harris , p. 125 (identifié au loup Anubis) :
^ P’ 1 ^ 1 (p our fermer la bouche au crocodile) : | P- 1 3 7 (fe brave Hourouna) :
I \ "iT* E’adjonction de ^ sous la forme de la couronne rouge de Basse Egypte après les
noms des deux dieux héliopolitains Atoum et Horus (WZ dans les deux
exemples cités ici, n’est pas semble-t-il de nature purement phonétique car on peut remarquer, sous
la XVIII e dynastie, très orientée vers Héliopolis et le sphinx de Gizeh, au quadruple nom de : Rè-
Harmakhis-Atoum-Kheper, que Thotmès II, dont le cartouche prénom est : © J -jj! * — * ; écrit souvent ce
prénom : © m ou encore : © J jfj ^ . Il paraît donc impossible de ne point voir là, comme pour
notre stèle de Xi ® , l’indication de la domination ancestrale des dieux héliopolitains sur le
pays de la couronne rouge (voir B. Bruyère, Le Temple funéraire de Thotmès II).
< l) Ev. Bergmann, Aegypt . Zeitsch VIII, 1880 , Varia. (Le Sphinx se dit Hou. et aussi Seskep ). Les stèles
n os 63o3 à 63o5 de Gizeh, au Musée du Caire sont dédiées au sphinx
( 2) La Stèle n° 63o4 du Caire remplace le lion par un sphinx dans le nom de | ^ (époque
Thotmès IV) Il en est de même à l’époque Saïte sur la stèle de la fille de Chéops (J. E. 2091 ) jj
^ V. Loret, Bulletin de T Institut français , t. III, p. 1 - 2 4. Horus le faucon.
c
Evergète
159
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEIl (1935-1940).
encore les Arabes modernes appellent le Sphinx : Houln, abréviation de : Abou el
Houln, Aboul Iiol, qui se traduit par : le père de la terreur (’L
Cette identification de Ched au Sphinx consacrée par le vocable commun Hou-
rouna et opérée par l’assimilation préalable d’Harsiésis à Harmakhis n’aurait-t-il
pas plus de chances d’avoir été l’œuvre du collège théologique d’Héliopolis que
l’entérinement par celui-ci d’un ordre venu de l’extérieur et imposé par une pression
officielle ou un élan populaire?
La faculté d’absorption systématique et centralisatrice de la plus vieille école reli-
gieuse d’Egypte, ses tendances d’unification monothéiste se sont assez souvent mani-
festées en toute indépendance pour qu’on ne lui impute pas sans examen une mesure
opportuniste de sujétion directe ou indirecte à des ordres venus du dehors. Si les
Reshep, Qadesh, Astarté et autres sémites ont acquis droit de cité, ils n’ont pas été
comme Ched, Hourouna et même Bès, plus ou moins incorporés par Héliopolis dans
les mythes nationaux et la conclusion s’imposerait de donner à ces derniers un brevet
de nationalité égyptienne qu’on ne peut accorder aux autres.
La critique des légendes et des textes gravés sur les monuments de Ched tentera
sans doute de confirmer cette opinion.
La statue n° 943 1 bis du Musée du Caire fait dire à Ched : «Je suis issu de
Chemmis», Bien fi ue cette détermination de lieu soit imprécise, étant
donné la pluralité de sites homonymes revendiquint la gloire d’avoir abrité l’enfance
d’Harpocrate, il est concevable qu’il s’agit ici des marécages de Bouto et il résulte
de ce court texte que Ched et Harpocrate ne font qu’un. (Il est même précisé que
l’apparition du jeune Horus eut lieu à Chemmis au mois de Payni, deuxième mois
de Shemou, c’est-à-dire vers nos mois d’avril et de mai).
Ce qu’il pouvait y avoir d’indéterminé dans le texte de la statue du Caire se trouve
heureusement corrigé par la précision d’origine donnée par celui de 1 autre statue
du Caire, n° 4634 1 :
Ched venu de Chedmou qu’il a quitté le matin J ^ ^ , *V © V 0
et par celui de la stèle magique n° 4 1 du Musée d’Athènes qui le confirme : Chedenou
qui enfanta Hor-Ched-Rè “
(l) Ceci est à rapprocher du nom de * «Le seigneur de la crainte» que porte un
génie à télé de lion dans les tombes n os 42-, 43. 44,52 de la Vallee des Reines.
« Sur la stèle n° 4356g du Caire, trouvée au temple de Deir el Médineh en 1912 par Baraizc, le
dieu crocodile Sebek de Chedet (Crocodilopolis) : lî
écriture fautive qui est un des exemples de lapsus calami commis par les lapicides thébains et qui mani-
feste une confusion de Chedet et de Chedenou en employant la fléché ssr t=sn=i P pour le coup de
flèche ét et celui-ci pour sd ^ tirer. La graphie : p 0ur ^ Che-
denou faisant intervenir le crocodile comme complément phonétique avec le son d comme dans ^ ïd
établit d’autre part un parallélisme entre Chedenou et Chedet qui pouvait prêter à confusion, si toutefois
il n’y avait pas d’autre raison d’ordre mythologique d’assimiler ces deux villes qui adoraient le dieu
crocodile.
160
B. BRUYÈRE.
La ville de Chedenou, alias Horbeit ou Pharboetos, proche de Fakkous et par
conséquent non lom de Tanis, comprise dans le nome Onouphite, partie du nome XV
Hermopolite, adorait le crocodile Sebek (comme Crocodilopolis — * du Favouml
et la magicienne guérisseuse de Ro-nefer TT*;. l’Isis Ourt-Hdcâou, tenant en
mains les serpents et les scorpions. Chedenou tient une place importante dans le
mythe d Horus. S. dans son voisinage Osiris fut mis à mort et immergé dans le Nil,
c est a Horbeit que Ne eratoum, variante locale d’Harpocrate, sortit à Faube du cœur
e a plante Senout <>>, ce que traduisent les deux textes précédents en assimilant
ed a Neferatoum. La aussi on adorait Hormerati y—, l’Horus aux deux yeux,
ffieu^nveujp, victorieux des animaux nuisibles du désert comme son confrère :
Nous verrons plus loin, à propos d’un rituel du culte d’Aménophis I-, une allu-
sion significative à Hormerati et à l’œil magique Oudjat dont il va être question au
sujet de notre stèle n° n 9. 1
Les deux monuments précités, statue n" 4634 1 et stèle magique n“ 4i ajoutent
qu Harsiesis est le seigneur d Ilebenou : ' K H J V® (2) > * om el Ahmar près
e Mmieh et capitale du nome de la gazelle «, L’identité d’Harsiésis et de Ched
est établie par leur confrontation fréquente sur certaines stèles, tantôt sur la même
ace de 1 objet tantôt l’un sur l’avers et l’autre sur le revers de quelques amulettes,
ogiquement d ailleurs, elle découle de celle de l’Horus, fils d’Isis et d’Harpocrate
La legende assez curieusement orthographiée de la stèle n« 118 de Deir el Mé-
t mei atteste que : Ched de Habeni, dieu grand, prince de Vénnéade des dieux, est venu
desdeserts avec l Oudjat mm pour exorciser par deux fois celte demeure : -V ' | — V
. v-:©.- ' ra k
Sans doute une ««possibilité grammaticale empêchera les grammairiens modernes
de reconnaître Hebenou : [J Y. dans Habeni : n JJ" car l’esprit de certaines
consonnes semble n avoir jamais été interchangeable dans la langue écrite. Même
dans la langue parlée de Haute-Egypte, où l’adoucissement de certaines consonnes
dures de Basse-Egypte est un fait indéniable, il apparaît philologiquement difficile
d admettre I échange de ra pour jj.
* x '’ '• F’ »* = L. plante nraghpre d, «.fera, eu,».
' ,, £ ’LT T? JJjT’ 'et ’ 0 "“ b " ‘ 933 ’ "• 3 ’ F befer-Toum .1 ütabès.
1 H î”°“ : ; H ' b “ 01 ' 1,0ud i al qui délivre du sortilège,
Par® rl S r H k * ** Ce qU1 donne a Harsiésis et à Ched des attributions de mapiciens
Par jeu de mots Hebenou est appelée dans le Grand Papyrus Harris ..ivfVlU, Le due ,
du faucon de ta gazelle q ui eut lieu à Hebenou au,,’, fai, perdre? fifjp' 'ieVoudt, nu
Thot lui rapporta, mentant ainsi le titre de sauveur de Rè. J 1
n Cf. K. We,n et P. Joucuet, Mihng,, Mujme, p. 8,-,o4 ; Horus-Apollon au Kém el Ahmar de
ü " *• d ' Hebeno " 0 &. : 4 ; «•*«« du t™„, pL„eur, don, PHorus,
seigneur de 1 Oxyx et vainqueur de Seth devint Apollon à l’époque grecque.
161
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
Pourtant, si invraisemblable que cela soit, il faut se résoudre à accepter provi-
soirement cette lecture fautive, puisque aucun dictionnaire géographique ne men-
tionne encore un lieu nommé Habeni. Pour y parvenir, on doit d’abord admettre,
en se basant sur de nombreux lapsus calarni commis par les scribes et lapicides de
nécropoles, que les graveurs de stèles, dans la plèbe illettrée de Deir el' Médineh,
connaissaient mieux les règles de leur art que celles de la syntaxe. Eux et leurs clients
ignoraient généralement la géographie et la mythologie de leur pays et ne s’effrayaient
pas des libertés orthographiques prises par les copieurs de textes, pourvu que le but
utilitaire de ces textes fût atteint. Acceptant donc que Habeni et Hebenou soient
identiques, on a une nouvelle confirmation de la similitude entre Harsiésis et Ched,
l’un étant par définition le chef de la seconde ennéade et l’autre portant ici ce même
titre dans le même centre cultuel : itrm ou ^ a •m- Ensuite il est dit que Ched
est venu des déserts (d’aucuns diraient : des pays étrangers). Si ce n’est pas l’indi-
cation d’une extraction exotique conforme à la théorie de Loukianoff, c’est au moins
celle d’une provenance orientale car Ched ne peut venir à Hebenou que des déserts
de l’est puisqu’il est venu le matin en sa qualité de dieu de l’aurore.
Il est venu avec l’Oudjat sain, l’œil droit, c’est-à-dire le soleil journalier, ce qui,
d’abord, revient à dire que Ched est ce soleil matinal issu de l’horizon désertique
de l’Orient. Ensuite cet Oudjat, qui va de ses rayons chasser lès puissances hostiles
des deux parties nord et sud de la demeure royale par la vertu magique dont Isis
l’a doté, c’est celui que Seth avait ravi au jeune Horus dans les marais de Bouto
et qui revint intact des déserts orientaux (ailleurs on dit d’Ethiopie).
Nos stèles n os 119, 238 , J. C. I. et l’amulette n° 1472 de Turin apportent de
nouvelles indications géographiques sur la résidence de Ched. Elles disent : Ched
est le grand dieu de la bourgade Hetep-Rè.
Le texte malheureusement dénaturé par la dégradation de l’amulette de Turin,
autant que l’exprime sa reproduction par Lanzone, donne cette lecture presque
intraduisible : ^ J ' — ' ^ I ) © fL! ■ (Loukianoff propose : J Û \ f ~?)-
Dédiée à la triade de Latopolis (Esneh) composée ici de Chnoum criocéphale,
de Menhit léontocéphale et de Ched Harpocrate, l’amulette pourrait faire allusion
à Syène surnommée première ville égyptienne rencontrée par l’Oudjat en
venant des sables désertiques du sud-est Û).
L’emploi constant de l’article féminin devant le mot )* nous oblige à tra-
duire celui-ci par bourgade car les Ouhouit ] ^ f e ^ f U sont en effet
(l) A Philæ une confusion entre Harpocrate et Horus l’aîné se constate au temple d’Hor-hems-nefer.
Harendotès, vengeur de son père Osiris y est identifié à llor-hems-nefer, jeune Horus accroupi, qui n’est
autre que Shou et lequel devient à Ombos Her-our défenseur de son père Rè (G. Daressy, Annales , 1917,
p. 76-80 : légende d’Ar-hems-nefer à Philæ).
(a) Worterbuch et H. Gauthier, Dictionnaire Géographique , I, 20/1. Brugsch, Dict. géog. Papyrus Gole-
nischeff : Un des campements nomades que la stèle de Piankhi désigne sous le nom libyen de : s=> JJ 1
162
B. BRUYÈRE.
des bourgades de nomades, des douars ou campements mobiles de bédouins errants
dans les déserts orientaux. Par ce terme sont encore désignés des groupements
parasites de masures et de tentes formant une zone autour de certaines villes des
marches de l’est, comme Tanis par exemple, ou auprès de cités importantes attirant
vers elles un afflux cosmopolite. Ces Ouhouit peuvent aussi se montrer aux frontières
arabiques comme des agglomérations passagères de pâtres en transhumance d’un
côté ou de l’autre de la ligne de démarcation territoriale.
Dans le chapitre à réciter pour la libation de Rè et pour la fumigation qui la suit,
le Rituel du Culte d’Aménophis I er (Ù contient une sorte de curtius vitae d’Horus
où se rencontrent des localisations géographiques des principaux épisodes de l’en-
fance d’Horus. Elles ont été interprétées de différentes façons par les divers savants
qui en ont présenté les traductions. On voit dans ce texte que Cet Horus, grand parmi
les grands, c’est-à-dire les anciens : ayant été malade
après l’attentat de Seth, recouvra son Oudjat (en vie, sain) qu’il tenait de sa mère
Isis Elle le lui avait donné dans : (\) ) X^X! ! ! X.- Cette lecture par A. Gardiner
du Papyrus Chester Beatty, n° IX non contrôlable par absence de photographie, et
sa traduction : Djebat-Aarit diffèrent essentiellement de la lecture : ( V) ) P ! ! . J
H ~ et de sa traduction : à l’aide d’une négresse instruite proposées par G. Daressy
et W. Golénischeff pour le papyrus du Caire et vérifiables par une bonne reproduc-
tion photographique (Golénischeff, pl. XXV, p. vin, 1. 2).
La version Gardiner correspondrait à ce passage des Textes des Pyramides (7.3Ô abc ) :
J - ^ X C’est le prototype des rituels d’Aménophis I er et il y est aussi ques-
tion de la naissance, de l’éducation et de l’allaitement d’Horus par Isis.
On y retrouve le même Djebaout que mentionnent : la pierre de Palermc : ] JX’
le temple de Sahouré : J )X« la tombe d’Hor Ilotep : jVXX dont ^ a g ra phie
complète est : < ) J - ^ ' Q . Les dictionnaires géographiques la donnent comme
une localité de Basse-Egypte souvent citée comme étant la patrie du dieu national
de Basse-Egypte, Horus, et située près de Bouto dans le XIX e nome.
Etant donné ces parallèles et l’absence de l’article féminin devant ] X dans
le Papyrus Chester Beatty, Gardiner aurait raison de lire Djebat plutôt que Ouhout,
d’autant plus que les détails particuliers apportés par les dictionnaires géogra-
phiques font de ce lieu proche de Chemmis la patrie d’Harpocrate. Le mot Aarit
© s’appelle e miâitjip:- Il était situé à la frontière héracléopolitaine du XIX e
nome (Oxyrrynque) et rappelait aussi la victoire du faucon sur la gazelle grâce à l’intervention d’Ari-
Shepses dieu d’Oxyrrynque.
(1) G. Daressy, Annales , 1917 , p. 97 - 122 . Rituel des offrandes à Amcnhotep I er (XIX e dynastie);
A. Gardiner, Hieratic Papyri of the British Muséum , 3rd sérié, vol. I, p. 88 ; (. Pap . Chester Beatty ),
n° IX. *
W Hormerati, Horus aux deux yeux, rappelle dans Chedcnou la guérison d’Horus après l’attentat
de Seth.
163
FOUILLES DE DE1R EL MÉD1NEH (1935- 1940).
— ici joint au mot Djebat n’est pas traduit par Gardiner qui se réfère au
Papyrus du Caire (où Daressy le voit écrit : ^ 1 1 ~ et Golénischeff ^ 1 1 X)
il lui donne le sens, sans relation apparente avec Djebat, que Daressy et Golénischeff
admettent d’après Plutarque. En le faisant dériver de : ^ -v ils retrouvent en effet
dans IP! G -X_ une a H us i° n à la reine d’Ethiopie Aso qui aurait, selon la
légende, aidé Seth dans la perpétration du meurtre d’Osiris. Entre les deux versions
proposées, si l’on écarte de la discussion, pour le point de vue qui nous intéresse,
celle du Caire qui est satisfaisante en elle-même et si l’on ne considère que l’autre,
on doit donner à Aarit une signification en rapport avec le lieu géographique Djebat.
On sait que l’édicule de briques Q de Basse-Egypte était la résidence d’Horus
fils d’Isis à Bouto et se nommait Djebat ^ J ^ ]. Le Worterbuch donne de ce mot
Aarit les sens de porte et de siège de gouvernement : 3 Ëyi’S:!!c"]’XX!!rî]-
L’un et l’autre pourraient convenir pour la localité proche de Bouto et située à la
porte de l’Orient, c’est-à-dire à la frontière de l’est, qui était, en sa qualité de patrie
du dieu national, le siège spirituel du gouvernement de Basse-Egypte. Enfin, si malgré
l’absence de l’article il fallait attribuer à ) X la valeur \ | « X et en ^ re un
campement de nomades dans lequel se serait écoulée l’enfance d'Horus, on pourrait
concevoir que Ouhout-Aarit ) XXX ! ! X- un douar frontalier de l’est, quelque
chose d’analogue à ce château du départ 0 ^X’ Hatouart, Avaris, qui aurait joué un
rôle semblable dans le Mythe d’Horus.
Les Rituels du culte d’Aménophis I er citent ensuite le lieu Sheaâdi °ù>
d’après Daressy, Horus aurait placé sa retraite. Dans les textes d’Edfou, c’est le nom
du Ouou du XXII e nome : ^ dont la métropole s’appelait le Château de la nour-
rice = QXXXÉ©- Ce nome qui, selon son enseigne, devait comporter une île et
par conséquent un lac, se situait effectivement dans la région marécageuse du lac
Bourlos où la ville de Baltim dont le nom sacré : J *= Jb * analogue pour le sens
à irà : l’abordage, avait pour patronne jXT"XXiAXUâX.£>e :
Isis maîtresse de Dar as djebat dans la place de V horizon dans le marais (Daressy, La porte
de Baltim, Annales, 1-9 1 7,. p. 276)
Sheaâdi serait alors comme une sorte de lac sacré sur les eaux duquel la barque
du matin eut son port d’attache ou son point d’embarquement.
Ces rituels ajoutent plus loin qu’Horus reçoit de son père Osiris une libation sur
la rive orientale de la Grande Verte qui encercle les Hanebou 1 ,r. ~ v f'|
et que les souffles de vie lui arrivent de cette rive orientale de
la Grande Verte ^ J J ^ ^ Gardiner pense que
Ouadj-Our ne peut désigner que la mer Rouge, «malgré la mention des Hanebou,
1,1 Par exemple on lit dans G. Lefebybe, Petosiris, Annales du Service des Antiquités, XXI, p. a3i :
«Je fis que s’y reposât Rè le nourrisson natif de l’ile du feu» : . . . tO. $ :-~iu
V-lWMfc-
2 ) .
164
B. BRUYÈRE.
habitants des Iles méditerranéennes et malgré l’application de ce nom à la Médi-
terranée depuis la XVIII e dynastie». Daressy juge plus prudent d’employer le terme
moins compromettant d’Océan. En réalité les Hanebou n’ont pas toujours été con-
sidérés comme des insulaires égéens. Ils furent pour les Egyptiens du Nouvel Empire
les naturels des îlots parsemés dans les lagunes du lac Bourlos à la pointe orientale
du Delta, c’est-à-dire sur la côte méditerranéenne. (Les llaou nebou
peuples du nord où la résidence d’Horus était une hutte de briques n D P ro "
tégée parla déesse Merit du nord s’opposeraient au Neterou nebou ""| 1 1 T 7 Î peuples
du sud où la résidence de Seth était une hutte de clayonnage “| <=* ^ gardée par
la déesse Merit du sud. Ces peuplades méridionales de la terre divine : ~
d’existence légendaire, furent assimilées aux mânes tandis que les sujets septen-
trionaux d’Osiris restaient les
Pour nos stèles de Ghed, il ne peut y avoir aucun doute au sujet du sens à donner
au mot ) 7. Il n’en est pas de même du terme Hetep-Rè : ® La longue digres-
sion qui précède nous amène, par son rappel des mythes agraire et solaire, à situer
si possible la bourgade nomade dont Ghed est originaire. Les autres villes men-
tionnées ayant eu toutes une existence réelle, il est difficile de supposer que
seule Hetep-Rè aurait eu une existence fictive purement mythologique et n’aurait
signifié que le lieu forcément oriental où le soleil Rè 0 • se repose ^ avant son lever
matinal. En bonne logique, sa position géographique présumée ressortirait à la
toponymie générale de la contrée des marches orientales. La zone orientale du Delta
s’appelle en effet : La Zone de Rè : ^ ^ ^ 7 -! T ’ la branche pélusiaque
traversant les lacs se nomme : L’eau de Rè : ^ ^ W ZI? une
ville de cette région s’intitule : -*»- ÿ ^ ^ Y
De Rougé mentionne à Sakkarah une fonction exercée par Ti dans le temple
d’Hetep-Rè près de la ville de ce nom. Mariette signale ce temple solaire dans la
liste des sanctuaires du soleil inscrite à Àbydos et enfin Brugsch, imité par H. Gau-
thier, cite ce même temple qu’il suppose être celui d’Àbousir entre Gizeh et Sak-
karah. Abousir étant sur la rive libyque du Nil à la limite des déserts occidentaux
ne semble pas répondre en tant que Hetep-Rè à une Otihout généralement localisée
dans la partie orientale du pays W. II conviendrait plutôt de chercher ce lieu dans
une région voisine de toute autre contrée limitrophe du désert d’Arabie, dans laquelle
se circonscrit l’enfance d’Horus. Toutefois, ajoutons ce correctif, que les Ouhouit, si
elles sont principalement des groupements mobiles de peuplades venues de l’Orient,
sont aussi des agglomérations parasites, composées peut-être de nomades orientaux,
fixées temporairement autour de certaines grandes villes situées aussi bien à l’ouest
qu’à l’est du Nil.
Gependant notre stèle n° 118 et surtout l’amulette n° 1472 de Turin précisent
O Abousir du Delta, à l’ouest d’Alexandrie, est aussi à éliminer pour la même raison.
165
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940).
que Ched est le Prince des Déserts : 1 ^ (des pays étrangers dit-on W aussi) titre
dans lequel on reconnaîtrait volontiers l’appellation donnée par les Egyptiens aux
envahisseurs venus d’Orient. Harsiésis, qui n’est pas un Hyksos, se pare sur la
stèle n° 1 19 d’un titre analogue pour le sens sinon pour la prononciation :
et Harsiésis n’est autre que Ghed. Ainsi catalogué par la crosse pastorale des bergers
libyens comme un prince autochtone, et par les trois montagnes, comme régissant
les sables désertiques qui entourent la vallée du Nil, Ched ne saurait être arbitrai-
rement considéré comme un immigrant asiatique introduit en Egypte par les Pasteui’s
malgré le texte de la stèle n° 118 :
En dehors de sa personnalité propre, d’autres indices ou même d’autres preuves
de sa nationalité peuvent venir de l’énumération des membres de sa famille.
Les renseignements sur sa parenté donnés par ses monuments sont les suivants.
La stèle de Tell el Amarna acquise par VEgypt Exploration Fund, la stèle n° 119,
la stèle J. C. 1 lui donnent pour mère Isis ; l’amulette de Turin lui attribuerait l’Isis
de Latopolis, la lionne Menhit.
Les stèles n os 119, 238 , J. C. 1 présentent une triade artificielle composée d’un
dieu père : Harsiésis, d’une déesse mère : Isis et d’un dieu fds : Ched.
L’amulette de Turin donne le rôle paternel à Chnoum, variante méridionale de
Ptah-IIapi, dieu créateur et dieu Nil comme Osiris.
Ce. sont là seulement de ces combinaisons, nombreuses dans la mythologie égyp-
tienne, dans lesquelles un dieu peut devenir son propre père ou son propre fils
ou encore le mari de sa mère. Elles résultent de spéculations purement intellectuelles
pour répondre à un besoin accidentel de peupler un nouveau sanctuaire ou pour
satisfaire une exigence de doctrine.
En réalité le père primitif de Ched est Osiris, puisque Ched est llor-si-Isis ou
Harpocrate ; mais ensuite chaque école théologique, revendiquant toujours le moindre
B. Bruyère, Rapport de fouilles à Deir el Medineh , Village, 1 g3â-i g35, p. 807, fig. 178 ; G. Daressy,
Bulletin de l’Institut français, t. XI, p. 99. Les sarcophages d’El Kantara : époque romaine. Le Pacha de
Zarou, prince des pays de KheDt Abet :
L’enseigne de Neferatoum est placée à gauche d’Harpocrate, la gauche étant d’après l’orientation
égyptienne l’est où règne Neferatoum, La droite ou l’ouest est marquée par une colonne papyriforme
Ouadj surmontée d’un faucon. Au Livre des Morts , Horus est parfois surnommé Ouadj : le vert. Ici c’est
Horus le grand : Haroeris dont le temple à Edfou est sur la rive occidentale. Les textes des stèles ma-
giques disent pour renseigne de Neferatoum : « Neferatoum qui protège les deux terres, scelle la bouche
de tout reptile mordant, sur la terre, exerce ses charmes pour Osiris en toutes ses demeures». Pour l’en-
seigne d’Horus : « Horus le grand, maître du ciel, qui exerce ses charmes sur l’eau et la terre et scelle
la bouche de tous les reptiles qui s’y trouvent». Parfois k colonne Ouadj et le faucon couronné de deux
hautes plumes droites sont remplacés par un génie mumiforme hiéracocéphale debout et la tête sur-
montée d’un disque solaire. Harpocrate tient généralement un lion à gauche et une gazelle à droite avec
deux serpents dans chaque main ou deux serpents et un scorpion. Il marche sur deux crocodiles affrontés
ou entrecroisés, tournant la tête ce qui est impossible aux sauriens. Le nombre des crocodiles varie de
deux à six (Stèle du Louvre; Guide C. Boreux, t. II, p. 5 20, pi. LXX).
16G
B. BRUYÈRE.
avantage en faveur de son démiurge et de sa cour céleste et accaparant toute nou-
veauté capable d’augmenter le prestige de son panthéon, on assiste d’une part à
la prise de possession de Ched par Héliopolis où alors, assimilé à Shou, il devient
le fils d’Atoum-Rè et plus simplement de Rè.
L’école indépendante de Memphis ne pouvait rester indifférente; aussi s’em-
pare-t-elle de Ched et elle déclare dogmatiquement que Ched a été engendré par
Ptah ou formé par lui, ainsi que l’amulette n° 9^27 du musée du Caire nous l’ap-
prend
Cela était d’autant plus facile que Ched s’identifiait à Neferatoum dans Chedenou
(Horbeit) et que Ptah avait déjà pour fils adoptif Neferatoum d’Horbeit dont l’en-
seigne se place toujours à la gauche d’Harpocrate sur les stèles magiques de basse
époque W. Héliopolis revendiquait aussi cette incarnation de la seconde vie d’Atoum
(le mot nej'er signifiant ici jeune pour attester le rajeunissement d’Atoum par raison
de pérennité divine).
Ces adoptions d’héritiers dans les diverses théogonies étaient toutes basées sur
la filiation osirienne de Busiris et tous les rejetons divins n’étaient que des variantes
d’Horus, fils d’Isis. Ched ou Hor-Ched, devenu le fils héritier de Rè à Héliopolis,
est ainsi identique à Neferatoum.
De tous ces liens de parenté qui témoignent pour Ched d’une nationalité égyp-
tienne alors que Reshep, Bès et les autres immigrés n’ont jamais pu se rattacher
à une généalogie autochtone, un des plus intéressants au point de vue du rôle pro-
phylactique du dieu sauveur paraît être celui qui fit de lui le fils de Ptah.
Evidemment, de sa mère Isis, la grande de magie, il tenait, par son côté osirien,
la science occulte des enchantements; de son assimilation à Shou, il acquérait les
mêmes dons de charmeur en héritage de Rè; mais c’est surtout son entrée dans la
famille memphite du grand thaumaturge qui lui permit de se joindre à la lignée
des magiciens, d’abord Neferatoum et plus tard Imhotep, médecins des corps
et des âmes, habiles à subjuguer les forces nuisibles de Seth cachées sous les formes
animales. L’épithète : aux transformations nombreuses que la stèle n“ 119 applique
(1) Des textes des temples de Deir el Bahri, de Deir el Médineh, du Kasr el Agouz, de Karnak, etc.
disent qu’Imhotep fut aussi créé par Ptah dans le même but de rédemption que Ched. Imhotep, qui fut
à l’origine une épithète de Ptah («celui qui vient pacifier»), se dissocia et se personnifia au plus tôt au
Nouvel Empire, peut être après Ched. Venir en paix ou en pacificateur est le sens qu’on donne de pré-
férence à ce nom plutôt que celui de venir en offrande, quoique le don fait par un dieu de son fils bien
aimé pour sauver le genre humain soit en même temps qu’un gage de paix entre la divinité et l'humanité,
une véritable offrande allant jusqu’au sacrifice. Khonsou-Neferhotep est une autre incarnation divine
de ce même esprit de philanthropie et la stèle de Baktan consacre les dons guérisseurs de ce fils d’Amon-
Rè. L’épithète An-hotep : souvent appliquée sur des stèles de Deir el Médineh à Ptah,
Thot, Shoü, Harmakhis, les range parmi les pacificateurs et les grands thaumaturges. Aménophis I er ,
Amenhotep fils d’Hapou qui ont aussi le mot Hotep dans leur nom, furent également considérés comme
des saints guérisseurs. Plus tard à Athribis Zedher fut aussi appelé le sauveur JTX2J
(G. Daressy, Annales , XIX, p. 66).
FOUILLES DE DEIR EL MÉDINEH (1935-1940). 167
à Ched est une qualification laudative gratuitement donnée à beaucoup de divinités
en imitation du dieu soleil qui, entre le couchant et le levant, subit dans son cycle
nocturne des métamorphoses successives et variées. C’est pour Ched par identifi-
cation à Kheper J d’Héliopolis une affirmation du pouvoir qu’il détient, de se
livrer à des métempsychoses sans nombre pour venir à bout des ennemis de son
père. Elle est confirmée, sur les stèles saïtes, par le gorgoneion de Bès dont Harpo-
crate peut se masquer et ressembler de la sorte aux statuettes de Thèbes et du Fayoum
représentant un enfant nu à tète de Bès W. Elle l’est encore davantage par le dégui-
sement en dieu Panthée aux multiples aspects empruntés à tout l’aréopage des puis-
sances célestes les plus sollicitées en cas de danger ( 2) et par la longue liste de ces
dieux figurés sur les stèles d’Horus aux crocodiles ou mentionnés sur le Papyrus
magique Harris. Quand il dit de lui-même ou qu’on dit de lui qu’il est Ptah, Thot,
Amon, Harakté, Anubis, Hourouna ou tout autre personnage divin < 3) , il prend à
chacun de ceux-ci les vertus qui lui sont propres, se revêt de leur apparence et use
de leur pouvoir particulier pour vaincre l’adversaire et sauver celui qui l’implore.
Le meilleur des artifices que le charmeur peut mettre en jeu est VOudjat dont sa
mère l’a pourvu dans Djebat-Aaril et avec lequel, sur la stèle n° 1 1 8 il vient chasser
toute malfaisance hostile des deux moitiés nord et sud du temple (orienté Est-
Ouest) : 4 " ! T i-r-r ° V i
Cet Oudjaly qui est le plus efficace des charmes magiques et qui pour cela prend
une telle place dans les textes et figurations religieux et funéraires, nous le voyons
sur le recto ou le verso des stèles magiques saïtes, sur le verso de notre stèle J. C. 1,
sur l’amulette n° 9^27 du Caire où le verso représente Anhour-Shou, le faucon
Harsiésis couronné du Pschent et enfin un Oudjat posé sur un socle élevé. Il est dit
au Papyrus magique Harris que cet œii renferme l image de Shou-Onouris qui est celle
de son père Rè. II surmonte parfois le Patèque Kheper, ce nain Nemou, esprit du Nil
et fils de Ptah, se confondant avec son père et appartenant comme Ched, Neferatoum
et Imhotep à la génération de magiciens issus de Ptah. L 'Oudjat, c’est en définitive
t 1 ) H. R. Hall, Journal of Egyptian Archaeology , 1 9 1 4 . The Relations of Aegean with aegyptian Art, pi. XXXIV.
F. Petrie, Kahun, Gurob, Haivara, 1890, pl. VIII, fig. i 4 ; G. Rrunton, Sedment , t. I, pl. VII à XI, XVII,
XXVI, XL, XLII, n° 7; Glotz, Dictionnaire Daremberg-Saglio, II, 1622, «Gorgone» : Le prototype du
gorgoneion est oriental, hittite.
W A. Moret, Horus sauveur , op , cit., planche représentant le Panthée.
(*) Comme autres assimilations il faut citer celles de Ched à Seped, à Chnoum, à Min, au poisson Abdou,
à Hershaft. Seped dieu de l’ouadi Toumilat est le « seigneur des peuples étrangers» de 1 est, c est-à-dire
des déserts orientaux, assimilé de bonne heure à Horus dans le district de Fakkous où se trouve Che-
denou et où les Bné-Ibrim immigrèrent en premier lieu. Il est l’annonciateur du soleil levant et on le
représente sous les formes d’un lion, d’un faucon ou d’un garçon prénubile. Le poisson Abdou, fils
d’Isis, frère aîné d’Horus, fut allaité par Neith. Il est le poisson pilote de la barque de Rê. C’est encore
le Latès de Latopolis (Esneh) d’où vient l’amulette de Turin i 4 7 2 . Il y représente Osiris ou Sokar en
passe de renaître sous les traits d’Horus par le truchement de là magie mise en œuvre par Anubis, Son
épouse la lionne Menhit est une sphinge de même catégorie que Hourouna.
«•a .
168
B. BRUYÈRE.
llorus lui-même, ainsi que l’affirment de nombreux textes tels que ce rituel du culte
d’Aménophis I er dont il a été parlé ci-dessus ou la fameuse légende de l’odyssée
d’Hathor-Tefnout ramenée du Pount par Thot, Shou et Bès (*J. La « Lointaine», que
cette légende fait revenir des sables d’Ethiopie vers l’Egypte sous les traits suc-
cessifs d’une lionne, d’une gazelle, d’une femme et enfin d’Horus, n’est autre que
l’œil Oudjat de Rè qui s’était enfui, plongeant le dieu dans les ténèbres et le désordre
de la cécité.
La version ptolémaïque de cette fable mythologique serait, pense-t-on, la réédi-
tion d’un apologue remontant au moins au Nouvel Empire et sous la trame sur-
naturelle duquel pourrait bien se dissimuler une allusion à des faits historiques
réels dont on ne pouvait, à l’époque, parler qu’à mots couverts.
Le royaume terrestre de Rè, c’est-à-dire l’Egypte, aurait connu un temps de
calamité et de nuit profonde dont la cause, sans être clairement spécifiée, pouvait
être étrangère, comme l'invasion des llyksos. La lumière et le salut seraient revenus
du Sud en la personne d’un jeune llorus, fils d’une mère égyptienne : l’Isis-Hathor.
Dans l’Oudjat sauveur, il faut reconnaître l’Horus Ghed et c’est pourquoi, sur la
stèle Metternich comme dans le Papyrus magique Harris et tous les monuments
guérisseurs des maux physiques et moraux de l’humanité, Harpocrate, Harsiésis ou
Ched s’assimilent en premier lieu à cet œil tout puissant de Rè, cet Oudjat senb fardé
de verte malachite Oaadj que les humains des temps les plus lointains désignaient sur
eux-mêmes et sur leurs statues comme le symbole suprême de l’omnipotence divine.
Pour résumer toute la question, les données archéologiques et philologiques
s’accordent sur les points essentiels suivants : Ched, c’est Harpocrate ou Harsié-
sis, né d’Isis après la mort d’Osiris, donc égyptien de naissance et de famille
libyenne. Formé par Ptah, il affirme de ce fait sa nationalité qui ne peut se confondre
avec une naturalisation. Fils héritier de Rè, il se fait ensuite reconnaître comme
le légitime successeur d’Àtoum et il est en cette qualité l’équivalent de Shou, la
réplique de Neferatoum, pour tout dire, l’Horus solaire antérieur à l’Horus terrestre
du mythe osirien.
Le syncrétisme agissant dans le sens unificateur du monothéisme l’assimile bien-
tôt à Ilarmakhis qui, lui-même, résume en sa personne la quadruple essence d’Har-
makhis, Atoum, Kheper, Rè et qui, sous la forme du Sphinx, totalise les aspects
divers de cet Horus soleil.
Harsiésis-Ched est un dieu enfant, et par conséquent, tout ce qui se rapporte à
lui doit être enclos dans les limites de l’enfance d’Horus. Géographiquement, depuis
les marais de Chemmis où il fut élevé en cachette, jusqu’à son couronnement, sa
(1) H. Junker, Der Auszug der Hathor-Tefnut aus Nubien, 1911 ; K. Sethe, Untersuchungen zur Geschichle
Aegypten : Zur altaegypt. Sage von Sonnenauge, das im Fremde war, 1912, t. V.
Rappelons ici la version du rituel du culte d’Àménophis I er proposée par Daressy et GolenischefT
sur le rôle joué par une reine d’Ethiopie dans l’attentat commis par Seth.
109
FOUILLES DE DE1R EL MÉDÏNEH (1935-1940).
vie s’écoule au Delta, dans les marches d’Orient, dans cette région de l’isthme,
frontière asiatique de l’Egypte dont les déserts peuplés d’animaux sauvages et de
bêtes nuisibles appartiennent en propre à Seth.
Là, dans ces nomes de Khent-Abet, le Sethrdite, de Henensou, l’Infant royal, de
Seped, VHorus oriental , les cités, les bourgades, les routes, les lacs et les canaux,
tous les moindres accidents géographiques portent des noms qui rappellent les
phases de l’enfance d’Horus. Les textes relatifs à Ched ne mentionnent que des
villes de la zône orientale de Basse Egypte : Ilebenou, Chedenou, évoquant des
souvenirs du premier âge d’Harsiésis. Il est probable que la bourgade de bédouins
nomades d’Hetep-Rè se trouve dans cette région où la ville de Zarou, poste forti-
fié sur les rives du She-Hor (lac Ballah ? ou étang d’Horus) est le point de départ
des chemins d’Horus vers le lac Sirbonis W, point terminus de la grande Querelle
et tombeau de Seth. La bourgade Shaadi, port d’embarquement de la barque du
matin et le campement de Djebat-Aarit aux portes de l’Orient, mentionnés dans le
rituel du culte d’Aménophis I er , sont également situés dans le Khent-Abet et cons-
tituent des étapes du cycle horien tout comme Héracléopolis parva (Henensou, Tennis)
et San (Tanis) sur le Menzaleh vers la Grande Verte qui encercle les Hanebou.
En ces contrées, limites des royaumes d’Horus et de Seth, si Horus est appelé
le gardien des portes de l’Egypte : ~ , il se confond avec Seped en leur
commune qualité d’Horus Oriental, épithète appliquée également à Seth dans ce
domaine désertique des marches d’Asie dont Zarou est le centre cultuel.
II se conçoit qu’en vertu de ce parallélisme entre Horus et Seth, de l’influence
prédominante typhonienne qui règne sur ces territoires frontaliers, les mœurs, la
religion et le langage portent une empreinte séthienne indubitable.
La morphologie divine calquée sur celle des habitants de ces lieux donnera par
conséquent à Ched les attributs signalétiques et la vêture des naturels errants dans
les déserts orientaux. Armé, paré et vêtu comme un Satiou, le jeune Harpocrate
combinera les caractères de sa race libyenne et de son âge, avec les - signes distinc-
tifs des indigènes parmi lesquels s’écoule son enfance. Aussi portera-t-il, par une
étrange contradiction apparente, la tête de gazelle frontale et le corselet de bandes
entre-croisées des affiliés au clan de Seth résidant en Asie. La langue des zones inter-
médiaires emprunte aux deux pays limitrophes une partie de leurs vocabulaires
et Horus s’échangera contre Hourouna à certain moment de l’histoire sans pour
cela que soient intervenues des questions comme l’invasion hébraïque, le séjour
du Pharaon à Tanis ou le gouvernorat de Khent-Abet exercé par les ascendants
des ramessides. Le formulaire cabalistique employé par Ched pour subjuguer le
lion est sans doute celui dont les bédouins chasseurs se servent aux ouadi des déserts
arabiques et qu’ils tiennent des Iountiou sédentaires de Palestine.
Clédat verrait le Qem-our égyptien dans ce lac Sirbonis, alors que Naville, sur la stèle de Philadelpbe
à Tell Maskhouta le verrait plutôt à Clysma-Arsinoé.
170
B. BRUYÈRE.
Tout cet ensemble de caractères en apparence contradictoires donne à Ched une
nature double dans laquelle il semblerait difficile de concilier ceux qu’il tient de
l’Egypte et qui l’opposent à Seth (U avec ceux qu’il doit à son milieu et qui excluent
toute idée de rivalité et d’hostilité séculaire si l’on ne tenait compte de la récon-
ciliation des deux ennemis, des rapports parfois amicaux de l’Egypte et de l’Asie, rap-
prochements temporaires laissant subsister malgré tout un fond d’inimitié atavique,
une rancune des maux soufferts, une querelle inassouvie toujours prête à se rallumer.
C’est, pourquoi le Sauveur s’est incarné, comme dans toutes les religions, en un
être jeune plutôt qu’en un personnage vieilli quoique puissant et chargé de gloire
et pourquoi 1 innocence d’un enfant, d’un garçon impubère, apte plus que tout
autre à l’efficacité des sortilèges de magie, fut choisie pour être opposée à la ruse
maléfique du génie du mal. Logiquement on ne pouvait prendre ce champion du
bien dans les rangs de l’étranger qu’il avait à réduire car s’il était créé en vue d’une
mission de salut national en même temps que d’un devoir prophylactique, il impor-
tait qu’il fût de pure race autochtone et préfigurât le pharaon jeune en qui le peuple
plaçait son espoir de délivrance. Tel qu’Orphée, Apollon ou Asclépios, le petit dieu
Ched, nanti par sa mère de pouvoirs magiques étendus, doté par son éducateur
Thot d’une science profonde et d’une adresse merveilleuse dans le maniement des
armes, arrivait à point nommé pour répondre aux vœux de la plèbe, pour combler
une lacune théologique et renforcer le prestige royal. Par Osiris et par Rè, il asso-
ciait la nature terrestre à la nature céleste et il était capable à la fois de lutter victo-
rieusement contre les ennemis du royaume osirien d’ici-bas et contre les puissances
adverses acharnées à la perte du soleil dans le royaume céleste. W Or en ce monde
l’ennemi traditionnel vient de l’est et dans le ciel les dangers qui menacent l’astre
dieu résident aux confins des horizons, lorsque, trop faible encore entre le levant
et le zénith, ou déjà affaibli aux approches du couchant, il navigue au-dessus des
déserts avant et après sa culmination toute puissante au-dessus de la vallée du Nil.
II en résulte pour l’un et l’autre cas la nécessité d’un protecteur indigène du
désert, connaissant tous les périls qui s’y cachent. Ched, prince des déserts, qui
porte dans ce titre de prince héritier la crosse pastorale des bergers de Libye, est
comme tous les pâtres, nanti selon la croyance universelle de la science des astres,
du pouvoir guérisseur des mages et des secrets qui maîtrisent les bêtes nuisibles.
Pour toutes ces raisons, le jeune dieu sauveur, emportant l unanimité des suffrages
populaires et officiels, devait être et était de souche authentiquement égyptienne
mais devait son apparence exotique au milieu ambiant dans lequel se manifestait
son action.
(1) Rappelons que la tète de gazelle frontale de Ched n’apparaît qu’à l’époque sethienne de la XIX* dy-
nastie,
• W Cf. le rôle cosmique de la planète Jupiter ” 0 Budgc cite les Horus ^
(Sinsin) et ^ 23 Z’
TABLE DES ILLUSTRATIONS
FIGURES DANS LE TEXTE
Pages.
Cul-De-Lampe (titre) : Transport de statues 5
Figure i. Porteurs de barques sacrées \ 35
9. Socle d autel de Sethi I er 4 a
3 . Socle n° 48835 du Caire : tètes de prisonniers étrangers 59
4 . Stèle n° 80 : Ramsès II terrassant les peuples étrangers.. G 9
5 . Stèle n° 46 189 du Caire : Ramsès II terrassant les peuples étrangers 63
— 6. Fragments de statues de Toëris et amulettes en forme d’hippopotame 73
7. Stèle n° 3666 1 du Caire : Toëris à Silsileh — . .. 77
— 8. Fragment : jeune roi dans la pose accroupie de l’enfance 85
9. Ex-voto de Ramosé aux hirondelles de Sokar.... io 5
— 10. La barque de Sokar au temple de Deir el Médineh 108
— 11. Ded du Musée du Caire 117
— 19. Pressoir de la tombe n° 917 1 90
— i 3 . Pressoir thébain à colonnes papyrilormes et cellier de quatre cruches de vin. 120
— i 4 . Pressoir avec socle à conduit d’écoulement 121
— i 5 . Osiris sous son dais (tombe n° 1) i ^3
— 16. Anubis au manteau macédonien (temple de Deir el Médineh) i3o
— 17. Statuette d’homme habillé d’un manteau. 1 * * * 3 a
— 18. Stèle n° 118 du dieu Ched 1 ^ 9
— 19. Stèle n° 938 du dieu Ched
— 90. Deux amulettes de Ched-Hourouna
— âi. Stèle J. C. 1 de la triade Harsiésis, Isis-ourt, Ched
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
Note i .
— 2.
— 3.
— 4.
— 5.
— 6 .
— 7*
— 8 .
— 9-
— 10 .
— il.
12.
— i3.
— i4.
— 1 5 .
— 1 6.
Essai biographique du scribe royal Ramosé.
Sur la titulature du vizir Paser
Un nouveau vizir : Nehi
Sur le sens à donner au mot Hebit : UH C3 *
Le culte de Y Ousirhat criocéphale d’Amon
Sur le sens particulier du mot Ab : ^ J
Statue de lion et têtes de prisonniers —
Ramsès II victorieux
Sur la formule du Ka royal vivant dans la Vérité
Sur la déesse Toëris (Ta-ourt).
Statue cubes ornées du Menât d’Hathor
Culte de Thot à Thèbes
Ex-voto de Ramosé aux hirondelles de Sokar ....
Osiris au pressoir. Ded et Maded
Sur le soi-disant manteau macédonien d’Anubis. .
Nouveaux monuments du dieu Ched.
9
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9 1
99
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3l
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69
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9*-
1 o5
1 14
199
1 38
Table des illustrations
1 7 1
EN VENTE :
AÜ CAIRE: chez les principaux libraires et à J’Ikstitut français d’Archéologib oribntàlb,
37, Shareh El-Mounira.
A PARIS : a la Librairie d’Amérique et d’Orient, Adrien Maisonneuve, 11, rue Saint-
Sulpice.
A LA HAYE : chez Martinus Nuhoff, 9, Lange Voorhout.
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